Le débat sur la démolition des « tours » et des « barres » des grands ensembles voit le jour dès les débuts de la politique de la ville, au cours des années 1980, mais les réticences des pouvoirs publics sont alors très fortes, à la fois en raison de l’existence d’une importante demande de logements sociaux et d’un scepticisme quant à l’efficacité des démolitions comme outil de régulation de difficultés avant tout économiques et sociales.
De plus, l’Etat et les bailleurs sociaux ont attendu les effets positifs de la réhabilitation d’un parc à peine amorti financièrement avant d’envisager de démolir. Dans les premiers textes qui sortent au milieu des années 1980, la démolition est considérée comme un outil d’exception qui ne se justifie que par une vacance importante ou un projet urbain d’ensemble. Les opérations resteront ponctuelles jusqu’à la fin de la décennie suivante, lorsque le débat est remis au premier plan par le rapport Sueur qui suggère en 1997 de lancer des opérations de reconstruction. L’année suivante, la Caisse des dépôts crée des prêts « construction-démolition » pour les projets urbains de renouvellement menés dans les sites de la politique de la ville. Ces financements marquent un tournant décisif dans la doctrine des pouvoirs publics en matière de démolition des logements sociaux.
Le terme même de « construction-démolition » indique bien que la volonté de l’Etat n’est pas seulement de dé-densifier ces quartiers mais de produire une nouvelle offre de logements. L’idée s’apparente à celle d’un « recyclage » de ces territoires, dont on espère qu’ils s’engagent dans une « logique de marché », retrouvant une valeur foncière et immobilière. L’argument avancé est celui d’une désaffection croissante des demandeurs de logements sociaux pour les grands immeubles collectifs construits au cours des années 1960 et 1970. C’est aussi une façon de tirer les conséquences, par des démarches opérationnelles radicales, de l’image sociale très négative de certains quartiers (concentration de pauvres et d’immigrés, faible niveau scolaire, insécurité…). Rares sont cependant les sites qui envisagent une démolition complète, même si le début des années 2000 fut marqué par une surenchère constante en matière d’affichage d’objectifs quantitatifs. Après les années de montée en puissance, le Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU) mis en place par la loi « Borloo » d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine du 1er août 2003 a fait de la démolition des logements sociaux l’un des outils puissants de transformation des quartiers en difficulté. L’article 6 de la loi prévoyait la démolition de 200 000 logements sociaux entre 2004 et 2008. La loi « Lamy » de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 a modifié cet article en portant l’objectif à 250 000 démolitions entre 2004 et 2015. Fin 2022, l’état d’avancement du programme national de rénovation urbaine faisait état d’un peu plus de 164 000 démolitions réalisées ou programmées.
La dimension sociale de ces opérations est sans doute la plus difficile à maîtriser. Elle suppose une gestion très attentive du relogement des occupants des immeubles et a donné lieu à la construction de compétences nouvelles au sein des organismes de logement social en matière de suivi des situations sociales des locataires. Elle a également mis en lumière l’attachement de ces derniers à l’égard de leurs quartiers. Elle a aussi largement démontré l’illusion qui consisterait à penser résoudre des problèmes sociaux en faisant disparaître le bâti qui les abrite.
Depuis le début des années 2020, la montée des préoccupations écologiques et de leurs liens avec le secteur du bâtiment met en cause le mauvais bilan carbone des opérations de démolition/reconstruction et pourrait conduire à un ralentissement des programmes de démolition des logements sociaux.
Christine Lelévrier et Jean-Claude Driant
Février 2023