La surcompensation : un outil budgétaire à l’alibi européen.
La mesure de surcompensation est une transposition du droit européen, plus précisément elle relève des règles du Service d’intérêt économique général (SIEG). Elle permet à l’Etat de sanctionner financièrement des entreprises lorsque le montant des aides qu’elles reçoivent en compensation du coût du service excède « ce qui est nécessaire pour couvrir les coûts nets occasionnés par l’exécution des obligations de service public, y compris un bénéfice raisonnable ». Elle s’applique notamment aux organismes de logement social (OLS), producteurs de SIEG.
Annoncée en loi de finances pour 2022, la mise en œuvre de cette mesure a provoqué une réaction assez vive de l’ensemble des acteurs du mouvement HLM et, au premier chef, de l’Union sociale pour l’habitat (USH). Elle a été qualifiée par certains acteurs de « nouvelle réduction du loyer de solidarité (RLS) ». À la suite de cette mobilisation, l’application de l’article concerné a été suspendue.
La question de la surcompensation est posée depuis le 20 décembre 2011, date de la décision de la Commission relative à l’application de l’article 106. La Cour des comptes, dans un référé datant du 3 décembre 2018 transmis au Premier ministre, déplorait l’absence de contrôle plus régulier en ce domaine des organismes de logement social, exposant l’Etat à des sanctions de la part de la Cour de justice de l’Union européenne. C’est pourquoi, dès le début du présent quinquennat, l’Agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) fut missionnée afin de définir une méthode adaptée au modèle spécifique du logement social français. La méthode connue, les représentants du mouvement HLM ont montré leur mécontentement en saisissant le Conseil d’Etat, dénonçant notamment « un excès de pouvoir », une rupture d’égalité entre les bailleurs et contestant la méthode de calcul utilisée. Ils ont été déboutés dans une décision du 29/06/2020 aux motifs, entre autres, que les prérogatives de l’ Ancols, inscrites dans la loi, englobent le contrôle d’absence de surcompensation et que la rupture d’égalité n’était pas constatée dès lors que la méthodologie est commune à l’ensemble des organismes auxquels elle s’applique.
Différée dans sa mise en œuvre effective du fait de la crise de la Covid -19, la mesure a refait surface à l’occasion du projet de loi de finances pour 2022, malgré un contexte de mobilisation de l’ensemble des forces productives en faveur de la relance économique et le bas niveau de la construction de logements, qui peine à retrouver un certain dynamisme, notamment dans le collectif. Par conséquent, il est utile de revenir sur les raisons qui ont poussé le gouvernement à mettre en œuvre cette mesure, sur sa genèse, ses modalités et enfin sur les intentions qu’elle révèle.
Une mesure conforme au cadre européen
Dans le cadre du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne – dit de Lisbonne dans sa version consolidée, le secteur du logement social, eu égard à son utilité sociale, est soumis aux règles de services d’intérêt économique général (SIEG). Son article 106, paragraphe 2, limite la distorsion de concurrence avec les entreprises non productrices d’un SIEG, au nom du principe « que les entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union. ». La Commission européenne, dans la décision du 20 décembre 2011 – dite Almunia, du nom du rapporteur de l’époque – relative à l’application de cet article, cite le secteur du logement social comme effectuant un service d’intérêt économique général « y compris la fourniture de logement social aux personnes défavorisées ou aux groupes sociaux moins avantagés qui, pour des raisons de solvabilité, ne sont pas en mesure de trouver un logement aux conditions du marché,… ».
En France, l’article 106 se traduit dans le Code de la construction et de l’habitat (CCH) comme suit par l’article L 412-2 « …Les organismes d’habitations à loyer modéré mentionnés aux alinéas précédents bénéficient, en conformité avec la décision 2012/21/UE de la Commission, du 20 décembre 2011, relative à l’application de l’article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides d’État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d’intérêt économique général, d’exonérations fiscales et d’aides spécifiques de l’État au titre du service d’intérêt général défini comme :
– la construction, l’acquisition, l’amélioration, l’attribution, la gestion et la cession de logements locatif ;
– la réalisation d’opérations d’accession à la propriété destinées à des personnes dont les revenus sont inférieurs aux plafonds maximum ;
– la gestion ou l’acquisition en vue de leur revente, avec l’accord du maire de la commune d’implantation et du représentant de l’État dans le département, de logements situés dans des copropriétés connaissant des difficultés importantes de fonctionnement ou faisant l’objet d’un plan de sauvegarde, l’intervention comme opérateur, sans pouvoir être tiers-financeur ;
– les services accessoires aux opérations susmentionnées. »
Dès lors, les aides publiques octroyées par l’Etat qui, s’agissant du logement social, prennent différentes formes – subventions de l’Etat et des collectivités locales, avantages de taux, exonération de TFPB, TVA réduite – correspondent à des compensations d’obligation de service public et d’intérêt général. Si le montant total des aides est jugé excessif au regard du coût effectif du service d’intérêt économique général, il y a surcompensation. En des termes moins abscons, si une entreprise, ici un organisme de logement social, a bénéficié d’un trop-perçu, il devra le rembourser à l’Etat. Les pouvoirs publics nationaux sont tenus de vérifier l’existence ou non d’une telle situation et d’appliquer des mesures correctrices.
C’est la raison pour laquelle l’Etat a confié à l’ Ancols la responsabilité d’élaborer et d’effectuer les contrôles.
Une méthode de calcul contestée
La décision Almunia de la Commission européenne, mentionnée précédemment, développe le concept de « bénéfice raisonnable » afin de caractériser le cas échéant une surcompensation de l’entreprise en charge d’un SIEG. Ce bénéfice raisonnable s’exprime ainsi : « le taux de rendement du capital qu’exigerait une entreprise moyenne s’interrogeant sur l’opportunité de fournir le service d’intérêt économique général pendant toute la durée du mandat, en tenant compte du niveau de risque. Le taux de rendement du capital est défini comme le taux de rendement interne que l’entreprise obtient sur son capital investi pendant la durée du mandat ».
Selon l’ Ancols, les spécificités du modèle français de financement du logement social, ne permettent pas de retenir les critères définis par la décision Almunia. Elle juge en effet que « l’absence de terme du mandat rendant notamment impossible une prise en compte de la valeur résiduelle des investissements eu égard à l’absence de modalités robustes de détermination de la valeur vénale et des particularités de certains opérateurs pour lesquels il n’est pas aisé d’identifier les capitaux propres investis (problématique de la distinction entre subventions et dotations dans les offices). »
Par conséquent, l’Ancols a choisi de s’appuyer sur deux autres indicateurs :
– le ratio excédent brut d’exploitation /chiffre d’affaires net des charges récupérables (indicateur de profitabilité ou marge d’exploitation) ;
– le ratio résultat net comptable / immobilisations nettes de l’endettement (indicateur de rentabilité ou de rendement de l’actif).
Ces deux indicateurs, appliqués à l’organisme et non à l’opération, contraignent les bailleurs, si la surcompensation est constatée, à s’acquitter de la somme due. A l’inverse, si la vérification s’effectuait à l’opération, la régularisation pourrait s’effectuer sur les financements à venir. Dès lors, la sanction a posteriori n’aurait pu lieu d’être. Ainsi, ni les indicateurs choisis, ni le périmètre d’application n’emportent l’adhésion des bailleurs sociaux.
Le gouvernement français était contraint de mettre en œuvre une mesure décidée au niveau de l’Union européenne. Il l’a fait, selon des modalités sans doute contestables, mais on conçoit qu’il ne soit pas facile de définir de façon consensuelle des modalités de calcul d’un montant de trop perçu. Bien plus discutable est le choix du gouvernement d’affecter les sommes récupérées au financement des aides à la personne, via le Fonds national de l’aide au logement (FNAL).
Il eût en effet été logique, puisque ces sommes sont prélevées sur le financement d’investissements, de les affecter à de nouvelles opérations, par exemple en les versant au fonds national d’aide à la pierre (FNAP). Le choix du gouvernement, qui s’inscrit dans la droite ligne de la mise en place de la RLS, est révélateur de ses priorités, qui vont à la réduction des dépenses budgétaires plutôt qu’au soutien de l’investissement. On ne voit pas, dès lors, comment les objectifs fixés en matière de production de logements sociaux pourraient être atteints.
Yacine L’Kassimi
Octobre 2021
Excellent article témoignant d’une pratique d’instrumentalisation du droit de l’Union européenne à des fins internes, de surcroît budgétaires.
Alors que l’Union européenne protège de part son Traité et sa Charte des Droits fondamentaux la bonne exécution des missions imparties aux services d’intérêt économique général, que sa Décision sur les aides d’Etat sous la forme de compensations de service public, adoptée en 2005 et révisée en 2011, a pour objet de sécuriser en droit ces compensations face au principe d’interdiction des aides d’Etat, et d’éviter ainsi de devoir les notifier, la France, à la veille de prendre la présidence de l’Union européenne et de lancer sa campagne des présidentielles, a décidé de se réveiller 16 ans après son entrée en vigueur d’application directe, pour remettre en cause cette sécurité juridique acquise suite à l’arrêt CJUE Altmark de 2003.
Voir notre décodeur SIEGHLM in : https://union-habitat-bruxelles.eu/sieghlm-decodeur-ue-mode-demploi-fr
16 ans durant lesquels la France n’a cessé d’affirmer à la Commission européenne, dans ces rapports bisannuels d’application de la Décision, qu’elle respectait pleinement ces dispositions d’application directe. Et pour cause, la Décision de la Commission reconnaît la spécificité du SIEG de logement social, la durée particulière des mandats de long terme, les investissements de long terme en infrastructures sociales nécessaires à sa bonne exécution, les reports éventuels de surcompensation sur d’autres investissements SIEG en logements sociaux.
16 ans durant lesquels les projets des organismes d’Hlm ont bénéficié des subventions FEDER et des prêts de la Banque Européen d’Investissement (BEI) compte tenu du respect des dispositions de la Décision et de la mise en place des contrôles d’absence de surcompensation des opérations d’infrastructures sociales co-financées par l’Union européenne. 800 millions d’euros de subventions FEDER et plus d’un milliard d’euros de prêts BEI ont ainsi été validés par les instances de contrôle compétentes compte tenu de leur conformité aux dispositions de la Décision.
16 ans durant lesquels aucune plainte d’opérateurs privés n’est venue contester cette application, si ce n’est deux plaintes de l’UNPI, instruites par la Commission européenne mais restée sans suite faute d’argumentaires recevables par l’autorité européenne de concurrence.
16 ans de sécurité juridique acquise sans aucune remise en cause par la Commission européenne des dispositifs mis en place en France de contrôle de l’absence de surcompensation des opérations d’investissement, conformément au principe d’équilibre de ces opérations, que ce soit en matière de FEDER mais également dans LOLA. Un choix également opéré par nos voisins européens dont les aides d’Etat sous la forme de compensation sont directement liées aux investissements en infrastructures sociales nécessaires à la bonne exécution du SIEG de logement social.
Contrairement à ce que la France affirme, le collège des Commissaires européens ne se saisit pas d’office sur les questions relatives aux SIEG, compte tenu de l’article 16 TFUE, mais n’intervient sur ces dossiers sensibles politiquement qu’en cas de plaintes d’opérateurs privés recevables ayant un intérêt direct à agir.
« C’est pas moi c’est Bruxelles ».
Imaginer qu’en pleine phase de relance, de vague de rénovation thermique pour le Climat, de crise du logement abordable dans l’Union européenne et en France, en pleine campagne présidentielle et sous présidence de l’Union, la Commission européenne va s’attaquer d’office à la France, pour remettre en cause son mécanisme de contrôle d’absence de surcompensation HLM, en place depuis 16 ans et jamais contesté… cela est purement utopique (pour rester sage).
Laurent GHEKIERE
Représentant auprès de l’Union européenne de l’Union sociale pour l’habitat
Directeur des affaires européennes et des relations internationales
Union sociale pour l’habitat
Trois réactions ou compléments rapides à cet article très éclairant qui positionne bien, sur des aspects tant juridiques et techniques que politiques, le débat autour du mécanisme de mesure d’absence de surcompensation développé par l’Ancols.
Premier point, d’actualité : le mécanisme décrit dans l’article est celui retenu par l’Ancols pour une démarche expérimentale. Comme le souligne l’article l’Ush avait soulevé, notamment dans son recours contre cette délibération, les nombreuses difficultés, de principe et de calcul, que posait cet outil.
L’Ancols devait, après cette phase expérimentale, fixer les indicateurs et les références retenus pour application aux contrôles dès les comptes 2020 des organismes ; et, parallèlement, le circuit financier du prélèvement des éventuelles surcompensations relevées lors des contrôles devait être précisé dans le PLF 2022.
Après cette phase d’expérimentation, l’Ancols a effectivement envisagé un nouveau dispositif basé sur un seul indicateur de rendement des actifs ainsi que sur un taux de référence. Des difficultés d’application majeures ayant été à nouveau soulevées par le Mouvement Hlm tant concernant le calcul de l’indicateur (modalités de prise en compte des ventes et de l’activité d’accession, calendrier des contrôles…) le CA de l’Ancols a différé la date de sa délibération. A ce jour on ne peut donc considérer connaitre ce que sera in fine le dispositif.
Deuxième point, de fond. Les aides apportées à la production d’un logement social ( subventions, aides de taux, exonération temporaire de TFPB, exonération d’IS) sont calibrées ex ante pour parvenir à un équilibre économique global sur 40 ans entre les loyers contractualisés et l’ensemble des charges ( annuités de gestion , frais de gestion, frais d’entretien, taxe foncière …). Par essence même ce mécanisme d’équilibre « à l’opération » répond à l’esprit du mécanisme de surcompensation en dimensionnant les aides au service rendu ( le niveau bas du loyer). A l’esprit, mais effectivement pas à la lettre, le mécanisme de mesure de surcompensation précisé dans la décision Almunia étant adapté pour une aide de fonctionnement, mais pas pour une aide à l’investissement dont la mobilisation et les effets se font dans la durée selon des rythmes très différents et non pas année par année. C’est d’ailleurs ce que reconnait l’Ancols qui ne peut, elle non plus, retenir à la lettre les critères de la décision Almunia. C’est ce que reconnaissent aussi les instances européennes qui ont validé l’approche « à l’opération » dans le cadre des fonds Feder par exemple.
Les aides étant accordées « à l’opération » et faisant sentir leurs effets « à l’opération », le Mouvement Hlm considère que le mécanisme de contrôle ex ante existant, ou aménagé, peut valoir comme mécanisme de calcul d’absence de surcompensation. Il considère donc mal venu le nouveau mécanisme envisagé de calcul « à l’opérateur », mal calibré techniquement, et surtout inadapté à un mécanisme d’aide à l’investissement.
Troisième point, de calendrier. On peut s’interroger, comme l’auteur, sur le calendrier choisi pour déployer ce nouvel outil de contrôle , d’une part par ce qu’aucune urgence ne semble s’imposer et d’autre part compte tenu de l’incertitude et de l’inquiétude suscitées par ce dispositif (et ses sous-entendus…), qui vont renforcer les difficultés que doivent surmonter aujourd’hui les organismes pour développer leurs actions de production. Et il faut le dire, on peut s’interroger sur la concomitance de l’alourdissement des dispositifs pesant sur les organismes Hlm ( recomposition du tissu, RLS, contrôle) au moment où d’autres formes de production de logements « abordables » moins réglementées, sont aidées financièrement, et sont même de plus en plus aidées, en dehors du SIEG.
Dominique Hoorens ; Directeur des études Ush
En complément à ces échanges, voir le tout dernier rapport d’évaluation de la Décision 2012/21/UE dans son application aux secteurs de la Santé et du Logement Social dans les Etats-membres.
Un rapport EY commandée par la Commission européenne, DG Concurrence, dans la perspective de révision de la Décision.
« Les dépenses liées au logement représentent une part croissante du budget des ménages. Les conséquences de la crise économique de 2008 ont plongé une part plus importante de la population dans la pauvreté, ce qui a entraîné une augmentation de la demande de logements sociaux. »
https://twitter.com/LaurentGhekiere/status/1433732176101715997?s=20
https://ec.europa.eu/competition-policy/system/files/2021-09/kd0621047enn_SGEI_evaluation.pdf