Réduction de loyer de solidarité dans le parc social : usine à gaz à tous les étages
La complexité des dispositifs de gestion des politiques publiques y est, au moins partiellement, pour quelque chose. À trop vouloir bien faire on fait souvent mal : les acteurs publics comme privés dépensent beaucoup d’énergie et d’argent pour comprendre (ou essayer de comprendre…) et pour appliquer au mieux les dispositifs définis par l’État.
Cet article propose un exemple pour illustrer le propos : la réduction de loyer de solidarité (RLS) appliquée à certains locataires du parc social. On ne jugera pas ici le dispositif sur le fond[1], sur ses impacts financiers, mais sur la technique employée pour le mettre en œuvre[2].
En quoi consiste la RLS ?
Son nom laisserait croire à une baisse des loyers dans le parc Hlm. Il n’en est rien ; le nom s’avère bien trompeur. Ce nouveau dispositif, mis en place en 2018, part de la volonté de maitriser les dépenses publiques et, dans le cas d’espèce, de baisser les Aides Personnelles au Logement (APL). Mais baisser les APL conduit à toucher des ménages aux revenus très modestes. Alors comment baisser une aide au logement sans pénaliser les locataires bénéficiaires ? La solution trouvée par l’État est de baisser les loyers. Voilà l’idée : une économie pour l’État assumée en fait par les propriétaires et, comme l’État n’est pas en mesure d’imposer une telle baisse aux bailleurs privés, le dispositif ne s’applique qu’aux locataires du parc social. En sous-jacent, l’Etat est convaincu que les organismes Hlm disposent de l’assise financière pour supporter cette baisse de ressources[3].
Architecture du dispositif
La RLS repose sur un nouveau droit ouvert aux locataires Hlm sous conditions de ressources (afin de ne concerner, théoriquement, que des ménages allocataires de l’APL qui sont la cible de la mécanique). Ce droit consiste en une baisse de loyer fonction de la taille du ménage et de la localisation géographique[4] du logement. Cette baisse s’impose aux organismes Hlm qui ont dû modifier les quittances des locataires pour la faire apparaître.
Dans le texte initial[5], la gestion du dispositif reposait sur les organismes Hlm eux-mêmes, ce qui impliquait qu’ils réalisent une enquête sur les revenus de tous leurs locataires pour repérer les ménages éligibles, calculer la RLS, l’appliquer au loyer en cours et transmettre cette information[6] à la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) qui gère l’APL.
Heureusement, sur ce point, les bailleurs Hlm ont évité le pire, à savoir le coût important d’une enquête annuelle exhaustive auprès de 5 millions de ménages. C’est à la CNAF, qui connait les revenus des bénéficiaires de l’APL, qu’il revient finalement d’appliquer le dispositif de la RLS au sein de son programme de calcul des aides. Si ce choix paraît assez logique, il a nécessité une lourde adaptation des programmes informatiques ainsi que des actions d’accompagnement et d’explication vers les locataires, les organismes Hlm, etc.
La CNAF calcule la RLS des ménages éligibles et réduit à hauteur de 98%[7] du montant de la RLS le montant de l’APL due au ménage, ce qui laisse en réalité un gain financier de quelques dizaines de centimes d’euros au locataire[8]. Les montants de RLS sont calculés pour qu’au global l’objectif d’économie d’APL comptabilisé en Loi de finances soit atteint.
Des effets de bord mal anticipés
Un certain nombre de situations[9] ont toutefois été mal anticipées. Il existe en fait des locataires éligibles à la RLS qui ne perçoivent pas pour autant l’APL. Pour eux, qui n’étaient pas le cœur de cible de la réforme, ce fut là une heureuse surprise : une baisse du loyer accordée par l’organisme. Ces cas atypiques doivent être gérés par les organismes eux-mêmes, puisque, n’étant pas éligibles à l’APL, ces ménages sont inconnus de la CAF.
La situation se complique encore pour les ménages dont les ressources ouvrent droit à une petite APL : la réduction d’APL consécutive à l’application de la RLS sur le faible montant concerné conduirait à une APL négative. Dans ce cas-là, l’APL est portée à zéro[10]. Le risque est que, l’APL devenant nulle, ces ménages ne soient plus suivis par la CAF[11] et qu’ils risquent de perdre le bénéfice de la RLS, devenant ainsi les victimes d’un circuit kafkaïen.
Ces deux catégories de ménages se retrouvent dans une zone grise, ce qui peut entrainer des erreurs et des incompréhensions.
Deux autres éléments de complexité viennent encore alourdir le dispositif et méritent d’être mentionnés.
D’une part, la CNAF reçoit dorénavant tous les trimestres des données actualisées sur les revenus des ménages. Certains d’entre eux peuvent donc entrer ou sortir de la liste des bénéficiaires de la RLS ou de l’APL chaque trimestre. Les organismes effectuent, eux, un seul traitement annuel. Ce type de décalage de calendrier pour des publics connexes peut entrainer des difficultés, des erreurs, des contestations, des reprises manuelles, des correctifs … qui mobilisent des agents au sein des CAF locales et des organismes Hlm.
D’autre part, les montants de RLS peuvent être modifiés en cours d’année[12] pour que le gain en baisse d’APL pour l’État, prévu dans la Loi de finances soit exact à quasi l’euro près. Cela ne peut qu’interpeler les locataires qui chercheraient à comprendre pourquoi leur quittance de loyer est modifiée plusieurs fois par an.
À cette étape, résumons :
– une baisse de la dépense d’APL pour l’État ;
– une baisse des loyers perçus par les organismes Hlm et donc une perte de ressources pour eux ;
– de lourds investissements techniques et en personnel pour la CNAF, les CAF et les organismes Hlm pour la mise en œuvre et le suivi du dispositif. Les associations de locataires et les travailleurs sociaux doivent aussi être en mesure de comprendre et d’expliciter la situation aux locataires ;
– un gain financier limité à quelques dizaines de centimes d’euro pour la très grande majorité des locataires éligibles ;
– un petit groupe de locataires, qui nécessite un traitement technique spécifique lourd et complexe, bénéficie de baisses de loyers marquées, scorie ou effet de bord non souhaité du dispositif visé par le législateur. Et on ajoutera que les autorités de contrôle du secteur Hlm s’attachent à vérifier, avec un esprit tatillon, que ce traitement est bien mis en œuvre.
Une couche de complexité supplémentaire pour accompagner le dispositif
De fait, les organismes Hlm supportent des baisses de loyers d’autant plus importantes que, parmi leurs locataires, figurent de nombreux ménages éligibles à la RLS, c’est-à-dire des ménages aux revenus particulièrement modestes. Ce sont donc les organismes Hlm qui répondent le mieux à leur fonction sociale qui sont les plus lourdement frappés par une forme de prélèvement sur les loyers à taux différent selon les organismes.
Cette incongruité n’a pas échappé au législateur qui a prévu un dispositif correctif entre organismes Hlm qui (schématiquement[13]) rembourse le coût de la RLS à chaque organisme mais met à sa charge un autre prélèvement sur les loyers à un taux cette fois uniforme selon les organismes. Ce taux uniforme est calculé pour qu’au total le prélèvement sur les loyers soit égal au montant de la RLS. Ce calcul est effectué par la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) qui avait déjà pour mission de gérer des cotisations payées par les organismes Hlm[14]. Ce mécanisme annexe égalise donc la situation entre les organismes.
Le point d’arrivée du dispositif pour les organismes Hlm est donc une cotisation[15] en fonction des loyers perçus.
Une alternative simple possible
Il apparait immédiatement que ces deux dispositifs – la RLS proprement dite et le mécanisme annexe de redistribution entre organismes – pourraient très bien être remplacés par la création d’un prélèvement sur les loyers Hlm, d’un montant fixé en Loi de finances, qui viendrait abonder les ressources de l’État pour lui permettre de faire face à sa dépense d’APL. Plus besoin de la RLS, ni du mécanisme de péréquation entre organismes, plus besoin de passer par les quittances de près de deux millions de locataires, plus besoin de passer par les circuits de la CNAF, plus besoin d’informer chaque année tous les acteurs concernés, plus d’erreurs ou d’indus touchant les locataires à gérer, plus de scories ou d’effets de bord par rapport à l’objectif de la loi, plus besoin de recalibrer les montants en cours d’année…Et ce montant pourrait facilement être modifié chaque année comme partie d’un ensemble de relations financières entre l’Etat et les organismes Hlm.
Dans ce schéma alternatif très simple à gérer puisqu’il n’impliquerait que les organismes Hlm et la CGLLS, l’État n’allègerait pas ses dépenses mais gagnerait une ressource à due concurrence, ce qui est équivalent en termes de déficit public[16]. Les organismes Hlm seraient touchés financièrement à hauteur de la RLS imaginée, via une taxe plutôt qu’une baisse de loyers. Ceci est différent en termes comptables mais équivalent financièrement.
In fine, on réaliserait d’importantes économies de gestion et de suivi à de nombreux niveaux : services de l’Etat, CNAF, CAF, organismes Hlm, associations de locataires, travailleurs sociaux, organismes de contrôle, et même les locataires eux-mêmes qui auront moins de questions à se poser[17]. La complexité mobilise actuellement des agents compétents et engagés pour des dispositifs somme toute inutiles.
Certes, on perdrait en « cosmétisme » budgétaire en n’allégeant pas directement les dépenses publiques, graal de tous les Ministres du budget, et on se priverait de la jolie formulation de « réduction de loyer de solidarité »[18], mais il s’agit là d’objectifs médiatiques somme toute bien onéreux.
Changer les pratiques
En conclusion, que retenir de cet exemple que l’on pourrait sans doute retrouver dans le cadre d’autres politiques publiques où se côtoient mécanismes abscons et contrôles minutieux ? Il ressort qu’il vaudrait mieux que les dispositifs techniques d’application des lois soient pesés en amont de leur application et en liaison avec les acteurs concernés pour trouver, autour d’un objectif fixé par la loi, les mécanismes les plus simples à mettre en œuvre. Cela parait du simple bon sens. Cependant, cette approche percute les habitudes actuelles de fabrication de la loi qui entre trop dans les détails et qui peut être amendée en séance sans expertise ni réelle étude d’impact. Les élus devront ensuite se pencher sur les mécanismes proposés pour contrôler qu’ils remplissent bien l’objectif souhaité.
Mieux vaut réfléchir en amont que corriger en aval, car modifier un dispositif laborieusement mis en place peut s’avérer exigeant en moyens.
Voilà une piste de créer de nombreuses économies de gestion et on apporterait sans doute aussi de la clarté aux politiques publiques, ne serait-ce que dans la formalisation des objectifs.
Quant à l’existant, rien n’interdit de mobiliser l’ensemble des acteurs concernés, ménages, associations, entreprises, d’une part pour que, ils fassent des signalements sur les dispositifs actuels trop complexes à gérer ou créant d’importantes dépenses de suivi ou ayant des effets inappropriés, d’autre part pour qu’ils avancent des propositions alternatives. Il ne s’agirait pas d’en modifier la finalité, la définition des objectifs restant la prérogative des élus, mais de trouver des méthodes plus simples et moins onéreuses à mettre en place. De quoi nourrir pragmatiquement les réflexions des diverses commissions de simplification mises régulièrement en place.
Dominique Hoorens
Novembre 2025
[1] On ne pourra s’empêcher toutefois de signaler que prélever de l’argent dans les caisses des organismes Hlm au moment où ceux-ci devraient augmenter leurs investissements en matière de production (la demande de logement social reste très élevée) et de réhabilitation notamment thermique, pose question.
[2] Pour les données chiffrées on peut notamment se référer à cet article : https://www.banquedesterritoires.fr/letat-valide-la-baisse-de-200-millions-deuros-de-la-rls-pour-redonner-des-marges-aux-bailleurs
[3] Le tout est d’en mesurer les conséquences, en particulier sur la production de logements sociaux, analyse qui devra être menée.
[4] Par exemple une réduction mensuelle de 39.69€ par mois pour une personne seule en zone 1 en juin 2025.
[5] Ce qui veut dire que sans la mobilisation des organismes Hlm avec l’appui de quelques parlementaires avisés cette enquête aurait été obligatoire, on ne recule devant rien…
[6] L’APL est fonction des loyers.
[7] Pourquoi pas 100 % ? Sans doute parce qu’il serait tout de même incongru de mettre en place un nouveau droit … qui ne rapporterait rien du tout.
[8] Illustration pour une personne seule en zone 1 : loyer avant RLS 350€, APL, 150€, charge en logement nette 200 € ; RLS 39.69€, baisse d’APL 38.90€, nouvelle charge en logement 199.21€ soit une baisse de 0.79€.
[9] Dans certaines situations familiales et de loyers historiquement déjà très bas.
[10] Ce qui laisse pour ces ménages un gain net plus significatif.
[11] C’est pourquoi il avait été proposé par les acteurs de porter dans ce cas l’APL à 1 euro et non à zéro pour conserver le suivi CAF, proposition de bon sens non retenue.
[12] Les montants de RLS sont estimés en début d’année et recalibrés à l’automne en fonction des sommes effectivement recouvrées afin de parvenir à l’objectif de baisse globale sur l’année
[13] Il ne s’agit pas d’un remboursement ex post au vu de la RLS effective mais d’avances au vu d’une estimation ex ante
[14] Ces cotisations permettent à la CGLLS d’accorder des garanties sur les emprunts contractés par les organismes Hlm, de verser des subventions à des organismes en difficulté ou portant des actions innovantes
[15] De l’ordre de 5%
[16] En versant la cotisation sur les loyers au Fonds national des aides au logement (FNAL), on obtiendrait un schéma avec réduction à due concurrence des contributions de l’Etat au FNAL et donc avec une réduction des dépenses de l’État.
[17] Et même les lecteurs de la revue en ligne PolitiqueduLogement
[18] Mais cette formule ne repose sur aucune réalité comme le montre l’article.
