Marché immobilier allemand : dans les métropoles, les prix des logements augmentent plus vite que les revenus.

Dans sa note de conjoncture du 29 mai 2017, la fédération des Banques populaires et des Caisses d’épargne allemande (BVR) fait un point sur la hausse des prix immobiliers en Allemagne et dans les six Métropoles[1][2].
A la différence des pays européens, le marché allemand n’a pas connu de hausse significative avant la crise financière : la variation des prix du logement entre le premier trimestre 2003 et le premier trimestre 2008 allant de 5% pour les maisons individuelles à 8% pour les appartements[3]. Durant ces années jouaient à plein les impacts de l’ajustement économique décidé par le gouvernement Schröder pour préserver la compétitivité de l’économie allemande. Cet ajustement a entraîné une baisse de la demande en logement, notamment du fait de la diminution forte du nombre de migrants économiques, originaires principalement d’Europe de l’Est, Le plein emploi entraîne le retour des travailleurs de l’Est, et donc une tension sur le marché.
D’où le débat actuel en Allemagne sur l’existence ou non d’une bulle immobilière, et sur le risque qu’elle pourrait générer dans le cas d’une hausse des taux d’intérêt, qui est en Allemagne attendue prochainement et souhaitée. L’étude issue du monde bancaire tend cependant à démontrer que le risque est faible.
Jan Philip Weber[4], rédacteur de l’étude, constate que la fin de la reprise du marché immobilier n’est pas en vue, que la dynamique des prix s’est encore accrue dans les grandes villes, mais s’est ralentie dans les autres districts (Kreis), tant urbains que ruraux[5].
Dans les districts ruraux, les prix d’achat ont augmenté en moyenne en dix ans (2007-2016) de 11% ; les prix ont progressé moins vite que les revenus (écart de 10%), les loyers ont augmenté très légèrement plus vite que les prix mais moins vite que les revenus, d’où le maintien du rendement locatif sans augmentation du risque. Cependant, en fin de période les prix ont augmenté plus rapidement que les revenus et les loyers, soit de 4% en 2015 et de 2,5% en 2016.
Dans les districts urbains, plus densément peuplés, les prix ont augmenté de 22% de 2007 à 2016, comme les loyers et légèrement plus rapidement que les revenus (+5% pour le ratio prix/revenu). La tendance à la hausse débute en 2010, la croissance des prix étant de 5,5% en 2016, succédant à 3,6% en 2015.
Dans toutes ces zones il n’y a ni excès ni bulle, puisque la hausse est en relation avec ces fondamentaux que sont les revenus et les loyers, le marché locatif allemand possédant la capacité de réagir aux variations de prix du marché immobilier.
La situation diffère profondément dans les six métropoles : les prix d’achat y ont augmenté de plus de 50%, beaucoup plus vite que le revenu, si bien que les prix de l’immobilier rapportés aux revenus se sont accrus de 40%. Comme dans ces métropoles les loyers ont très légèrement moins progressé que les prix de l’immobilier (écart cumulé d’environ 5%), cette forte hausse est due partiellement à de sérieuses modifications socio-économiques et urbaines.
De 2012 à 2016, le nombre d’habitants de ces six métropoles s’est accru de 480 000 personnes, soit le quart des migrations intérieures allemandes ; cela est dû au développement de la qualité de la vie urbaine dans ces Métropoles qui attirent la population. Pour autant, seulement 11% de la population allemande y habite ; la conséquence de cette croissance démographique est une dégradation continue des conditions d’habitat mesurées ici par le nombre d’habitants par logement qui passe de 2011 à 2015 de1,85 à 1,91.
Les bas taux d’intérêt ne sont pas étrangers à la hausse, jouant un rôle attractif pour les investisseurs ; ainsi de plus en plus d’investisseurs, y compris étrangers, voient dans l’immobilier allemand, au rendement modéré mais très stable, un bon investissement. La décroissance naturelle de la population allemande est désormais contrebalancée par l’immigration d’activité et le desserrement des ménages, ce qui assure la croissance de la demande et sécurise les loyers et les prix.
Ainsi la hausse des loyers montre qu’il n’y a pas redouter une forte correction des prix, la tension étant appuyée sur une demande réelle.
Le crédit est sûr, les quotités restent inférieures à celles ayant cours en Irlande, USA ou Espagne au temps de leur exubérance. La quotité de prêt respecte la règle des 70%.
Cependant la forte hausse des prix et des loyers fait courir le risque que les marchés métropolitains deviennent source de spéculation ; les politiques urbaines devraient donc s’employer en priorité à libérer du foncier, ensuite à durcir les règles de contrôle des loyers (Mietbremse[6]), troisièmement à éviter de pousser à la hausse les prix par des taxes.
L’immobilier se finance sur plus de dix ans ; à cet horizon les projections sont fragiles, tant pour les prêteurs que pour les emprunteurs, juge le rédacteur de l’étude, et il rappelle les exemples de l’Espagne et de l’Irlande, qui sont très différents, et omet de comparer aux marchés britannique et français dont les mécanismes de hausse sont plus proches. Il observe qu’il est prudent de prendre en compte dans la valeur des logements l’impact des évolutions sociétales telles les nouvelles mobilités : depuis le milieu de 20ème siècle la voiture a permis aux habitants d’exercer leur préférence pour les banlieues (et la maison individuelle) au détriment des villes plus chères et moins habitables. Jan Philip Weber émet l’idée d’une forme particulière du retour en ville résultant d’une modification profonde des mobilités qui pourrait concerner les personnes seules, en relation avec de nouvelles utilisations de la voiture (voiture sans conducteur, partage) rendant accessibles les petites villes bon marché, pesant ainsi de nouveau sur les prix des zones les plus chères.

Jean-Marie Gambrelle
Juillet 2017


[1] Berlin, Munich, Hambourg, Cologne, Francfort, Stuttgart

[2] Les prix (locations et transactions) ont été établis pour les 402 districts urbains et ruraux par vdpResearch, société d’étude de la fédération des banques hypothécaires, les statistiques démographiques et de revenus par le service fédéral de statistiques.

[3] Source VDP, Immobilienpreisindex

[4] J.weber@bvr.de

[5] Classification de l’Institut fédéral pour la recherche sur la construction la ville et l’aménagement (Bundesinstitut für Bau-, Stadt-, Raumforschung)

[6] Miet-Preis-Bremse Gesetzt de mars 2015, le « frein des loyers », extension par la loi d’une règle de limitation de croissance des loyers initiée par la ville de Berlin puis copiée par Munich, la Basse Saxe..

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.