« Inconfinables ? Les sans-abri face au coronavirus », de Julien Damon (2)

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Editions de l’aube/Fondation Jean-Jaurès

Avant même que les préoccupations hygiénistes n’inspirent les premières politiques de logement, elles justifiaient les règlements de police. « A Paris, vers la fin de 1831, aux approches du choléra, on s’occupa pour la première fois de l’hygiène des habitations…[1] » La même préoccupation se manifesta à l’occasion de l’épidémie de typhoïde et de variole qui sévit entre 1881 à1883. « Il est certain que ce sont les ouvriers venus du dehors, débarqués depuis peu, jeunes, mal nourris, logeant dans les garnis les plus insalubres, qui payent le tribut le plus fort à la fièvre typhoïde comme aux autres épidémies »[2].
Il s’agissait alors de lutter contre l’insalubrité et le surpeuplement des logements. « Si les misérables habitent des greniers, des caves, des recoins sans air et sans lumière, dans des maisons mal bâties et mal tenues, c’est parce qu’ils n’ont pas trouvé de meilleurs gites au prix qu’ils peuvent donner, et ils aiment encore mieux loger dans ces taudis que de ne loger nulle part [3]». Quant à ceux qui ne logeaient nulle part, il convenait d’abord de préserver la société des nuisances, sanitaires ou sociales, dont ils étaient porteurs.  Aujourd’hui, comme le note Julien Damon, « Le droit et les politiques en faveur des sans-abri sont passés d’un souci de préservation de la société, en cherchant à confiner et à repousser les indésirables, à un souci de préservation de la dignité et des libertés des premiers concernés » ? Dès lors que la mise à l’écart, l’enfermement systématique, voire l’hébergement forcé ne sont plus de mise, comment confiner ceux qui « ne disposent pas d’un chez soi » ?  Encore un domaine où la liberté a un prix : tous les visiteurs sont étonnés de ne croiser strictement aucun sans-abri à Pékin.
Dans ce petit livre qui n’adopte pas la posture de la mise en accusation du système ou de la politique publique, Julien Damon analyse de façon extrêmement détaillée les multiples questions que pose le confinement des sans-abri et décrit la façon dont les pouvoirs publics, avec l’aide des mairies et en prenant appui sur les associations, ont procédé. Il dresse un bilan nuancé, provisoire puisqu’antérieur à la deuxième vague de la pandémie, de cette expérience. « Alors que l’effort pour traiter du confinement des SDF a été particulièrement fourni, ..les dépenses publiques n’ont jamais été aussi abondantes et le souci d’aller vers les sans-abri jamais aussi prononcé … le maintien de la présence de sans-abri à la rue à quelque chose d’embarrassant »  A ses yeux, plus que pour toute autre catégorie de populations, c’est  le problème du déconfinement qui se pose maintenant pour les sans-abri. Cela le conduit à tirer de cette expérience conjoncturelle un jugement sur les politiques conduites en temps normal dans ce domaine et à plaider pour celle dite du « logement d’abord » .

Bernard Vorms
Novembre 2020


[1] Arthur Raffalovich  Le logement de l’ouvrier et du pauvre 1887

[2] Ibid.

[3] Ibid.

 

Auteur/autrice

  • Bernard Vorms

    Economiste spécialisé dans le domaine du logement, IEP de Paris et DES d’économie politique. Il a dirigé l’ANIL/agence nationale pour l’information sur le logement et présidé la SGFGAS/société de gestion du fond de garantie de l’accession sociale jusqu’à la fin de l’année 2013. Il a présidé le Conseil national de la transaction et de la gestion immobilière de 2014 à 2019. Il a réalisé de nombreux rapports pour le gouvernement et publié des études mettant l’accent sur les comparaisons internationales.

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