« HLM, mon amour. Un combat pour la solidarité », de Frédéric Paul

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Préface de Cécile Duflot, publié dans la collection Bibliothèque des territoires aux Editions de l’Aube 2000. 211 pages.

L’auteur, qui a fait toute sa carrière dans le monde HLM et maitrise totalement son sujet, développe un ardent plaidoyer, historique et factuel, mais raisonné en faveur du logement social. Par raisonné, il faut comprendre qu’au-delà des qualités et performances du logement social, largement soulignées tout au long des chapitres, principalement la sécurité, notamment financière, qu’il apporte aux occupants, le secteur HLM n’est pas exempt de critiques.  Concernant le principal avantage, les développements consacrés aux gains de pouvoir d’achat (loyers et charges pour les occupants) mettent en évidence le rôle du logement social comme composante de l’Etat providence. Côté critiques, l’auteur fait preuve d’une assez grande lucidité en relevant par exemple le manque de logements à très bas loyer destinés aux ménages les plus modestes (PLA.I) et le niveau trop élevé de certains loyers HLM, la nécessité d’un resserrement du tissu des organismes ou d’une adaptation aux évolutions de la société. Il regrette surtout la désunion croissante entre différentes familles du mouvement, indice de l’affaiblissement de la culture commune et du projet commun des opérateurs du logement social. Maints passages font état d’un lourd ressentiment envers la fédération des entreprises sociales pour l’habitat, avec comme principal grief les conditions de la négociation de l’accord sur la réduction de loyer de solidarité (RLS) imposée par l’Etat en 2018 dans le but de ponctionner, par le biais de la diminution des montants d’aide personnelle versés aux locataires, une part de la trésorerie des organismes. Le feuilleton de cette réforme fait l’objet d’un chapitre qui met bien en perspective les enjeux fondamentaux qui lui sont associés.
Mais là n’est pas l’essentiel. Le risque majeur à ses yeux, thème central de l’ouvrage, est celui de la « privatisation » du parc HLM. L’auteur rappelle à ce propos l’importance des travaux de la commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali en 2010, dont Emmanuel Macron était l’un des rapporteurs. Après avoir souligné que le dé-tricotage des dispositifs sociaux concerne l’ensemble des secteurs, il décrit les conséquences prévisibles du mouvement général de financiarisation sur le parc HLM : « Ces financements privés arriveront à travers l’achat du patrimoine occupé. Ils capteront les plus-values des logements sociaux existants, soit en revendant le logement à la découpe après le départ du locataire, soit en les relouant au prix du marché une fois le locataire parti ». On retiendra, s’agissant de la nécessité de trouver des fonds propres, le clivage très clair « entre deux voies bien identifiées :

  • La vente aux occupants avec toutes ses limites, mais qui procure l’avantage considérable de ne pas créer de bombe sociale à retardement.
  • L’appel à des investisseurs privés qui recherchent à la fois des rendements immédiats et surtout des espoirs de plus-value ».

Le livre souffre pour le lecteur non averti, en particulier dans sa première moitié, d’allusions multiples et récurrentes à des thèmes traités plus à fond dans des chapitres ultérieurs.  Le lecteur lira néanmoins avec intérêt la description du paradoxe entre une image plutôt négative du secteur locatif social dans l’opinion  et l’affirmation que « le modèle est peu coûteux, robuste ; socialement efficace et économiquement vertueux », ou encore au sein d’une partie historique, la critique nuancée mais pertinente de la réforme Barre et les développements en lien avec la mutualisation des ressources. D’autres parties à l’inverse, prises isolément,  laissent le lecteur plus dubitatif, comme par exemple celles consacrées à la vente HLM ou à la fracture territoriale.  Ces digressions multiples sur des sujets fondamentaux apparaissent comme le point le plus déroutant d’un plaidoyer au service d’une noble cause.
Trois chapitres retiendront particulièrement l’attention :  « La longue marche du droit au logement » ; « Le  logement locatif intermédiaire, une réponse à la discontinuité de la chaîne du logement ? » ; « Les ignorés des grands ensembles ». Chacun d’eux, dans leur domaine respectif, dresse un état des lieux fouillé des enjeux, des injonctions contradictoires auxquelles doivent faire face les acteurs, des non-dits  et bien sûr des polémiques associées, du type par exemple de celle liée au dépassement des plafonds de ressources par certains occupants.  Dans cet ensemble, les pages sur le rapport J.L. Borloo de 2018  et leur conclusion ne peuvent qu’interpeller le lecteur : « la manière dont le pouvoir accueillit les propositions qu’avait faites Jean-Louis Borloo pourrait faire croire que le gouvernement n’a qu’un souci pour les quartiers : que le pays les oublie, qu’ils se fassent oublier et qu’il n’y ait pas d’émeutes » . Parmi les connaisseurs du secteur, personne ne s’étonnera non plus d’y trouver une critique des dispositifs fiscaux de soutien au secteur locatif privé.
L’ouvrage  conclut logiquement que face aux attaques multiples et convergentes contre le modèle HLM, alors même que ce modèle « est souvent envié par nos homologues européens, qui le désignent comme exemplaire », il convient  de réparer au plus vite ce qui a été abîmé, notamment par les réformes entreprises depuis 2017. Cela suppose de préserver l’APL, de revoir la gouvernance du monde HLM, de mettre en place un statut unique des organismes, de clarifier la situation d’Action logement et celle de la Caisse des dépôts, d’élargir les métiers des HLM pour mettre fin à la tendance qui conduit les missions des organismes à une vocation de plus en plus résiduelle. Cette dernière partie suscite de vives polémiques, en particulier avec les acteurs du secteur privé. A lui seul, le dernier paragraphe de l’ouvrage est un bon résumé de la profession de foi de l’auteur : « Evoluer, progresser mais en gardant le sens. Le logement est un facteur profond d’inégalité. Le logement social a pour mission de les réduire. Ceux qui croient que la financiarisation du logement social est peut-être une bonne solution se trompent. Ceux qui proclament qu’elle est nécessaire nous trompent. Si la financiarisation entrait plus avant dans le logement social, elle exigerait sa part. Et sa part ne lui suffirait jamais. La financiarisation réduirait le champ du logement social. La financiarisation renforcerait les inégalités ».

Bernard Coloos
Septembre2020

Auteur/autrice

  • Bernard Coloos

    Bernard Coloos est aujourd’hui consultant. Il a été de 1996 à 2020 directeur puis délégué général adjoint aux Affaires économiques, financières et internationales de la Fédération Française du Bâtiment,. Il a été chargé du Bureau des études économiques à la Direction de l’habitat et de la construction de 1990 à 1994 et directeur de l’Observatoire immobilier et foncier du Crédit foncier de France. Titulaire d’une maîtrise de droit privé et d’un doctorat de 3e cycle en sciences économiques, il a été également professeur associé au master Aménagement et urbanisme à l’IEP Paris. Il a publié divers ouvrages traitant du logement.

2 réflexions sur “« HLM, mon amour. Un combat pour la solidarité », de Frédéric Paul

  • 21 septembre 2020 à 21:25
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    Diagnostic lucide, notamment sur la financiarisation-privatisation du parc au profit d’actionnaires : il ne s’agit pas de craindre les mises en garde de l’auteur, mais de les constater. Le déconventionnement massif du parc de SCIC Habitat (pourtant filiale de la CDC…) fin des années 2000 en IdF suffit à prouver le propos. Toutes les collectivités s’étaient mobilisées pour reconventionner leur parc, et contrer l’appétit de recettes financieres de court terme d’un organisme pourtant public, dont la conséquence aurait été une revente à la découpe ou à des blocs d’investisseurs-prédateurs, et in fine une paupérisation à charge de la collectivité locale.

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