Note de lecture – Gaspard Lion : Vivre au camping
Sociologue et maître de conférences à l’université Paris Nord, Gaspard Lion a consacré sa thèse de doctorat et cet ouvrage à l’habitat dans des campings.
Entre 2012 et 2017, il a vécu de manière intermittente dans un camping, partageant le quotidien des résidents. Il a poursuivi son enquête de manière plus ponctuelle dans 5 campings de la région parisienne entre 2018 et 2022. Enfin, à partir de 170 entretiens, de nombreuses conversations informelles, des données statistiques et des archives, il a cherché à comprendre les dynamiques sociales et les modes de vie propres à cet habitat marginalisé.
Les objectifs de cette recherche sont triples et relèvent d’une forme de militantisme puisqu’il s’agit selon l’auteur « de contribuer à la connaissance du mal logement en milieu périurbain et rural, de dépasser le point de vue misérabiliste porté sur l’habitat non ordinaire et enfin d’éclairer certaines recompositions des styles de vie résidentiels et des rapports au logement des classes populaires contemporaines ».
Sans reprendre l’ensemble des conclusions de ce travail, l’enquête de Gaspard Lion révèle plusieurs éléments essentiels de connaissance sur le camping résidentiel.
D’abord, l’ampleur du phénomène. Comme il n’existe aucun chiffre officiel, Gaspard Lion se réfère de manière classique au rapport de la Fondation Abbé Pierre (dorénavant Fondation pour le logement des défavorisés) qui estime que 200 000 personnes vivraient en habitat mobile dans de mauvaises conditions et au moins 100 000 personnes vivraient à l’année dans des campings dédiés au tourisme. Loin des 20 millions de personnes, soit 7% de la population, vivant dans des mobile-home aux États-Unis, ce chiffre est cependant loin d’être négligeable et tend à croitre si l’on en croit les témoignages recueillis auprès des exploitants de camping par Gaspard LION.
Ensuite la diversité des profils des résidents. Si l’ appartenance à la classe populaire unit les habitants de ces campings résidentiels force est de constater qu’ils ne sont pas homogènes, qu’ils ne poursuivent pas les mêmes buts et ne disposent pas des mêmes resources. On y trouve des familles, des retraités, des travailleurs précaires et des personnes en quête d’un mode de vie alternatif. Les raisons qui poussent les individus à choisir le camping résidentiel sont variées. Certains y voient une solution économique face à la crise du logement, tandis que d’autres recherchent un mode de vie plus proche de la nature et moins contraignant.
Gaspard Lion a classé ces résidents en 3 catégories.
La première comprend les personnes les plus aisée qui auraient choisi ce mode d’habitat dans des campings généralement haut de gamme comme une alternative à la maison individuelle inaccessible et au mode de vie qui lui est associé. Avec un revenu moyen mensuel de plus de 2 200 euros par ménage, ils se situent entre le quatrième décile et la médiane de la population générale ils vivent majoritairement en couple et sans enfant. Leur âge moyen est de 51 ans. Leur ancienneté dans le camping s’étend de 9 mois à 28 ans. Majoritairement employés ou ouvriers, ils se caractérisent par la stabilité de leur emploi. Propriétaires de leur mobil-home acheté neuf ou d’occasion, ils louent la parcelle sur laquelle il est posé entre 250 et 500 euros par mois.
La deuxième catégorie est constituée d’habitants pour lesquels vivre en camping représente un déclassement social. Vécu comme douloureuse, cette situation est le résultat de ruptures professionnelles ou familiales, voire d’expulsions. Le niveau de vie moyen de ces habitants, de l’ordre de 1 500 euros mensuel, est proche du deuxième décile des niveaux de vie de la population générale. Il s’agit majoritairement d’hommes seuls, valides et sans enfant. Le niveau des loyers dans le parc privé et les difficultés pour accéder à un logement social les a conduits dans ces campings dans lesquels ils ont acheté à moindre coût un mobil-home ou une caravane d’occasion (750 euros en moyenne). Le loyer mensuel de la parcelle dans ces campings de faible de standing est en moyenne de 187 euros par mois.
La troisième catégorie de populations qui résident dans des campings est caractérisée par Gaspard Lion par ce qu’il appelle « l’habitat précaire assumé » ou l’expérience « du faire avec ». Il s’agit de personnes qui disposent de faibles revenus de l’ordre de 900 euros disponibles par mois en moyenne, soit sous le 1er décile de la population générale. Travailleurs précaires, ou vivant de minima sociaux et souvent marginalisés, ils sont arrivés au camping le plus souvent à la suite d’une rupture familiale à l’issue d’une vie pauvre. Ayant renoncé à la recherche d’un logement ordinaire, la solution du camping est vécue par eux comme un moindre mal leur permettant de s’approprier un endroit à soi, avec un jardin, la pêche, des voisins semblables et plus ou moins solidaires. Ne bénéficiant pas d’aides au logement et disposant de revenus faibles cette solution est cependant pour eux très onéreuse.
Au-delà de ces catégories telles que les décrit Gaspard Lion, des constantes demeurent pour tous ces habitants.
Aux coûts variables de la location de la parcelle et de la location ou de l’acquisition des mobile-homes ou caravanes, tous doivent ajouter le montant de factures d’électricité particulièrement élevées du fait de la très grande vulnérabilité de ce type d’habitat au froid et à l’humidité. Ils doivent aussi subir un statut d’occupation précaire que l’exploitant du camping peut remettre en cause à tout moment en leur demandant de partir sans délai et sans indemnité. Enfin, vivre en camping résidentiel implique de faire face à des défis quotidiens, tels que l’accès à l’eau, à l’électricité et aux services de santé. Sans parler de la stigmatisation sociale qu’un tel type d’habitat suscite invariablement.
L’étude de Gaspard Lion sur le camping résidentiel apporte une contribution intéressante à la compréhension de ce phénomène social. En adoptant une approche immersive et comparative, il a pu mettre en lumière la diversité des parcours des résidents et les difficultés de la vie en camping.
Frédérique Lahaye
Février 2025