Régulation du marché locatif privé Commentaire – très partiel – du rapport 2025 de la Fondation Abbé-Pierre
Il n’est pas sans intérêt de regarder plus en détail de quoi il s’agit.
1/ Concernant l’encadrement des loyers, la FAP estime que « Outre l’effet modérateur sur les loyers, qui semble difficile à contester, le débat sur l’encadrement devrait porter sur les effets de ce dispositif sur l’offre disponible de logements locatifs. En effet, ses détracteurs l’accusent de réduire le rendement locatif et de décourager les investisseurs. »[3]
Or l’effet modérateur de l’encadrement sur les loyers n’a rien d’évident. Selon le dernier bilan de l’Observatoire des loyers de l’agglomération parisienne (Olap[4]), parmi les baux conclus en 2023 à Paris, 28% des loyers dépassaient le loyer médian majoré, contre 26% en 2015, l’année où l’encadrement est entré en vigueur. L’Olap constate également qu’entre 2022 et 2023, les loyers passant au-dessus du plafond sont plus nombreux que ceux revenant dans la fourchette[5]. Toutefois, la hausse des loyers supérieurs au plafond a été moindre que celle des loyers situés dans la fourchette, ce qui conduit l’Olap à conclure que « ces résultats sont la preuve d’un effet incontestable, bien que modeste, de l’encadrement des loyers, l’évolution des loyers au-dessus du plafond étant inférieure à celle de l’IRL ».
Rappelons que le fait que le loyer dépasse le plafond du loyer médian majoré n’est pas illégal. La loi autorise en effet le bailleur à appliquer un « complément de loyer […] pour des logements présentant des caractéristiques de localisation ou de confort le justifiant, par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique »[6]. Le locataire peut contester les motifs invoqués pour justifier ce complément, mais la fréquence des dépassements semble indiquer que les contestations sont peu nombreuses.
Faut-il regretter la modestie de l’effet de l’encadrement et suggérer un contrôle renforcé de son application ? A l’évidence non, car le contrôle strict des loyers entraîne de graves effets pervers. L’ignorer revient à méconnaître l’importante littérature économique sur le sujet, dans laquelle les études empiriques rejoignent l’analyse économique pour mettre en évidence les effets qui en découlent : raréfaction de l’offre, défaut d’entretien des logements et des immeubles, développement des pratiques occultes. En France, le blocage des loyers instauré à l’occasion de la première guerre mondiale[7] a entraîné au lendemain de la seconde guerre mondiale la pénurie[8] qui a motivé, quelques années plus tard, l’appel de l’Abbé Pierre. Si l’on veut en avoir un exemple actuel, on peut le trouver en Suède, seul pays européen où un contrôle strict des loyers est en vigueur. Les publications abondent pour dénoncer ses effets : files d’attente de cinq à dix ans pour accéder à une location licite, développement de la sous-location au noir à des prix exorbitants, revente illicite des baux, généralisation des dessous de table, allocation inefficace des logements, les locataires en place n’ayant pas intérêt à déménager.
2/ Plus convaincant nous parait être le soutien aux mesures prises fin 2024 pour tenter de limiter le développement des meublés touristiques en réduisant l’avantage fiscal associé à ce type d’activité et surtout le regret que la réforme fiscale plus structurelle destinée à encourager la location longue durée, en particulier en location nue, se fasse encore attendre. En effet, la part des locations meublées dans l’ensemble de l’offre locative n’a cessé d’augmenter, comme le montre le graphique ci-après. Ce mouvement, qui s’est accéléré depuis 2015, est principalement motivé par des rendements plus élevés et un régime d’imposition des revenus locatifs beaucoup plus favorable.
De plus la loi adoptée « (…) après des mois voire des années de blocage et de procrastination, (…) donne aux collectivités locales des outils indispensables pour limiter la prolifération des meublés touristiques mis en location via des plateformes comme Airbnb, qui assèchent le marché locatif privé de longue durée (…) Elle prévoit également d’aligner les règles de performance énergétique des locations touristiques sur celles des locations classiques afin d’éviter les « fuites » de la location longue durée vers les meublés touristiques qui n’étaient jusqu’ici pas soumise aux obligations de rénover. Hélas, ces obligations énergétiques ne s’imposeront qu’en 2034 pour les meublés touristiques actuels (et dès à présent en cas de demande d’autorisation d’un nouveau meublé touristique), ce qui laisse 10 années supplémentaires d’avantage compétitif aux locations saisonnières touristiques..»[9].
En résumé, le chemin à parcourir pour mettre fin à la concurrence « déloyale » des meublés au détriment des locations nues de longue durée sera long, ce que l’on ne peut que déplorer avec la Fondation. Ceci est d’autant plus inquiétant qu’à l’avenir, avec la disparition du Pinel, les sorties conséquentes du parc locatif donné en location nue ne seront plus compensées par l’apport de la construction neuve. Ceci est une réalité incontournable quel que soit le jugement porté sur ce type d’avantage fiscal. La revendication d’un effort plus marqué en termes de loyer parait aujourd’hui sans portée.
3/ Troisième constat-proposition du rapport (qui déplore les faibles résultats en la matière), la nécessaire plus grande mobilisation du parc privé existant pour favoriser l’accès au logement des ménages pauvres et modestes (mobilisation des logements vacants, conventionnement du parc locatif privé, intermédiation locative…)[10]. Alors que depuis des décennies toutes les études sur la vacance attestent que les logements potentiellement recyclables constituent une portion congrue, le rapport se borne prudemment à souhaiter une intensification de la lutte contre la vacance par une taxation renforcée, sans aucune mention sur les risques associés. S’agissant du conventionnement privé, « Entre 2007 et 2023, plus de 188 000 logements ont été conventionnés par l’Anah dans le parc privé, avec ou sans travaux, auprès de bailleurs privés. Alors que 1,5 million de nouvelles locations ont lieu chaque année dans le parc privé, le nombre de logements nouvellement conventionnés à des niveaux de loyer maîtrisés apparaît particulièrement faible. Le flux a régulièrement diminué, passant de 16 267 logements en 2008 à 7 481 en 2023 (dont 57 % en loyer social ou très social, le reste en loyer intermédiaire). (…) À noter que l’offre « très sociale » demeure extrêmement limitée : elle ne représente que 452 logements en 2023 (6 % des conventionnements). Ces chiffres ne comprennent pas les conventions signées avec les bailleurs institutionnels, qui ont connu une chute encore plus forte au cours de la période. Cette diminution générale s’explique notamment par la réorientation, depuis 2011, des aides de l’Anah en faveur des propriétaires-occupants au détriment du conventionnement à loyer maîtrisé dans le parc locatif. De plus la hausse des loyers libres du parc locatif privé rend les conventionnements Anah moins attractifs »[11]. Le constat est amer et rien ne permet de dire que la tendance, compte tenu des outils existants (bien décrits dans ce rapport) pourrait s’inverser.
En conclusion, si rien n’est fait pour mettre au centre de la politique du logement un développement général du parc privé en location nue, on pourra sans aucun doute continuer à déplorer l’existence de tensions croissantes pour les ménages les plus pauvres. Surtout si, dans le même temps, la production HLM et la mobilité au sein du parc continuent de décroître alors que l’exercice du droit au logement fait porter l’effort sur ce seul parc. Dans le même temps, la question de savoir si un effort conjoint et continu de construction et de mobilisation du parc vacant est ou non à même de résoudre la crise, ou plus exactement le blocage des parcours résidentiels, reste posée.
Bernard Coloos
Février 2025
[1] Cette note ne traite que de la question de l’accès au parc privé, qui n’est pas le thème principal du rapport. Celui-ci aborde de nombreux autres sujets, dont notamment celui du logement des personnes handicapées qui fait l’objet d’un chapitre entier.
[2] Page 40 du rapport.
[3] Page 144. Le rapport ajoute : Or, si la baisse de l’offre locative privée est avérée depuis trois ans, elle ne se concentre pas sur les villes encadrant les loyers mais touche autant des villes comme Toulouse, Nice ou Strasbourg. Ce phénomène s’expliquerait donc par d’autres facteurs, comme la hausse des taux d’intérêt, le grippage du marché immobilier et la concurrence des locations touristiques.
[4]https://www.observatoire-des-loyers.fr/sites/default/files/olap_documents/rapports_loyers/Rapport%20Paris%202024.pdf
[5] C’est-à-dire compris entre le loyer médian minoré et le loyer médian majoré.
[6] Loi Elan du 23 novembre 2018, art. 140
[7] Blocage levé en 1948 pour les seules nouvelles constructions. Pour le parc construit avant cette date, l’histoire de leur sortie progressive du blocage dépasse le cadre de cette note.
[8] Bertrand de Jouvenet, « Rien à louer », politiquedulogement.com, novembre 2020.
[9] Page 145 du rapport
[10] Pages 232 et suivantes du rapport.
[11] Page 234 du rapport