Daniel Cohen « Une brève histoire de l’économie »
Qui serait capable de donner une synthèse du même ordre de l’évolution des questions de logement ? En le lisant on regrette qu’il n’ait jamais, à ma connaissance, porté une attention particulière à l’économie du logement. Est-il possible d’évoquer un souvenir personnel ? Il y a quelque années, Daniel Cohen avait accepté d’intervenir à l’occasion du congrès des constructeurs de maisons individuelles. Je m’étais trouvé à côté de lui dans la salle avant de rejoindre la tribune où officiaient pour l’heure, comme c’est toujours le cas dans ce type de réunions, les « partenaires », c’est à dire les fabricants de matériaux, établissements prêteurs, vendeurs d’énergie et prestataires de services divers, qui vantaient les vertus des constructeurs français. Après un bref échange, Daniel Cohen s’était penché vers moi pour me demander combien la collectivité dépensait pour la politique du logement. Environ 2 % du PIB avais-je répondu.
Impossible m’avait répondu Daniel Cohen, cela ferait 40 milliards d’euros. Même si 2 % était de l’ordre des nombres que je pouvais retenir, l’admiration que j’éprouvais pour mon interlocuteur m’avait déstabilisé. Depuis son fauteuil, Daniel Cohen saisit son téléphone portable et posa la question à je ne sais qui. Deux minutes plus tard, la réponse arrivait. « Vous avez raison », me dit-il, ajoutant « Comment peut-on dépenser autant d’argent pour quelque chose qui marche aussi mal ? »
La seule allusion au logement dans « une brève histoire de l’économie », si l’on excepte la description de la crise des subprime qui relève des pratiques de l’industrie financière plus que de l’objet qu’elle finance, se trouve dans le chapitre « Années mythiques » : pour illustrer les progrès des trente glorieuses, Daniel Cohen cite la description de Fourastié sur l’évolution du mode de vie et de la consommation des ménages d’un village, Douelle dans le Quercy. « En 1946, trois maisons neuves étaient construites tous les vingt ans, cinquante le sont en 1975 ». Dans son chapitre sur l’État providence, il rappelle qu’aux yeux de Beveridge, l’État a la responsabilité de lutter contre les cinq fléaux de l’humanité, « la maladie, l’ignorance, la dépendance, la déchéance et le taudis », mais il explique que la hausse des dépenses sociales a d’abord tenu aux assurances maladie et aux assurances vieillesse. Pourtant, même si le logement ne peut être étudié sur la très longue période à l’instar de l’agriculture ou l’industrie puisque ce n’est un problème politique dans nos pays que depuis la révolution industrielle, l’exode rural et le développement du salariat, son économie obéit à une diversité de facteurs que Daniel Cohen parvient à articuler de façon lumineuse à propos d’autres enjeux. Est-ce parce que le logement serait « une marchandise impossible », à l’abri de la mondialisation et plus dépendant de la compétition pour l’espace que des progrès de la productivité ? Est-ce parce que le montant global des aides qui lui sont affectées fait débat ou parce que les volumes et les prix sont plus difficiles à modéliser que l’emploi, la production ou la monnaie ? Toujours est-il que Daniel Cohen n’était pas le seul économiste de renom à formuler ce type de jugement négatif, c’était également le cas de Jean Tirole pour ne prendre que le cas d’un prix Nobel. C’est peut-être aussi la responsabilité des spécialistes du logement, trop souvent focalisés sur les échanges avec les pouvoirs publics, d’intéresser à leurs travaux les économistes dont les recherches ne sont pas principalement centrées sur ce domaine.
Bernard Vorms
Février 2024
Merci pour ces lignes que j’ai dévorées . Daniel Cohen était parfois déconcertant mais il avait toujours le mot juste.