La politique en faveur du « logement d’abord »

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Référé de la Cour des comptes du 20 octobre 2020

Dans ce référé, publié le 7 janvier 2021, la Cour des comptes rappelle en préambule l’augmentation du nombre de personnes sans domicile, malgré les efforts faits en matière d’hébergement et d’accès au logement. Les dépenses d’hébergement d’urgence sont en hausse continue et le nombre de places offertes a atteint 260 000 fin 2019.
Cette évolution intervient alors même que le gouvernement a lancé en 2018 le plan « logement d’abord » qui « vise une réforme structurelle de la politique du logement en faveur des personnes sans domicile ».  Il lui apparaît donc paradoxal que ce plan ne permette pas la réduction des capacités d’accueil en hébergement, puisqu’il a précisément vocation à offrir aux personnes en difficulté l’accès à un logement sans passer obligatoirement (et même en évitant de) passer par la case hébergement. La raison en est que, trois ans après son lancement, il n’a pas encore véritablement atteint un stade opérationnel : nombre d’actions sont encore expérimentales, et dans les zones non concernées par ces expériences sa mise en œuvre est encore balbutiante. Elle souffre d’une trop grande complexité, que l’Etat lui-même reconnaît puisqu’il a annoncé en septembre denier un « acte II » du plan  avec l’intention de réformer la gouvernance du dispositif.
Les résultats des premières d’années ne sont, certes, pas négligeables, mais la quasi absence d’objectifs chiffrés rend difficile une évaluation  en bonne et due forme et lorsqu’ils existent, « les résultats paraissent systématiquement en-deçà des cibles fixées ».
Face à ce constat, les recommandations de la Cour pour « réussir le pari du logement d’abord » sont peu convaincantes. Elles portent en effet, pour une large part, sur la mobilisation du parc locatif social, déjà mis à contribution pour l’accueil des ménages prioritaires dans le cadre de la mise en œuvre du droit au logement opposable (DALO), avec le faible succès que l’on sait dans les zones tendues (le taux de relogement, rapport du nombre de ménages logés au nombre de recours acceptés, est de 20% en Ile-de-France).  Pour libérer des logements dans le parc social, elle préconise de faire « du bail d’occupation à durée déterminée la règle d’occupation des logements » : on imagine les difficultés d’adoption d’une telle mesure et les réactions qu’elle susciterait. Face à la  préconisation d’ « accentuer l’occupation sociale du parc social en zones tendues », le Premier ministre a beau jeu, dans sa réponse, de rappeler « l’importance de l’objectif de mixité sociale ».
L’accueil de ménages pauvres dans le parc social se heurte par ailleurs à des difficultés tenant à la structure de ce parc, composé dans sa grande majorité de logements de trois pièces et plus, alors que les deux-tiers environ des ménages relevant du logement d’abord sont des personnes seules. D’autre part, la production annuelle de logements PLAI est depuis 2010 d’environ 15 000 unités par an, dont 5 000 environ sont des 1 ou 2 pièces. On est loin de l’objectif de 40 000 fixé par le plan, lequel a d’autant moins de chances d’être atteint que la réduction de loyer de solidarité renforce la difficulté d’atteindre l’équilibre financier des opérations nouvelles, comme l’a relevé l’Ancols dans son rapport de 2019.
Surtout, la question de la prise en charge des personnes qui ne bénéficient pas du droit au logement n’est évoquée que de façon incidente : « Au demeurant, la politique du logement d’abord ne peut que constater le maintien dans l’hébergement, à l’hôtel ou dans des campements, de personnes déboutées du droit d’asile qui ne disposent pas des droits leur permettant d’accéder à un logement ».  Ces personnes, qui ne se limitent pas aux déboutées du droits d’asile, mais comprennent aussi celles dont la demande est en cours d’instruction, relèvent donc de l’hébergement. La Direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement (DRIHL) constatait en 2019, par le biais de l’enquête « une nuit donnée » dans les structures de renfort hivernal, qu’en Ile-de-France, « Depuis 2015, la part du public accueilli étranger non ressortissant de l’Union Européenne augmente régulièrement : +25 points en 4 ans (53,4 % en 2015, 64,7 % en 2016, 73,5 % en 2017, 75,7 % en 2018 et 78,4 % en 2019) »[1]. Il est fort probable que cette population est en grande partie composée de personnes qui, du fait de leur situation juridique, ne relèvent pas du logement d’abord mais de l’hébergement. La Cour elle-même estime que chaque année « environ 100 000 nouvelles personnes sans domicile, dont 30 000 réfugiés [qui bénéficient, eux, du logement du droit au logement] sont issues du dispositif national d’accueil institué par les dispositions légales sur le droit d’asile », mais elle ne met pas ce nombre en relation avec les besoins d’hébergement. On peut pourtant penser que pour elles, l’hébergement n’est pas une solution de très courte durée, et qu’elles ne comptent pas pour rien dans l’utilisation des capacités d’hébergement.

Jean Bosvieux
Janvier 2021


[1] « Les personnes accueillies dans le dispositif hivernal en Ile-de-France », Lettre des études, décembre 2019, DRIHL Ile-de-France.

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.

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