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Entre apparitions et disparitions, quel est le poids de la restructuration du parc ancien sur l’offre totale de logements ?

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Une nouvelle approche des sources fiscales permet de quantifier et de localiser à l’adresse les phénomènes de restructurations dans le parc existant. D’abord expérimentée pour étudier les créations par divisions de logements sur le territoire de la Métropole européenne de Lille, la méthode du Cerema a fait l’objet d’un déploiement national et apporte des éléments de connaissance nouveaux sur l’importance et la localisation de ces restructurations dans le bâti ancien.

Introduction

Particulièrement débattue depuis le début des années 2020, la question des besoins en logements a fait l’objet de six études publiées en 2023 et 2024[1] et a été alimentée par les travaux du Conseil national de refondation (CNR). Plusieurs raisons ont conduit à la vivacité de ces réflexions : enjeux financiers liés à la politique du logement, volonté de limiter les émissions de gaz à effet de serre liées à la construction, révision des projections démographiques, et plus récemment, diminution spectaculaire de la construction de logements[2].
Dans les nombreuses estimations des besoins potentiels en logements avancés, l’apparition ou la disparition de logements par restructuration de locaux existants ou par changement d’affectation[3] sont très peu analysées. «Outre les démolitions, les autres entrées et sorties du parc de logements ordinaires pourraient ne pas rester marginales [] Le phénomène est complexe, très peu documenté et difficile à quantifier. On considère généralement ce solde comme marginal ou nul» (Vivinis M., 2024). Cette question prend encore plus de relief compte tenu des enjeux de limitation de la consommation foncière portés par les pouvoirs publics, symbolisé par l’objectif désormais bien connu de « Zéro artificialisation nette »[4].
L’objet du présent article est de préciser l’ampleur de ce phénomène. Au-delà de l’enjeu quantitatif, les restructurations de bâtiments s’articulent avec de nombreuses autres questions : l’adaptation du parc de logements à la demande (par rapport à la baisse de la taille des familles), les incidences des restructurations sur l’habitat insalubre, le développement des meublés de tourisme disponibles sur les plateformes (Airbnb), les effets du permis de diviser ou encore la transformation de bureaux et hôtels en logements.
Bénéficiant d’une connaissance approfondie des fichiers fonciers, le Cerema les a tout d’abord mobilisés pour répondre à une demande de la Métropole européenne de Lille (MEL).

I – L’étude du Cerema pour le compte de la Métropole Européenne Lille

Contexte
En avril 2019, la MEL a instauré une autorisation préalable aux travaux de division concernant les propriétaires bailleurs mettant des biens en location dans tout ou partie de 22 communes sur les 95 que contient la métropole, pour lesquelles un enjeu avait été identifié. Ce dispositif juridique[5] a pour objectif de prévenir la mise sur le marché locatif de biens indignes. Or, la métropole constate que le nombre de dossiers relatifs au permis de diviser demeure faible et suppose que des pratiques de divisions se font sans passer par cette procédure, intentionnellement ou par manque d’information.
En vue d’objectiver ces hypothèses, mais aussi d’affiner la connaissance du phénomène (secteurs concernés, profils des propriétaires et des logements, dynamique à l’œuvre…), la Métropole Européenne de Lille a confié au Cerema une mission de création d’un observatoire de la division de logements, à l’heure où les enjeux de sobriété foncière invitent à porter une attention renforcée au recyclage urbain.
Il est vite apparu que la méthode d’observation devrait distinguer les divisions de logements parmi les diverses restructurations qui affectent le parc (réunions, changements d’affectation…) et d’analyser les évolutions.
Un état initial d’un observatoire a donc été construit et confié à la collectivité qui pourra l’actualiser (encadré).

La méthode – Une comparaison des millésimes des fichiers fonciers 2014-2023
Base annuelle d’origine fiscale, les fichiers fonciers décrivent de manière détaillée le foncier, les locaux ainsi que les différents droits de propriété qui leur sont liés. Depuis 2009, le Cerema retraite, géolocalise et enrichit les données « Mise à Jour des Informations Cadastrales » (MAJIC) de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) pour le compte du ministère en charge du Logement, afin de permettre aux acteurs publics de réaliser facilement des analyses fines et comparables sur leur territoire.
Cette méthode comprend deux étapes principales :
1/Identification des numéros des locaux apparus ou disparus entre deux millésimes consécutifs au sein de bâtiments existants
Chaque local des fichiers fonciers dispose d’un numéro unique (idlocal), qui demeure stable dans le temps, sauf en cas d’évolution substantielle du bâti. Ainsi, un logement qui devient un local d’activité change de numéro. C’est également le cas pour une maison qui est divisée en appartements. L’idlocal de la maison disparaît tandis que des nouveaux numéros de locaux apparaissent pour les appartements issus de la division de la maison, le tout dans un bâtiment construit depuis plusieurs années dont le numéro (idbat) reste stable (sauf exceptions).
Dans un premier temps, toutes les évolutions de numéros de locaux dans du bâti ancien contenant au moins un logement en année N ou N-1 ont donc été identifiées.
2/ Qualification des évolutions à partir des informations sur les locaux
En second lieu, ces évolutions sont classées à partir d’informations disponibles à l’échelle des locaux :
– augmentation, diminution, stabilité du nombre de locaux ou de leur surface par type (appartement, maison, activité, dépendance) ;
– utilisation de la variable DNATCG qui renseigne sur la cause de la dernière évolution de la taxe foncière et notamment la division d’un local, la réunion de locaux et le changement d’affectation.

Grâce à des retours de terrain, notamment de la part du service urbanisme d’une commune, et un croisement avec la base Sitadel des permis de construire, la méthode a pu être ensuite consolidée et affinée.
En raison de la nature fiscale des données, il peut s’écouler plusieurs années entre la réalisation des travaux de restructuration et leur enregistrement dans les fichiers fonciers. Par conséquent, il est important de ne pas accorder trop d’importance à la date précise d’apparition de la restructuration. Il est préférable d’analyser les tendances en lissant les données sur plusieurs années.


Résultats
Entre 2014 et 2023, environ 7 800 logements ont été créés par restructuration dans le territoire de la MEL. Ces restructurations représentent 12 % des logements créés, dont au moins la moitié par division de logements. La division concerne donc un volume significatif de logements et a lieu dans près de 90% des cas dans le parc privé. Dans le même temps, 4 800 logements ont disparu à la suite d’une fusion ou à un changement d’affectation, soit un peu plus d’un tiers des disparitions pour cette période. Hors démolition et construction, le patrimoine de logements a donc tendance à augmenter structurellement sur le territoire de la MEL du fait des restructurations internes, selon un ratio de deux logements qui apparaissent pour un logement qui disparaît.
L’étude locale a permis de dégager un certain nombre d’autres conclusions.
Le phénomène de division s’observe particulièrement dans des espaces urbains denses, où la part des ménages pauvres est importante et où résident davantage de familles nombreuses par rapport à la moyenne de la Métropole. Il produit, dans 75% des cas, des logements de moins de 60m². En outre, le processus tend à s’amenuiser, notamment sous l’effet du permis de louer, mais sans doute aussi par érosion du potentiel (graphique n°1). Il porte avant tout sur des maisons et des logements anciens (82 % des logements divisés datent d’avant 1948). Environ un quart des logements divisés était vacants trois ans avant l’apparition de la restructuration dans les bases fiscales. En outre, ces logements appartiennent à des ménages locaux (à 77 %) et non extérieurs au territoire de la MEL. Les logements issus de la division deviennent très majoritairement locatifs au terme de leur restructuration (à 64 %, 11 % de propriétaires occupants et 24 % sont vacants). Parmi les détenteurs des biens, on observe une surreprésentation des propriétaires personnes morales privées (en particulier des SCI) et des multipropriétaires.

II – La généralisation à l’ensemble du territoire national (y compris les cinq départements et région d’Outre-mer) pour la période 2018-2024

À la suite de l’expérience lilloise, la méthodologie a été appliquée à l’ensemble du territoire national pour les millésimes 2018-2024. L’identification des restructurations permet en creux d’obtenir un chiffrage des constructions neuves et des démolitions en les soustrayant au total des logements apparus et disparus durant ces mêmes années.

Pour cette période, 48 350 logements par an en moyenne ont été identifiés comme ayant été créés par restructuration et localisés à l’adresse. Ces restructurations représentent près de 12 % des logements apparus dans les bases fiscales pour cette période, dont 33 % par division, 42 % par changement d’affectation et 25 % de créations par restructurations que l’on n’a pas pu classer faute d’information précise dans les fichiers fonciers.
32 900 logements par an ont disparu à la suite de réunions, de transformations en locaux d’activité ou autres restructurations non qualifiées, soit 1/3 des disparitions de logements répertoriées dans les fichiers fonciers.
En rythme annuel, on obtient donc une moyenne de 318 400 nouveaux logements par an en France, dont près de 15 450 (4,8 %) issus de restructurations.
Ces résultats sont en cohérence avec les chiffres de la construction neuve du le Service des données et études statistiques (SDES) du Ministère en charge du logement et l’estimation annuelle du parc de logement de l’INSEE pour cette période.

Comparaison des résultats avec d’autres sources
En octobre 2024, Alexandre Coulondre, Anne D’Orazio, Anne-Laure Jourdheuil et Claire Juillard publiaient un article chiffrant le phénomène de transformation des locaux d’activités en logements à l’échelle nationale à partir des autorisations présentes dans Sitadel2 (Coulondre A. et al., 2024). Pour la période 2018 – 2023, leur méthode a permis de répertorier 24 100 créations de logements par an, en moyenne. En s’appuyant sur les fichiers fonciers et sur les mêmes années, la méthode Cerema identifie 19 600 logements par an issus de changements d’affectation. Si l’on redistribue les locaux ayant été classés en « hausses par autres restructurations » faute d’informations précises dans les bases fiscales, on obtient une moyenne annuelle de 26 000 logements. Sachant que, d’un côté, les changements d’affectations comprennent des cas de changements d’usages ne faisant pas l’objet d’un dépôt de permis de construire ou encore des dépendances et que, de l’autre, les autorisations d’urbanisme ne sont pas toujours suivies des travaux, les ordres de grandeur sont cohérents sans pouvoir être totalement comparables.
Dans un calendrier proche de l’étude réalisée pour la Métropole européenne de Lille, le Service des données et études statistiques (SDES) a réalisé des travaux concernant les projections des besoins en logements à horizon 2050 qui doit prochainement faire l’objet d’une publication. De nature prospective et n’ayant pas vocation à fournir des données à l’adresse, les travaux du SDES incluent au demeurant les créations et disparitions de logements par restructurations identifiées également à partir des fichiers fonciers. Des échanges entre nos services ont permis de conclure à une convergence de nos résultats pour ce qui concerne les créations de logements, et à des tendances similaires au fil des années. Des écarts plus importants ont été observés pour ce qui relève des disparitions – notamment les réunions de logements – mais cela peut s’expliquer par des approches méthodologiques et des choix de ré-affectations différents lorsque l’information fait défaut dans les sources fiscales.
Enfin, les données à l’adresse sont actuellement aux mains de collectivités territoriales chargées de vérifier la fiabilité des traitements et des situations identifiées à partir des fichiers fonciers. Cette étape est un préalable nécessaire avant d’envisager une diffusion plus large aux ayants droit des données foncières.

Dans quelles catégories de communes s’observent les créations de logements par restructuration ?
Afin d’observer comment se ventilent les créations de logements par restructurations, les résultats obtenus ont été croisés avec la grille communale des densités de l’Insee.


Sans surprise, on observe les restructurations en premier lieu dans les grands centres urbains qui concentrent 30 % des locaux aménagés dans le parc préexistant. Viennent ensuite les communes jouant un rôle de pôle secondaire que sont les centres urbains intermédiaires et les bourgs ruraux. Hormis pour les ceintures urbaines, les hausses par changement d’affectation sont plus nombreuses que les divisions de logements. Dans chaque catégorie de territoires, les baisses par changement d’affectation sont plus nombreuses que les réunions de logements.
Le solde créations/disparitions est positif pour chacune des familles de communes, mais beaucoup moins marqué dans les zones rurales. C’est dans les centres urbains intermédiaires que les restructurations présentent le solde le plus dynamique avec 10 logements créés pour 6 logements disparus.
Si l’on compare le nombre de biens issus d’une restructuration (toutes transformations confondues et pour la période 2018-2024) au stock de logements 2018, on constate que les centres urbains intermédiaires sont les plus concernés avec 16,3 logements issus de restructurations pour 1 000 logements. Arrivent ensuite les petites villes (15 ‰), les bourgs ruraux (14,3 ‰), les ceintures urbaines et les grands centres urbains (environ 12 ‰) et enfin les zones rurales à habitat dispersé (11 ‰). Au regard de la totalité du parc, les écarts sont donc relativement modestes entre les différentes familles de densité des communes.

Des phénomènes identifiés au bâtiment
Les travaux menés à partir des fichiers fonciers permettent un repérage des locaux restructurés à l’échelle du bâtiment fiscal, dans la plupart des cas, ou tout du moins à la parcelle. Ils offrent donc la possibilité d’identifier les secteurs à forts enjeux et pourraient venir à terme appuyer la mise en œuvre de politiques publiques locales, telles que l’autorisation préalable aux travaux de division. À titre d’illustration, des cartes de chaleurs concernant les bâtiments concernés par des divisions et des réunions de logements à Paris sont ici présentées.

Cartes n°1 et n°2 : Répartition des bâtiments concernés par des divisions de logements et des réunions de logements à Paris d’après les fichiers fonciers 2018 à 2024

Bien que plus intenses dans certains quartiers, et en particulier dans le 10e arrondissement, les divisions sont davantage réparties sur le territoire parisien que les réunions de logements. Ces dernières sont particulièrement présentes dans les 10e et 11e arrondissements ainsi que dans le quartier Pernety.

Conclusion

Cette étude permet donc de quantifier et localiser la création de logements par restructurations, révélant des dynamiques complexes qui méritent une attention particulière et certains approfondissements. Un enjeu serait ainsi de passer d’une logique de recensement des phénomènes de restructurations passés à une logique d’estimation d’un potentiel pour les prochaines années, prenant en compte les coûts de transformation et basée sur des scenarios d’adaptation (transformation des locaux vacants, évolutions vers des typologies en adéquation avec la taille des ménages…).
Des prolongements à ces travaux sont envisagées, notamment l’étude plus poussée des caractéristiques des locaux d’activités tertiaires et des logements concernés par de la restructuration.
La restructuration de locaux anciens constituant à la fois une piste pour répondre en partie aux besoins en logements tout en représentant un risque d’apparition d’un parc indigne, il est essentiel d’intégrer les phénomènes liés au bâti existant dans les stratégies de planification urbaine, et de se saisir des outils juridiques disponibles, tels que l’autorisation préalable de diviser, pour veiller à produire un parc de qualité.

Gilles Verley, Sylvain Guerrini et Olivier Dupré, mai 2025


Bibliographie

Vivinis M. (2024), Combien faut-il construire de logements neufs en France ?, Politiquedulogement.com, mai

Driant J.-Cl. (2023), Le besoin de construction de logements neufs. Méthodes et controverses, Politiquedulogement.com, juin.

Forcier M. (2024), , Peut-on répondre aux besoins en logements en mobilisant le parc existant ? Trésor-Eco, N° 347, juillet

Dupré O., Bercegol L. (2024), Faciliter l’évaluation des besoins en logement par les acteurs locaux : la démarche Otelo,  Politiquedulogement.com, janvier

Coloos B. (2023) Logement : demande potentielle et besoins immédiats, les implications méthodologiques et les nécessaires compléments, (https://www.union-habitat.org/sites/default/files/articles/pdf/2023-09/brochure_logement_-_demande_potentielle_et_besoins_immediats.pdf)

Defay M. et Driant J.-Cl. (2023) Transition écologique et logement pour tous : rendre l’équation possible, Politiquedulogement.com, septembre.

Habitat et territoire Conseil (2023) Quels besoins en logements sociaux à l’horizon 2040 ? (https://www.union-habitat.org/etude-quels-besoins-en-logements-sociaux-l-horizon-2040)

Gaspard A. (2023) Quelle méthodologie pour le calcul des logements neufs dans les scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME ? (https://politiquedulogement.com/2023/07/quelle-methodologie-pour-le-calcul-des-logements-neufs-dans-les-scenarios-transitions-2050-de-lademe/), Politiquedulogement.com, juillet

Bovieux J. (2019), Faut-il construire plus de logements ?, politiquedulogement.com, février.

Coulondre A. et al. (2024), La transformation des locaux d’activités en logements : le bureau qui cache la diversité, octobre.

Verley G. (2024), Division de logements dans la MEL : Phénomènes de restructurations observés entre 2014 et 2023


[1]ADEME, ESCP-FPI, USH, Institut Thomas More, politiquedulogement (VIVINIS), Agnès Benassy-Quéré, économiste en chef du Trésor lors du CNR Logement en 2023

[2] Au cours de l’année 2024, 263 000 logements ont été mis en chantier, soit 32 900 de moins (- 11,1 %) qu’en 2023, et 33 % de moins qu’au cours des 12 mois précédant la crise sanitaire (mars 2019 à février 2020), données Sit@tel, Construction de logements – Résultats à fin décembre 2024 (France entière) – N° 703 – Janv. 2025, SDES

[3] La formule « changement d’affectation » utilisée dans cet article est reprise de la DGFiP qui l’emploie notamment pour la variable DNATCG. L’affectation d’un local n’est pas une notion juridique mais plutôt un terme usuel qui désigne prioritairement le changement de destination, mais qui peut aussi concerner des changements d’usage.

[4] Pour lutter l’artificialisation des sols, la loi « Climat et résilience » du 22 août 2021 a défini un objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) pour 2050.

[5] Cf. art. 91 de la Loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR),

[6] Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Mayotte

 

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