Que peut-on espérer des récents projets de régulation des locations de courte durée ?

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Avec les vacances de l’été 2024 a resurgi le sujet des locations de courte durée, qui amènent chaque année dans les territoires touristiques leur lot de résidents temporaires. Les discussions se déportent alors autour des vacanciers eux-mêmes, qui incarnent une manne précieuse pour les uns, « disneylandisation » et « spéculation » pour les autres[1].
Les parlementaires, en tout cas, ont eu le sens du timing estival : au printemps 2024, une proposition de loi transpartisane pour répondre aux enjeux de la location de courte durée et « limiter ses dérives », portée par la députée Renaissance Annaïg Le Meur et le député socialiste Iñaki Echaniz, a été votée à l’Assemblée nationale en janvier. Elle a ensuite été amendée et adoptée par le Sénat le 21 mai[2]. La dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin a repoussé son passage en commission mixte paritaire à une date ultérieure. Les deux députés Annaïg Le Meur et Iñaki Echaniz ont été réélus le 7 juillet 2024. Nous proposons dans cet article d’analyser les évolutions possibles du droit et de la fiscalité de la location de courte durée, à l’aune de cette proposition de loi transpartisane. Si ses effets sur les logements disponibles sont encore difficiles à estimer (avec les expérimentations de quelques communes), nous verrons que la loi reste muette sur une notion clef pour sa mise en œuvre efficace : comment définir, contrôler, et réguler la « résidentialité » ?

Définition

Les locations meublées de « courte durée » sont équivalentes dans cet article aux « meublés de tourisme » tels que définis par le Code du tourisme (Art. L324-1-1)[3].
Les locations de « longue durée » concernent dans cet article les locations en bail meublé ordinaire (loi de 1989) ou en bail mobilité, et doivent constituer la résidence principale du locataire. Les locations vides, qui constituent la majorité des locations longue durée, ne sont pas traitées dans cet article du fait qu’elles ne peuvent pas être une alternative aux meublés de tourisme.
Une résidence principale est de facto un logement habité une majeure partie de l’année par une personne physique. Fiscalement, c’est un logement déclaré comme tel, lors de la déclaration d’impôt. La loi ne peut pas régir l’occupation à titre principal ou secondaire d’un logement. Les résidences principales et secondaires appartiennent toutes à la destination juridique de l’usage « logement ». Les résidences secondaires ne constituent donc à elles seules ni une destination ni une sous-destination dans le code de l’urbanisme. Il n’y a pas de définition légale de la « bi-résidentialité ».

Ces dernières années, des régions littorales comme le Pays basque[4], la Bretagne, la Corse ou des stations de montagne ont connu une aggravation de la pénurie de logements, qu’il s’agisse du parc locatif privé accessible – notamment aux jeunes actifs ou aux ménages en voie d’installation – ou de l’accession à la propriété pour ceux qui se considèrent comme « résidents locaux »[5]. Cette situation est liée pour beaucoup au développement des locations réservées au tourisme d’une part, et à la hausse des prix d’autre part, du fait de la concurrence des acheteurs de résidences secondaires.
Au vu de la difficulté de se loger pour la population active locale, les élus sont sous la pression de leurs administrés dont les réactions, jusqu’alors dispersées et cantonnées à chacun des territoires concernés, tendent à se fédérer sur le plan national[6]. Dans l’attente de l’éventuelle adoption de la proposition de loi transpartisane dont c’est l’un des objectifs, les élus locaux ne disposent pas de moyens légaux efficaces pour lutter contre ces dérives. De leur côté, les associations d’habitants peuvent recourir à des moyens auxquels les collectivités n’ont pas accès. Certaines[7] manifestent, contrôlent et dénoncent des baux locatifs frauduleux, des meublés touristiques non-déclarés, etc. Certaines s’engagent même dans des formes de désobéissance civile non violente comme l’occupation de chantiers pour bloquer des opérations immobilières. Il peut leur arriver d’aller encore plus loin et d’afficher leur volonté de faire pression sur les vendeurs ou d’intimider les acheteurs non désirés, les menaçant de souffrir d’un voisinage « compliqué »[8].
Bien que d’autres possibilités existent pour répondre aux besoins en logement, à commencer par la construction de logements sociaux ou par les subventions pour l’accession à la propriété, nous nous concentrons dans cet article sur le cas de la location de meublés de courte durée, et de la récente proposition de loi votée par le Parlement.
Si des revendications de plus en plus présentes dans le débat public tendent à s’appuyer sur la nature des habitants, « natifs » opposés aux « outsiders », la loi française et la réglementation européenne permettent difficilement de favoriser un type d’habitants répondant à des critères autres que ceux traditionnellement admis comme le revenu ou la taille du ménage. Agir selon la demande des résidents permanents exaspérés par la concurrence de ceux qu’ils considèrent parfois comme des intrus conduirait à nier sans ambiguïté l’égalité entre citoyens[9]. A l’étranger, ces préoccupations prennent souvent appui dans la loi sur une différenciation entre nationaux et non-nationaux, ce qui limite la portée des comparaisons[10].
Les locations de courte durée représentent ainsi pour beaucoup l’une des dimensions principales de la crise du logement[11] et sont accusées de retirer du marché des logements de longue durée Dans quelle mesure la récente proposition de loi peut-elle donner plus de pouvoir aux collectivités pour limiter le développement des locations longue durée ? Nous verrons qu’elle développe les outils des collectivités, sans pour autant accroitre les moyens de contrôle et de sanction[12]. Par ailleurs, il est difficile d’estimer précisément le nombre des logements qui pourraient être remis sur le marché de la longue durée, les logiques des propriétaires étant complexes et restant un angle mort de beaucoup d’analyses. Il est probable que la récupération de dizaines de milliers de logements escomptés par les associations ne sera pas au rendez-vous. Par ailleurs, les élus qui souhaitent à la fois attribuer une priorité aux habitants « locaux » et refusent le logement social doivent être mis devant leur contradiction.

Que dit la proposition de loi transpartisane votée par le Parlement ?

La proposition de loi récemment adoptée par le Parlement comporte un certain nombre d’outils pour tenter de limiter la location de courte durée dans les 1 434 communes de France considérées juridiquement comme des « zones tendues »[13]. Elle vise, en limitant les bénéfices de la mise en location de courte durée à inciter à la mise en location de longue durée : d’une part, elle soumet les meublés de tourisme aux mêmes critères de performance énergétique que ceux des locations de longue durée ; d’autre part, elle renforce les possibilités de régulation pour les collectivités locales. Enfin, elle prévoit l’augmentation de la fiscalité sur les meublés de tourisme.

  • Au sujet des critères de performance énergétique, la proposition de loi soumet la location meublée touristique à l’obligation d’établissement d’un DPE. De surcroit, elle interdit la mise en location des meublés énergivores selon le calendrier fixé par la loi climat et résilience d’août 2021. Concrètement, l’autorisation de location définitive n’est accordée qu’avec les étiquettes DPE de A à D. De plus, la proposition de loi adosse l’obligation de performance énergétique à la procédure d’autorisation de changement d’usage (cf. ci-après).
  • Du point de vue du renforcement des possibilités de régulation locale pour les collectivités, la proposition de loi prévoit que toute location d’un meublé touristique (y compris en résidence principale, soit moins de 120 jours par an) est soumise à déclaration préalable en mairie accompagnée d’un enregistrement auprès d’un téléservice national. De plus, toute commune, quelle que soit sa taille, peut mettre en place le “principe de compensation” en cas de changement d’usage du logement, c’est-à-dire demander au propriétaire la mise à disposition sur le marché d’un logement à usage d’habitation équivalent dans la commune[14]. L’amende peut aller jusqu’à 100 000 euros pour les propriétaires qui ne déclarent pas le changement d’usage[15].
    Une possibilité supplémentaire pour les communes, à ce jour expérimentée par Saint-Malo, est celle de mettre en place, dans des secteurs délimités dans le PLU, des quotas d’autorisation de changement d’usage.
    Par ailleurs, la proposition de loi prévoit la création d’une servitude de résidence principale, c’est-à-dire la possibilité d’introduire dans les PLU une servitude qui interdit, dans la production neuve, la création de résidences secondaires[16]. Néanmoins, sans définition juridique dans le droit de l’urbanisme de la « résidentialité » (principale ou secondaire), qui n’est aujourd’hui que déclarative, cette proposition apparait inopérante, en dehors du secteur du logement social (cf. partie 4). Quant à la possibilité pour les communes de réduire à 90 jours la durée maximale annuelle de mise en location pour les résidences principales (contre 120 aujourd’hui) qui figurait dans le texte adopté par l’Assemblée nationale, elle a été rejetée par le Sénat[17]
  • Pour finir, la proposition de loi alourdit la fiscalité des meublés de tourisme. Pour ne plus favoriser les meublés de tourisme, le texte prévoit de réduire l’abattement sur les revenus fonciers (sauf en zone rurale et de montagne) de 71% à 30%. La réduction de cet abattement revient à aligner la fiscalité des meublés touristiques sur celle des locations meublées de longue durée. La proposition de loi prévoit aussi de réintégrer les amortissements dans le calcul de la plus-value de cession en location de meublé non professionnelle (LMNP).

Cet alourdissement de la fiscalité des locations meublées de courte durée s’ajoute à d’autres options existantes dans les zones tendues comme la majoration possible de la taxe d’habitation pour les résidences secondaires (de 30 à 60%.). Les zones tendues sont également soumises sans exception à la taxe sur les logements vacants « à usage d’habitation ».

Quelles améliorations peut-on attendre de la proposition de loi ? Combien de logements pourraient être remis sur le marché de la location longue durée ?

Que nous apprennent les communes où le principe de compensation s’applique depuis mars 2023 ? L’exemple des Pyrénées-Atlantiques.

Les Pyrénées-Atlantiques sont emblématiques des zones tendues hors des métropoles pour des raisons liées au tourisme[18]. Les caractéristiques du département sont :

  • Une population de 693 000 habitants dont 18% se concentrent sur les 8 communes littorales[19];
  • 18 000 demandes de logement social en attente[20];
  • Une augmentation annuelle de la population de 1 %, soit environ 3 000 personnes à accueillir chaque année, depuis plusieurs décennies.
  • 13,5 % des logements du département sont déclarés fiscalement en résidences secondaires contre 9,8 % en France métropolitaine. Dans les communes littorales de Biarritz, Saint-Jean-de-Luz, Guéthary, Ciboure et Hendaye, 3 à 5 logements sur 10 sont des résidences secondaires[21];
  • Le nombre de meublés sur les plateformes de location Airbnb et Abritel s’élèvait en 2020 à 21 457, dont 74% pour le seul littoral, soit 18 593[22] (avec une croissance du nombre d’annonces actives de location de courte durée entre 2016 et 2020 de +139%)[23]
  • 54% des annonces actives dans le département pour des locations de courte durée étaient disponibles plus de 120 jours par an en 2020.

Il est difficile d’estimer le nombre de logements de courte durée qui seraient remis sur le marché de la location de longue durée si l’obligation d’autorisation de changement d’usage était finalement adoptée dans tout le département, avec son principe de compensation. A titre d’exemple, à Biarritz en juillet 2023, sur les 4000 locations en meublé de tourisme recensées sur les plateformes de type Airbnb ou Abritel, environ 1000 n’avaient pas demandé l’autorisation de changement d’usage et ne respectaient pas le principe de compensation en vigueur depuis le 1er mars 2023. La municipalité a alors contacté les propriétaires, jusqu’à leur mise en demeure. Quelques mois plus tard, en janvier 2024, Biarritz a recensé 291 biens sortis de la location de courte durée. Mais seuls 61 sont passés en location à l’année. Près de la moitié sont devenus des résidences secondaires et 37 ont été mis en vente[24]. 70 recours ont également été présentés à la ville[25].
4 665 autorisations de changement d’usage ont été délivrées à Biarritz, de janvier 2022 au 1er mars 2023, contre 369 entre le 1er mars 2023 et janvier 2024. 2 798 autorisations temporaires de changement d’usage ont également été attribuées pour 3 ans avant mars 2023 (donc non soumises à la compensation) et pourraient ne pas être renouvelées du fait du principe de compensation[26].
Une version optimiste de l’impact de la mesure à l’échelle du département peut donc retenir le chiffre de quelques centaines de logements remis sur le marché de la location « longue durée » depuis mars 2023, loin des 20 000 espérés par certaines associations[27]. Si l’on en croit la tendance d’augmentation du nombre des locations touristiques et les 18 000 demandes en attente pour un logement social (qui se concentrent sur le littoral) c’est pour l’instant insuffisant pour « limiter les dérives » visées par les députés qui ont porté la proposition de loi.

Qu’attendre de la réforme de la fiscalité de la proposition de loi ?

Qu’implique la réduction de l’abattement fiscal pour les meublés touristiques ? Si un propriétaire d’une résidence secondaire (non labélisée « meublé touristique classé ») déclarait un meublé touristique, alors il paierait un peu plus d’impôt et son revenu serait réduit. Cela serait-il suffisamment incitatif pour passer en location à l’année, en perdant la possibilité de jouissance du bien quand le propriétaire le souhaite ?
D’après une étude d’avril 2023 publiée par le cabinet de conseil économique Astérès, le revenu moyen brut en 2022 pour une personne qui met un logement en location sur Airbnb en France est de 3 916 euros[28] avec des disparités en fonction de la localisation (à Paris, 5 900 euros) et l’âge des propriétaires (les hôtes de 50 à 59 ans ont perçu un revenu net moyen de 5 166€, soit un gain de pouvoir d’achat de 9,9 %).

Quelle différence d’impôts si la fin de la niche fiscale est adoptée ?

Etude des cas « moyens » d’une location de courte durée et d’une location de longue durée
Si l’on prend le cas d’un couple, aux revenus moyens, propriétaire d’une résidence secondaire de 50m2 à Saint-Jean-de-Luz (64) qui louerait en « courte durée » moins de 120 jours par an, pour un revenu annuel de 5000 euros bruts : l’abattement fiscal actuel de 71% leur permettait d’être imposés sur 1450 euros de revenus. La fin de cette niche fiscale, qui ferait revenir l’abattement à 30%, remonterait donc ses revenus imposables à 3500 euros, selon le régime fiscal des bénéfices industriels et commerciaux (BIC). Dans ces conditions, il paiera 987 euros d’impôt au lieu de 658,30 euros, ce qui représente une augmentation de 328,70 euros. Cette différence peut-elle jouer dans le choix du propriétaire de louer sur des courtes durées ? Il est permis d’en douter. Leur revenu final net serait donc de 4 013 euros (=5 000-987), et ils continueraient à pouvoir aller quand ils le souhaitent dans leur résidence secondaire, en dehors des quelques semaines de location.
Quels seraient les bénéfices pour ce couple propriétaire d’une résidence secondaire à Saint-Jean-de-Luz s’il décidait de la mettre en location meublée de longue durée ? Ses recettes locatives ne dépassant pas le seuil de 23 000 euros, c’est la fiscalité de la location meublée non professionnelle (LMNP) qui s’appliquerait. Partons du principe que le couple opte pour un bail classique et pour le régime BIC (étant propriétaires depuis longtemps, ils n’ont pas à amortir un remboursement ou des travaux), et que leur tranche marginale d’imposition sur le revenu est de 30%. Faisons l’hypothèse que toutes les charges et les frais d’entretien se montent à 200 euros par mois, et que le loyer soit de 1 000 euros. Leur bénéfice imposable serait alors égal aux recettes diminuées d’un abattement forfaitaire de 50 % : 9600/2 = 4800 euros. L’impôt sur le revenu se monte à 1440 euros et les prélèvements sociaux (17,2%) à 825,60 euros : soit un total de 2 265,6 euros d’impôt/an dans le cas d’une location de longue durée. Leur revenu final net est dans ce cas de 7 334,4 euros (=9 600-2 265,6) mais ils ne peuvent pas aller quand ils veulent dans ce logement, devenu résidence principale à l’année des locataires. Ils sont soumis par ailleurs à un préavis de 3 mois s’ils souhaitent récupérer leur logement.
En conclusion : si la proposition de loi était adoptée, ce couple propriétaire d’une résidence secondaire paierait 1 278,6 euros (=2 265,6-987) d’impôts supplémentaires en louant à l’année par rapport à la location de courte durée. Ce montant apparaît trop faible par rapport aux revenus nets du couple pour qu’il change de la location de courte durée à celle de longue durée : d’un côté il gagnerait 4 013 euros de revenus nets et pourrait venir quand il le souhaite ou presque, de l’autre il gagnerait 7 334,4 euros et perdrait totalement l’usage de sa résidence secondaire.

Dans le cas d’une location avec un bail mobilité, dans laquelle les propriétaires peuvent récupèrer leur logement deux mois de l’année, les avantages et inconvénients non-chiffrés par rapport à la location de courte durée peuvent dépendre ensuite de l’appréciation de chacun : risques d’impayés et de complications (mais auxquels peuvent répondre des assurances qu’il faudrait ajouter aux charges) d’un côté, moins de maintenance et de gestion de l’autre ; une présence permanente pour prévenir les problèmes d’un côté, la possibilité de jouir d’avantage du logement de l’autre ; un revenu fixe tous les mois d’un côté, des revenus variables mais plus élevés à la journée de l’autre etc[29].
En tous cas, les logiques de propriétaires peuvent être complexes, et certaines voix s’élèvent pour défendre l’idée (sans l’étayer de chiffres ou de démonstrations) que si les propriétaires avaient été privés du régime fiscal favorable de la location meublée, ils auraient sans doute, pour nombre d’entre eux, abandonné tout investissement locatif[30].

L’usage des logements dans le droit de l’urbanisme et les règles de construction

Dans les zones tendues partout en France, l’on constate dans nombre de publications des recommandations qui visent tout en même temps à limiter les résidences secondaires, à en limiter la construction et à en interdire la location de courte durée[31]. Mais rien n’est élaboré, y compris dans la proposition de loi transpartisane, sur deux questions néanmoins centrales dans la mise en œuvre de ces recommandations.

  • Comment définir dans la loi la notion de « résidentialité » plus précisément que par des jours d’occupation ?
  • Corolaire de ce premier point : comment contrôler, et donc réguler cette « résidentialité » ? Comment vérifier qu’une personne vit et habite dans un lieu donné, en respectant le principe constitutionnel d’inviolabilité du domicile ?

Sur le premier point : la loi française peut intervenir sur l’usage (ou « destination ») des bâtiments : logements, bureaux, commerces, hôtellerie etc. Elle peut interdire les transformations d’usage du parc existant (conversion de logements en bureaux, par exemple). Elle peut également limiter l’usage commercial des logements à des fins touristiques, à titre permanent ou temporaire. Comme vu précédemment, certaines collectivités choisissent d’appliquer l’article L 631–7 du code de la construction et de l’habitation aux locations touristiques et d’exiger une compensation par la mise à disposition d’un logement équivalent. C’est l’application d’une mesure historiquement prévue pour limiter les bureaux à Paris et dorénavant aux locations de courte durée[32]. Plus largement, le PLU peut interdire des changements de la destination « habitation » vers d’autres destinations et réciproquement. Cela est possible dès lors que de telles interdictions sont « justifiées par un motif d’urbanisme et qu’elles concernent des zones ciblées pour ne pas encourir le reproche d’être excessives au regard du but poursuivi »[33].
En revanche, la loi ne peut pas régir l’occupation, à titre principal ou secondaire, d’un logement. Les résidences secondaires ne constituant à elles seules ni une destination ni une sous-destination, le PLU ne peut les viser en tant que telles, dans le cadre d’une interdiction de changement d’usage par exemple. Les résidences principales et les résidences secondaires appartiennent toutes à la destination juridique « logement ». Il n’y a pas de définition légale de la « bi-résidentialité ». Le plan local d’urbanisme (PLU) peut interdire des changements de sous-destination, notamment de la sous-destination « logement » à celle « d’autres hébergements touristiques ». Encore faut-il prouver que le logement en question est utilisé comme un « hébergement touristique », ce qui n’est pas toujours facile et peut aller jusqu’à encourager la délation[34]. Pour limiter l’utilisation « commerciale » des résidences mises en location via des plateformes, il faudrait donc prouver que le logement n’est pas habité de façon « continue » une majorité de l’année, ce qui pourrait passer par des contrôles complexes et intrusifs[35] (factures d’électricité ou d’eau pour vérifier la consommation effective ?). Aussi, si certains documents d’orientation – comme le Scot de Quimperlé Communauté – à « intervenir pour maîtriser le rapport entre résidences principales et secondaires »[36], cela n’a rien de juridiquement contraignant.
En Suisse où le problème se pose de façon similaire, on pratique depuis 2016 à la fois une préférence nationale et un système de quota de 20% de résidences secondaires (définies de façon assez imprécise comme une occupation « non durable ») qui s’applique tant aux étrangers qu’aux Suisses. Si la Confédération helvétique n’est pas soumise aux exigences du droit communautaire européen, l’impact de la loi de 2016 dite « Weber » mériterait néanmoins d’être expertisée. Les effets n’ont pour l’instant pas montré de bénéfices pour les économies locales et les contrôles des résidences « secondaires » déclarées demeurent anecdotiques.
Sur le second point : de quels moyens disposent les collectivités pour effectuer les contrôles et les sanctions dans le cas où un propriétaire ne respecterait pas les obligations en vigueur ?
La plupart des collectivités qui ont déjà adopté les principes de déclaration en mairie, de numéro d’enregistrement ou de compensation, commencent à s’organiser, l’amende pouvant aller jusqu’à 50 000 euros en cas d’infraction[37] : Paris, Lyon et Biarritz ont par exemple dorénavant des équipes de respectivement 30, 12 et 3 agents à temps plein pour effectuer les contrôles, ce que les collectivités de petites tailles n’ont en général pas les moyens de faire[38]. Rien n’est prévu dans la loi pour augmenter ces moyens. Ces agents sont chargés de vérifier que les propriétaires suivent les réglementations en vigueur, « leur priorité étant de coincer les multipropriétaires »[39].
De plus, les jurisprudences des années récentes montrent que les collectivités n’ont pas toujours gain de cause, notamment en raison de la difficulté à prouver l’usage de « meublé de tourisme ». Ainsi, plusieurs sites proposent, à l’appui d’une jurisprudence du 24 novembre 2022[40], des « techniques » issues de « failles juridiques » pour dépasser la limite des 120 jours pour les locations de courte durée[41]. Néanmoins, comme le note le cabinet d’avocat spécialisé Demeuzoy la récente proposition de loi va dans le sens de permettre aux communes d’obtenir gain de cause plus facilement face aux propriétaires car « elle permet à la ville de simplifier la preuve de l’usage d’habitation qui n’est plus strictement entendue au 1er janvier 1970, ce qui implique que désormais un grand nombre de propriétaires qui louent leur résidence secondaire en courtes durées seront éligibles à ce que l’infraction soit retenue et qu’une amende civile soit rendue par le tribunal. »
Ce constat de mise en œuvre difficile des outils à disposition des collectivités conduit finalement à porter l’attention sur la vente et surtout sur la construction de nouveaux logements. C’est le cas de la servitude de « résidence principale » prévue dans la proposition de loi transpartisane, qui restera inapplicable sans définition juridique précise dans les PLU. De fait, les règles de construction des logements (parcelles, hauteur, etc.) exercent une forte influence sur les caractéristiques des ménages auxquels ils seront destinés, sur les conditions de leur commercialisation, et donc sur leurs usages. Reste que l’essentiel des évolutions du parc se font par l’existant et que la production neuve n’y joue qu’un rôle marginal. Le PLU peut, sinon, favoriser la « mixité sociale » avec l’imposition d’un taux de logements sociaux (où les contrôles et sanctions sont facilités dans l’utilisation du logement en « résidence principale ») dans les nouvelles constructions, mais ceci ramène au logement hors marché, c’est-à-dire le logement social dans ses formes variées (y compris le récent « Bail Réel Solidaire »).

Conclusion 

Pour répondre aux besoins en logement à l’année des ménages, en particulier pour les collectivités situées dans des zones tendues hors des métropoles, la proposition loi transpartisane adoptée par le Parlement en mai 2024 représente un espoir car elle développe leurs outils fiscaux et juridiques. Mais au-delà du symbole du transfert de pouvoir de l’Etat vers les collectivités, il est difficile d’estimer le nombre de logements qui pourraient être remis sur le marché de la longue durée dans le cas où les élus s’empareraient de ces outils et auraient les moyens de les mettre en œuvre (ce qui n’est pour l’instant pas le cas d’après nombre d’élus, en particulier des moyennes et petites communes).
Les études et arguments de cet article suggèrent que :

  • L’augmentation de la fiscalité n’aura pas un effet suffisant sur les propriétaires pour que les locations de courte durée dans les zones tendues deviennent des locations de longue durée ;
  • La déclaration de changement d’usage et le principe de compensation ne produiront des effets (difficiles à estimer à ce jour) d’augmentation des locations longue durée que si les collectivités ont les moyens de leur mise en œuvre (c’est-à-dire de contrôle et sanction), ce qui n’est pas prévu dans la proposition de loi ;
  • La proposition de servitude de résidence principale n’aura pas d’effet si la notion de résidence principale ou secondaire reste déclarative et que des contrôles ne sont pas mis en place.

Comme souvent, les élus à tous les niveaux estiment défendre les intérêts du plus grand nombre, mais les tendances localistes dans l’appropriation du sujet « logement » peuvent cacher la défense d’intérêts plus restreints. Dans tous les cas, la volonté de maintenir la niche fiscale, incarnée par la récente action des équipes du précédent Ministre de l’Economie[42], montre l’hésitation dans la réponse à : Quels sont les ménages qui subissent le plus la crise du logement ? Ceux qui ne peuvent pas occuper un logement stable ? Ou ceux qui n’auraient pas pu investir dans un logement pour le louer à d’autres ménages ?

Louise Cormier
Octobre 2024


[1] Au Pays basque, la crise aiguë du logement réveille le spectre de la violence : « Nos enfants sont exclus de leur territoire » (lemonde.fr)

[2] Meublés de type Airbnb : le Sénat vote très largement pour plus de régulation et moins d’avantages fiscaux (lemonde.fr)

[3] Art. L324-1-1 du Code du tourisme : « (…) les meublés de tourisme sont des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois ». La location doit être consentie à la même personne pour une durée maximale de 90 jours consécutifs. Cette définition exclut la location partielle ou partagée de logements, telles que les chambres chez l’habitant. Elle n’inclut pas non plus les locations en bail mobilité, ni les résidences de tourisme, les chambres d’hôtes ou les hôtels.

[4] Meublés touristiques : comment le Pays Basque entend freiner leur développement – Geo.fr

[5] La notion de résident local n’est en aucune manière réglementée ni clairement définie : il s’agit de personnes ayant un sentiment fort d’appartenance à un territoire par la naissance ou la résidence de longue date.

[6] https://tnova.fr/site/assets/files/50270/terra-nova_rapport_logement-priorite-aux-residents-permanents_140423.pdf?tknnf

[7]  Cf. par exemple « Alda » au Pays basque ou « Dispac’h » en Bretagne

[8] Au Pays basque, la crise aiguë du logement réveille le spectre de la violence : « Nos enfants sont exclus de leur territoire » (lemonde.fr)

[9] C’est le cas, par exemple, de ceux qui en Corse rejettent les critères administratifs qui reviendraient à « créer des Corses « fiscaux », des Corses « administratifs », des Corses de « papier » en somme, alors qu’il s’agit de privilégier « des Corses de mémoire, d’esprit, de valeurs, et de d’ambition ». https://www.lefigaro.fr/conso/les-nouvelles-conditions-du-tarif-resident-excluent-les-corses-qui-vivent-sur-le-continent-20200304

[10] Le Monde du 05–01–2023 « Les non-Canadiens interdits d’achat immobilier » et Le Figaro du 30–03–2023 « Le Portugal adopte des mesures pour lutter contre la crise du logement. »

[11] Au Pays basque, la crise aiguë du logement réveille le spectre de la violence : « Nos enfants sont exclus de leur territoire » (lemonde.fr)

[12] Pour calmer la spéculation immobilière, Granville cible les multi-propriétaires et Airbnb – Basta!; https://basta.media/Pour-calmer-la-speculation-immobiliere-Granville-cible-les-multi-proprietaires-et-Airbnb + https://www.senat.fr/fileadmin/Commissions/Affaires_economiques/2023-2024/Actualites/Essentiel_consultation.pdf

[13] Les zones tendues sont « les zones d’urbanisation continue de plus de 50 000 habitants où il existe un déséquilibre marqué entre l’offre et la demande de logements notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d’acquisition des logements anciens ou le nombre élevé de demandes de logement par rapport au nombre d’emménagements annuels dans le parc locatif social » Simulateur – Connaître la zone de sa commune : A, A bis, B1, B2 ou C – service-public.fr

[14] https://www.communaute-paysbasque.fr/vivre-ici/cadre-de-vie/lhabitat/louer-un-meuble-de-tourisme-au-pays-basque

Cette compensation peut prendre deux formes : 1) la transformation d’un local détenu ou acquis par le propriétaire 2) l’achat de droits dits de « commercialité » auprès de propriétaires souhaitant affecter à un usage d’habitation des locaux destinés à un autre usage.

[15] DEFINITION : II – Meublé de tourisme Les meublés de tourisme (cf. article L. 324-1-1 du code du tourisme) « sont des villas, appartements ou studios meublés, à l’usage exclusif du locataire, offerts à la location à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile et qui y effectue un séjour caractérisé par une location à la journée, à la semaine ou au mois ». III – Changement d’usage Est constitutif d’un changement d’usage (cf.article L. 631- du code de la construction et de l’habitation) : « le fait de louer un local meublé destiné à l’habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n’y élit pas domicile constitue un changement d’usage ».

[16] Compte du rendu de la première séance du lundi 29 janvier 2024 – Assemblée nationale (assemblee-nationale.fr)

[17]Ibid

[18] Notre Cartothèque – AUDAP: Agence d’Urbanisme Atlantique et Pyrénées

[19] Les Pyrénées-Atlantiques, un département dynamique sur les plans économique et démographique – Insee Analyses Nouvelle-Aquitaine – 109

[20] 19 mois d’attente en moyenne : la demande en logements sociaux toujours importante dans le 64 – La République des Pyrénées.fr (larepubliquedespyrenees.fr)

[21] Les Pyrénées-Atlantiques, un département dynamique sur les plans économique et démographique − Les départements de Nouvelle-Aquitaine à grands traits | Insee

[22] Assises-du-Tourisme-64_VD-002-compressed.pdf (schema-tourisme64.com)

[23]Logement au Pays Basque : vers la fin des Airbnb à l’année ? La limitation de la location courte durée produit ses premiers effets (francetvinfo.fr)

Locations touristiques à Biarritz : la mesure pour freiner les logements « airbnb » entre en vigueur (francetvinfo.fr)

[24] A Biarritz, près de 300 logements retirés du marché des meublés touristiques de courte durée (20minutes.fr)

[25] Locations touristiques à Biarritz : des fraudeurs convoqués au tribunal pour la première fois (sudouest.fr)

[26] Logement au Pays Basque : la prolifération des meublés de tourisme stoppée par la mesure de compensation – France Bleu

[27] Locations touristiques à Biarritz : la mesure pour freiner les logements « airbnb » entre en vigueur (francetvinfo.fr)

[28] Airbnb : voici ce qu’a gagné un hôte en 2022 en mettant son bien en location sur la plateforme (capital.fr)

[29] Saint-Malo : Ces propriétaires qui délaissent Airbnb et les locations courte durée (20minutes.fr)

[30] Le rapport LE MEUR : mon analyse | par Me Paul DUVAUX (consultation.avocat.fr)

[31] C’est le cas par exemple des publications d’agence d’urbanisme comme l’addrn, addrn.fr/app/uploads/2023/07/decryptage14_residencesSecondairesVF.pdf

[32] Applicable depuis le 1er mars 2023.

[33] PLU et RESIDENCES SECONDAIRES.pdf (gridauh.fr) / https://www.gridauh.fr/sites/default/files/u473/PLU et RESIDENCES SECONDAIRES.pdf

[34] Dans l’émission du 16 juin 2022 du « Temps du Débat » le maire de Bayonne invite entre les lignes ses habitants à la délationFlambée de l’immobilier dans les zones touristiques : quelle place pour les locaux ? (Radiofrance.fr)

[35] La pratique canadienne donne une idée de la complexité administrative qui s’attache à ce type de distinction. Le droit d’un propriétaire sur un immeuble résidentiel serait exempté pour une année civile si le propriétaire satisfait au critère d’« occupation admissible » à l’égard de l’immeuble résidentiel pour l’année civile. Conformément à ce critère, un immeuble résidentiel devrait être occupé, durant des périodes d’au moins un mois chacune totalisant au moins six mois de l’année, par une personne qui est un « occupant admissible » au Canada. Loi sur la taxe sur les logements sous-utilisés (L.C. 2022, ch. 5, art. 10)

[36] Consulter le SCoT – Site officiel de Quimperlé Communauté (quimperle-communaute.bzh)

[37] A Paris, les contrôles des meublés touristiques se multiplient à l’approche des JO : « En cas d’infraction vous risquez jusqu’à 50 000 euros d’amende » (lemonde.fr)

[38] https://www.senat.fr/fileadmin/Commissions/Affaires_economiques/2023-2024/Actualites/Essentiel_consultation.pdf

[39] A Paris, les contrôles des meublés touristiques se multiplient à l’approche des JO : « En cas d’infraction vous risquez jusqu’à 50 000 euros d’amende » (lemonde.fr)

[40] Cour d’appel de Paris, Chambre 1-2, 24 novembre 2022, 21/17745 (pappers.fr)

[41] Réglementation location saisonnière : les 4 techniques pour louer plus de 120 jours (smartloc.fr) / une faille juridique pour louer sans limitation de durée sur airbnb ? | DEMEUZOY AVOCATS (demeuzoy-avocat.com)

[42] Niche fiscale « Airbnb » : Bercy se fait corriger par le Conseil d’Etat | Les Echos

Auteur/autrice

  • Louise Cormier

    Louise Cormier est urbaniste, spécialiste des enjeux d’aménagement et de participation citoyenne. Titulaire du double master de recherche en urbanisme et stratégie territoriale de la London School of Economics et de l’IEP de Paris, elle a rejoint en 2023 la direction conseil et aménagement de Systra en tant que responsable d’études.

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