Mobilisation des logements vacants : des politiques vouées à l’échec

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Apprend-on de ses échecs ? L’annonce, en mars 2015, de la création par la Ville de Paris d’un nouveau dispositif de « remise sur le marché des logements vacants », dénommé « Multiloc », permet d’en douter. Il y a en effet un précédent : le dispositif « Louez gagnant », mis en place en 2002 par la SIEMP, une société d’économie mixte dont la Ville est le principal actionnaire. Les résultats avaient été décevants : cent à cent cinquante logements par an « remis sur le marché » les deux premières années, un nombre très insuffisant pour amortir les dépenses de communication engagées et qui n’a guère augmenté les années suivantes, malgré l’utilisation, à partir de 2005 d’un fichier fiscal pour débusquer les propriétaires de logements vacants.  Qui sait, d’ailleurs, s’ils n’auraient pas été loués sans cette incitation ?
Doit-on imputer cet échec à la SIEMP ? Probablement pas, car Paris n’est pas le seul endroit où ce type de politique ait donné de piètres résultats. Le département des Alpes-Maritimes, par exemple, a connu de semblables déboires, et l’on ne connaît pas un seul cas où le succès ait été au rendez-vous. La Garantie des risques locatifs (GRL), qui visait notamment ce même objectif, a également échoué.

Peu de vacants réellement disponibles

Ces politiques se fondent sur l’idée que certains propriétaires hésiteraient à louer par peur des risques locatifs, ou parce qu’ils craignent de ne pas pouvoir récupérer leur bien en cas de besoin. Certes, la crainte des impayés et des dégradations, du locataire de mauvaise foi, aggravée par la longueur de la procédure d’expulsion, taraude sans aucun doute nombre de propriétaires. Mais de là à conserver un logement inoccupé, il y a un pas que peu d’entre eux franchissent. Renoncer à louer, c’est se priver d’un revenu qui peut être substantiel (surtout à Paris) et cela a un coût, puisqu’il faut alors acquitter non seulement la taxe foncière, mais aussi la taxe sur les logements vacants dans les villes à marché tendu (c’est le cas de Paris). D’autant qu’il existe des assurances contre les risques locatifs, et le régime de la location meublée qui permet de louer pour une courte durée.  Seuls des propriétaires particulièrement négligents, à l’abri du besoin ou indifférents à un revenu locatif, peuvent se permettre de laisser délibérément un logement inoccupé. Or les bailleurs ne sont pas tous aisés, loin s’en faut : pour beaucoup d’entre eux, le revenu locatif constitue un complément de revenu appréciable, sinon indispensable. C’est le cas notamment de nombre de retraités des professions indépendantes, largement surreprésentés parmi les bailleurs et pour qui l’investissement locatif est un moyen de s’assurer un complément à une maigre pension de retraite. La part des bailleurs modestes est importante : selon les statistiques de la DGFiP, 24% des propriétaires déclarant un revenu foncier ne sont pas imposables. Quelle personne rationnelle préfèrerait la certitude de ne pas percevoir de loyer au risque de ne pas le percevoir avec la régularité escomptée ?  Il peut, certes, exister des bailleurs dont le comportement est irrationnel, mais on ne peut fonder une aide sur des phénomènes qui restent anecdotiques.
La réalité, c’est qu’un logement vacant l’est le plus souvent pour de bonnes raisons. On sait depuis longtemps, précisément depuis une étude de l’INSEE de 1979, que « les logements vacants ne sont pas tous disponibles », constat réitéré par la suite dans différents rapports administratifs ou études. Concernant plus particulièrement l’agglomération parisienne, une étude très documentée de l’IAURIF[1] concluait en 2006 que « cette idée d’un  » parc mobilisable  » ne semble pas correspondre à la réalité. En effet, les caractéristiques du parc occupé récemment et celles du parc vacant diffèrent peu, ce qui explique qu’il y ait en proportion et en valeurs absolues plus de logements vacants à Paris qu’en Grande couronne, plus de petits logements vacants que de grands, plus de logements anciens vacants que de récents ». Autrement dit, l’essentiel de la vacance est lié à la mobilité : vacance frictionnelle entre deux occupants dans le parc locatif, inoccupation des logements en instance de vente ou de règlement de succession, travaux en projet ou en cours. Ce constat, qui concerne l’agglomération parisienne, ne vaut sans doute pas pour  tout le territoire, notamment les zones rurales où la vacance résulte avant tout d’une absence de demande.
Une autre idée reçue est que certains logements ne sont pas offerts à la location en raison de leur mauvais état, et pourraient l’être si les travaux d’amélioration indispensables étaient effectués. Ce raisonnement est sans aucun doute pertinent dans les marchés peu tendus, où l’excédent d’offre induit une concurrence entre les logements proposés. Les locataires choisissent de préférence les logements offrant les meilleures prestations, comme en témoignent les effets, dans certaines villes moyennes,  de l’afflux sur le marché de logements neufs suscité par les aides à l’investissement locatif : ce sont dans ce cas les logements anciens, devenus difficilement louables, qui en pâtissent. Mais le marché parisien présente une situation exactement opposée : ce sont les candidats à la location, et non les bailleurs, qui sont en situation concurrence. De sorte que, comme l’écrivent les auteurs de l’étude IAURIF précitée, « la vacance provenant de logements considérés comme obsolètes (qui ne correspondent plus à la demande), soit pour des raisons de vétusté, de petitesse, d’inconfort, soit parce qu’ils se situent dans des secteurs dévalorisés, ne concerne que faiblement la région. La demande est suffisamment forte pour que de tels logements trouvent une clientèle et que le parc délaissé compte peu de logements ». Ce constat, qui concerne l’ensemble de la région Ile-de-France, s’applique a fortiori à Paris, la localisation la plus recherchée. Il peut se résumer par une formule lapidaire : « à Paris, tout se loue ».
Le nombre de logements parisiens « mobilisables », estimé à 40 000 par la Mairie, paraît donc largement exagéré. Un jugement que confirme le pourcentage élevé de dégrèvements des logements soumis à la taxe sur les logements vacants.

Des politiques vouées à l’échec

Il faut le répéter : non seulement l’existence de logements vacants n’est pas un scandale, mais elle est indispensable à la fluidité des marchés. Un volant de logements vacants insuffisant, comme en 1954, année de l’appel de l’Abbé Pierre (ils représentaient alors  4% du parc), traduit l’insuffisance de l’offre et annonce l’augmentation des prix. Le gisement de logements vacants mobilisables est insignifiant, et c’est se leurrer que de croire que leur « remise sur le marché » est susceptible d’avoir un effet perceptible sur l’offre.
On le voit, il y a peu à attendre des politiques de « remise sur le marché des logements vacants ». Les considérations dont nous venons de faire état sont connues depuis longtemps des spécialistes de l’économie du logement, elles ne peuvent pas ne pas l’être des politiques. Dès lors, pourquoi s’obstiner dans une voie dont on sait qu’elle est sans issue en réactualisant périodiquement, à son de trompe, des mesures coûteuses et inutiles ? Peut-être la raison en est-elle la croyance dans l’efficacité d’un volontarisme capable d’annihiler les lois du marché. Plus probablement, il s’agit sans doute de donner des gages aux revendications fondées sur le rapprochement mal logés / logements vacants, dont on sait pourtant qu’il n’est pas pertinent.
On ne peut faire grief aux édiles parisiens de la situation du marché locatif privé dans la capitale. Elle tient à sa situation géographique au centre d’une agglomération de plus de dix millions d’habitants. A. Massot notait en 1994 que « le thème des « loyers fous » est presque uniquement pari­sien »[2]. S’il est vrai que les loyers parisiens sont à peu près deux fois supérieurs à ceux des grandes villes de province[3] et que le niveau de certains d’entre eux peut apparaître choquant, les loyers supé­rieurs de plus de 20 % à la moyenne n’y représentent que 16 à 22 % des locations, selon la taille des logements[4]. Rien n’a changé depuis lors. C’est pourtant la situation parisienne qui a inspiré certaines mesures dont le champ d’application déborde largement les limites de la capitale. C’est le cas de l’encadrement des loyers prévu par la loi ALUR. Il faut souhaiter que la politique de remise sur le marché de logements vacants ne fasse pas tâche d’huile, car elle est de toute évidence vouée à l’échec.
Depuis une quinzaine d’années, la municipalité parisienne a fait des efforts méritoires pour développer le logement social, moraliser les attributions et préserver la mixité de peuplement sur son territoire. Il n’y aurait pas de honte à reconnaître qu’elle ne peut pas tout.

[1] « Les logements vacants en Ile-de-France : un parc qui participe très largement au fonctionnement du marché immobilier », Jean-Jacques Guillouet et Philippe Pauquet, IAURIF, janvier 2006.

[2] « Fiscalité successorale et patrimoines locatifs », André Massot, IAURIF, 1994.

[3] OLAP 2011.

[4] Source : OLAP (exploitation spécifique).

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.

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