La politique du logement à l’aveuglette

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«Rapport de la mission sur la qualité du logement – Référentiel du logement de qualité»
par Laurent Girometti et François Leclercq

Le rapport pose une affirmation : la baisse de qualité des logements neufs. « La réduction de la surface habitable des logements est admise par l’ensemble des personnalités rencontrées », elle s’accompagne d’une diminution des hauteurs sous plafond, de la part des logements traversants et d’autres évolutions nuisant à la qualité des logements, comme la raréfaction des espaces de rangement. Précision importante : ce constat, qui selon le rapport est partagé par les représentants des professions consultées, concerne exclusivement les appartements, car les maisons individuelles voient, elles, leur surface augmenter Notons néanmoins que le premier promoteur de France s’inscrit en faux de cette affirmation[1].
Cette dégradation est, nous dit-on, la conséquence des évolutions démographiques et économiques des dernières décennies, en premier lieu le phénomène de métropolisation : « Dans ce contexte [la métropolisation et la nécessité de se loger à proximité des zones d’emploi] de contrainte, la recherche de performance économique a abouti inexorablement à une réduction de certaines qualités fondamentales des logements. Ainsi principalement les surfaces et les systèmes de distribution des immeubles en ont souffert ».
Le rapport s’attache donc à identifier les mécanismes qui ont conduit à cette supposée dégradation et à proposer des mesures censées y remédier. L’augmentation du coût des logements neufs, sous l’effet notamment de l’envolée des coûts fonciers, semble logiquement conduire à une réduction des dimensions des logements et des pièces. Curieusement, l’institution des normes « handicapés » n’est guère mentionnée, alors que les promoteurs avaient alors souligné que les contraintes de circulation qu’elles imposaient avaient conduit à réduire la surface des pièces non concernées par ces normes.
Pour tenter d’enrayer la dérive de qualité, le rapport préconise d’imposer des normes minimales de surface, en fonction du nombre de pièces, aux logements neufs bénéficiant du dispositif d’investissement locatif Pinel. Le référentiel établi par les rapporteurs comprend, certes, d’autres critères (surface des chambres, du séjour-cuisine, hauteur sous plafond, espace extérieur, orientation et modularité), mais « il est proposé de s’en tenir à un critère de surface du logement par typologie [les auteurs veulent sans doute dire par type de logement] », car « la conditionnalité doit être simple et vérifiable très facilement, pour ne générer aucun alourdissement administratif ni aucune difficulté d’appréciation par l’administration fiscale ». La hauteur sous plafond, dont on nous a dit plus haut qu’elle était en baisse sensible, semble pourtant plus facilement vérifiable que la surface habitable.
Cette recommandation repose sur l’hypothèse de la pérennité du dispositif fiscal d’aide à l’investissement locatif. Or ce dispositif est contesté, sa fin a déjà été annoncée à plusieurs reprises (sans, il est vrai, que ces annonces soient suivies d’effet) et personne à ce jour n’est en mesure de faire un pronostic sérieux sur son devenir. Quoi qu’il en soit, on peut s’interroger sur l’effet de la mesure proposée : aura-t-elle un effet sur les seuls logements destinés aux investisseurs, ou fera-t-elle tache d’huile en impactant aussi ceux visant une clientèle de propriétaires occupants ? Pour répondre à cette question, il aurait été nécessaire d’analyser la production de la promotion immobilière, en s’interrogeant sur l’existence d’une différence de conception des logements, selon qu’ils sont dédiés ou non à tel ou tel type d’usage. Le rapport ne le fait pas.
En tout état de cause, si cette mesure est mise en œuvre, il sera impossible d’en évaluer l’impact. Il aurait fallu, pour cela, disposer d’une analyse des caractéristiques de la production actuelle (surface habitable, hauteur sous plafond, dimension des espaces de rangement, exposition, etc.) en fonction notamment du nombre de pièces et de la localisation des logements. Or le rapport est quasiment muet à cet égard. Les seules données dont il fait état proviennent de l’enquête logement (du moins peut-on supposer que c’est de cette enquête qu’il s’agit, car le rapport ne s’y réfère pas de façon précise) et de Qualitel. Selon l’enquête logement « la surface des maisons est en augmentation continue depuis plusieurs décennies tandis que celle des appartements, qui stagnait depuis 25 ans, a reculé de 4 % sur la décennie passée (2006-2013)». Quant à l’enquête Qualitel 2020, elle constate que « la surface moyenne des chambres d’appartement a perdu 1,7 m2 entre les constructions d’avant-guerres [le pluriel amène à se demander de quelle guerre il s’agit] et 2009, pour atteindre 10,7 m2. Elle est depuis remontée de 0,6m2 en moyenne » et « en moins de 60 ans, les hauteurs sous plafond ont diminué en moyenne de 27 cm et que de moins en moins d’appartements sont traversants ». C’est là une description plus que succincte, et ce n’est certainement pas la récente étude d’IDHEAL [2], réalisée à partir d’un échantillon beaucoup trop restreint (52 opérations, toutes situées en Ile-de-France et dont la répartition par date de construction n’est pas précisée), qui peut nous en apprendre plus.
Les « comparaisons européennes » présentées dans le rapport souffrent de la même indigence. Mêlant des données statistiques sur la surface des logements (Allemagne) et des normes nationales ou locales (Belgique, Espagne, Italie, Pays-Bas, Suisse), elles omettent le Royaume-Uni et ne permettent pas de comparer les caractéristiques de logements dans les différents pays.
Il existe pourtant des sources statistiques qui pourraient fournir une description fiable de la production et de son évolution. C’est le cas, notamment, de l’enquête sur le prix de revient des logements neufs. Cette enquête, effectuée depuis plusieurs décennies par le service des données et études statistiques (SDES) et ses prédécesseurs et servant notamment au calcul de l’indice du coût de la construction, permet un suivi dans le temps des caractéristiques des logements construits. Elle n’a pas été mobilisée, pas plus que les données du recensement, qui enregistre le nombre de pièces et la surface des logements. Concernant les comparaisons européennes, l’enquête sur les revenus et les conditions de vie, à laquelle participe la France, comporte un volet assez détaillé sur les conditions de logement. Aucune de ces sources n’a été utilisée.
En résumé, le rapport propose des mesures pour répondre à un problème identifié de façon incertaine, sans se préoccuper le moins du monde des moyens d’en évaluer l’impact. Suffira-t-il, dans quelques années, si elles sont mises en œuvre, de demander aux représentants de quelques professions s’ils ont l’impression qu’elles ont été efficaces ? On touche là à une grave carence française, le déficit d’évaluation, dont on pourrait citer de nombreux exemples dans le domaine de la politique du logement, à commencer par l’efficacité des dispositifs d’aide à l’investissement locatif, dont l’efficacité n’a jamais pu être évaluée, ou bien encore la sempiternelle référence à l’effet inflationniste des aides à la personne.

Jean Bosvieux
Septembre 2021

[1] Interview de Alain Dinin, Les Echos du 17/09/21 page 13
[2] « Nos logements, des lieux à ménager », IDHEAL, août 2021.

 

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.

2 réflexions sur “La politique du logement à l’aveuglette

  • 2 octobre 2021 à 18:43
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    Synthèse qui pointe la faiblesse des évaluations, défaut ou acte manqué du rapport ? Et toujours l’inlassable inversion de l’effet et de la cause « L’augmentation du coût des logements neufs, sous l’effet notamment de l’envolée des coûts fonciers,.. ». Déni de la logique bilancielle et de la formation des prix sur le marché : rencontre offre/demande (limitée par la solvabilité des acheteurs en cas de déséquilibre) et non somme des couts de production.

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  • 5 octobre 2021 à 16:22
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    à la base des hausses de prix, et se traduisant par des conraintes sur les volumes construits se trouve la volonté de densification, et qui s’appuie sur un foncier plus rare, donc plus cher…Bossuet relevait que  » Dieu se rit de hommes qui déplorent les effets dont ils vénèrent les causes ». On est bien dans ce cas de figure.

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