Vers l’extinction de l’enquête Logement ?
Une enquête indispensable…
« Depuis quarante ans, l’enquête Logement (ENL) est le pivot du dispositif statistique sur le logement. Elle regorge de détails précieux sur les ménages et leurs logements et permet de développer des analyses dans le temps et d’évaluer l’adaptation des comportements au fil des générations ». Ce n’est pas nous qui le disons, ce sont les rédacteurs de l’introduction d’un ouvrage sur le logement récemment publié par l’INSEE. Et il est vrai qu’elle se prête à de très nombreuses utilisations, depuis la description du parc de logements et de son occupation à l’évaluation des politiques publiques, en passant par des études sectorielles ou thématiques sur l’accession à la propriété, les locataires du secteur privé ou du secteur public, la charge financière liée au logement, la mobilité résidentielle, l’opinion des ménages sur leur logement, la construction de modèles de micro-simulation, la précarité énergétique, etc. Elle est notamment l’une des principales sources utilisées pour le chiffrage du compte du logement.
Il en existe d’autres : le recensement de la population, bien sûr, mais aussi le fichier FILOCOM, les enquêtes INSEE Budget des familles, Patrimoine et SRCV , pour ne citer que les principales . Mais toutes ont en commun leur caractère partiel, en comparaison de l’enquête logement qui est la seule à combiner une description détaillée des logements, de leurs occupants et de leur revenu, des dépenses de ces derniers et de leur mobilité résidentielle. En outre, l’enquête logement a l’avantage d’être ancienne : la première édition a eu lieu en 1955, et elle a depuis lors été renouvelée en 1961, 1963, 1967, 1970, 1973, 1978, 1984, 1988, 1992, 1996, 2002, 2006 et 2013, soit avec une périodicité moyenne de quatre ans et demi. On dispose ainsi d’une série d’observations homogènes qui permet d’étudier l’évolution des conditions de logement et des comportements résidentiels sur longue période. Car si le questionnaire a évolué au cours de ces soixante ans pour s’adapter aux nouvelles problématiques, son noyau est resté remarquablement stable.
La richesse de ce questionnaire fait de l’enquête une source quasi inépuisable d’exploitations. Il serait fastidieux d’énumérer les innombrables publications auxquelles elle a donné lieu. Et ce serait sans compter que toutes les exploitations ne donnent pas lieu à publication.
Autant dire que la disparition de l’ENL serait une catastrophe pour la connaissance des conditions de logement et des comportements résidentiels.
.. mais qui coûte cher et risque de disparaître
Du fait de la richesse du questionnaire et de la taille de l’échantillon (36 000 ménages lors de l’enquête 2013), le coût de l’ENL est élevé. La collecte s’effectue par des entretiens en face à face dont la durée moyenne est de 56 minutes et peut dépasser une heure et demi. Le budget total est d’environ 7 millions d’euros. L’INSEE en supporte la majeure partie (5 millions d’euros). Les financements complémentaires extérieurs, émanant principalement du Ministère chargé du logement, de l’Anah, du CEREN, de la Caisse des dépôts et de la CNAF, ne représentaient en effet que 1,3 millions d’euros pour l’enquête de 2013, auxquels il faut ajouter 0,4 M€ finançant les extensions locales d’échantillon pour permettre des exploitations sur des périmètres géographiques plus restreints que l’ensemble de la France (Ile-de-France, Nord-Pas-de-Calais).
Or il semble que l’INSEE ne soit plus en mesure d’assumer cette charge financière à l’avenir. D’autres enquêtes sont en concurrence avec l’ENL, et l’organisation de l’INSEE a changé avec la réalisation en continu du recensement de la population. A l’époque où celui-ci était effectué tous les dix ans environ, il occupait ponctuellement une grande partie des personnels de l’Institut, mais celui-ci disposait, en contrepartie, d’une force de travail importante dans l’intervalle intercensitaire, ce qui permettait de caser des enquêtes non annuelles. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et c’est peut-être ce qui explique l’allongement de la durée de l’enquête : de 2 à 3 mois jusqu’à l’édition de 2002, elle passe à 10 mois pour celle de 2006, puis à 13 mois en 2013-2014. L’INSEE semble dorénavant privilégier les enquêtes européennes comme SRCV. Pourtant, comme l’écrivent les auteurs de l’étude précitée, « la publication d’indicateurs exigés dans le contexte européen actuel ne doit toutefois pas faire oublier que seules des études approfondies peuvent rendre compte des processus à l’œuvre » .
Dans l’état actuel des choses, la prochaine édition de l’enquête n’est pas encore programmée et le risque est réel qu’elle n’ait jamais lieu.
Sept millions d’euros tous les 4 à 5 ans, c’est certes une somme importante, mais c’est une goutte d’eau au regard du coût pour la collectivité de la politique du logement, qui dépasse 40 milliards d’euros par an.
Ce dernier chiffre émane du compte du logement, dont l’existence même serait mise en péril si le chiffrage ne pouvait plus s’appuyer sur l’enquête logement. Ce ne serait là que l’une des nombreuses conséquences de la disparition de l’enquête, qui réduirait comme peau de chagrin la connaissance d’un domaine pourtant essentiel dans la vie des Français et qui pèse près du quart du revenu disponible des ménages et 54% de leur patrimoine brut.
Pour une enquête pérenne
Il suffit en effet de lire ce qui concerne la description du volet logement de l’enquête SRCV, dans le document de travail de l’INSEE précité, pour se convaincre qu’il est très loin de pouvoir rendre les mêmes services que l’enquête logement pour la connaissance des conditions de logement, des marchés et des comportements. Au demeurant, la responsabilité des politiques du logement dans l’Union Européenne incombe aux gouvernements nationaux, et il serait donc vain d’attendre de la statistique européenne qu’elle réponde à des besoins qui ne sont pas ceux des organes communautaires. Certains pays l’ont bien compris, comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, qui maintiennent des enquêtes sur le logement plus complètes, plus fréquentes et donc plus coûteuses que leur homologue française. On peut y ajouter les Etats-Unis, qui ne passent pourtant pas pour les champions de la dépense budgétaire.
La France peut-elle se passer d’une enquête logement réalisée à intervalles réguliers et suffisamment rapprochés, disons tous les quatre à cinq ans ? Nous pensons que non, et que des considérations strictement budgétaires ne peuvent suffire à justifier sa suppression. Nous refusons de croire qu’il soit impossible de trouver les moyens de la financer. Le secteur privé pourrait, certes, y contribuer, mais il incombe à l’Etat d’en supporter la charge principale.
Pour assurer la pérennité de l’enquête logement tout en prenant en compte les contraintes techniques et budgétaires auxquelles ils sont confrontés, l’INSEE, le SOeS et les services du ministère du logement explorent différentes pistes.
Plusieurs options sont à l’étude, toutes visant à réduire les coûts d’enquête sans trop affecter la taille de l’échantillon, condition indispensable pour conserver à cette enquête sa richesse et sa capacité à éclairer la question du logement dans sa diversité. Il lui faut en effet rendre compte de la situation de ménages qui peuvent être locataires ou propriétaires, jeunes quittant le foyer parental ou retraités, résidents dans le parc social ou le secteur privé, citadins ou ménage vivant à la campagne, bénéficiaires d’aides au logement ou non…
Cette réflexion vise également à augmenter la fréquence de l’enquête afin d’améliorer l’évaluation des effets des politiques publiques.
Première piste explorée, faire un meilleur usage des sources existantes (fichiers administratifs et fiscaux) pour construire l’échantillon et alléger la collecte d’information en préremplissant une partie du questionnaire. L’INSEE étudie ainsi les perspectives offertes par une utilisation plus poussée du fichier Fideli, fichier résultant de l’appariement de fichiers fiscaux et successeur du Répertoire statistique des logements (RSL), sous réserve bien sûr du respect des clauses de confidentialité et de l’accord de la CNIL.
Outre les contraintes financières, l’un des principaux écueils à surmonter concerne la disponibilité du réseau d’enquêteurs de l’INSEE. Son plan de charge actuel ne laisse pas espérer de mise en œuvre de la prochaine enquête avant 2023, soit dix ans après la dernière ENL. D’autres perspectives sont donc à l’étude, impliquant un recours à des prestataires privés (instituts de sondage) et à d’autres méthodes d’enquête que le traditionnel entretien en face à face. Plusieurs options sont ainsi étudiées :
• l’enquête téléphonique : elle romprait avec la traditionnelle enquête en face à face, qui a fait ses preuves et permet seule de dérouler un questionnaire dont la durée dépasse souvent les 45 minutes. Ce recours à l’enquête téléphonique suppose donc un profond réaménagement du questionnaire et des choix difficiles dans les sujets traités ;
• une enquête par vagues successives, étalées sur trois ans, pourrait permettre de préserver la diversité des thèmes étudiés, tout en contenant la durée de l’entretien téléphonique de chaque vague en dessous de vingt minutes. D’autres écueils risquent cependant de surgir (difficulté de fidélisation des enquêtés pour les trois vagues d’enquêtes notamment) ;
• une enquête annuelle auprès d’un panel de logements, troisième option envisagée, offrirait d’autres avantages : elle permettrait notamment l’étude au fil du temps les changements survenus dans un même logement (changement d’occupant, travaux, niveau des loyers…). Cette méthode permettrait également d’adjoindre à un questionnaire stable rempli en face à face la première année, puis mis à jour téléphoniquement, des modules plus légers abordant des questions ciblées (sujets d’actualité, populations spécifiques…)
On le voit, de nombreuses questions techniques restent à résoudre avant de tester un nouveau protocole d’enquête, ce qui ne pourra être entrepris avant 2018 dans le meilleur des cas, pour un lancement de la collecte que l’on peut difficilement espérer avant 2020, le temps de réunir les financements et de consulter des prestataires, soit sept ans après la dernière édition.
Il est clair également que toutes les options étudiées conduisent à un appauvrissement de l’enquête et à une rupture des séries du fait du changement de la méthode de collecte. C’est malheureusement, semble-t-il, le prix à payer pour en assurer la pérennité.
Merci pour ce point, c’est un sujet d’ordre national ! 🙂
Etre très prudents sur le remplacement d’une enquête en face à face en tout ou partie par une enquête téléphonique, car les Français sont tellement lassés par les démarchages tous azimuts qu’ils répondent n’importe quoi, voir pas du tout, comme le montre l’engouement pour bloctel.
Un ancien directeur général de l’urbanisme, de l’habitat et de la construction disait que les dépenses d’études et de planification en France devrait être multipliées par trois pour atteindre une honnête moyenne européenne. Depuis, la taille continue. Est-ce en lien avec la poursuite des des erreurs stratégiques dont nous payons le prix ? Je n’ose le croire : pénuries de logements et stocks inégalés de logements vides, consommation massive de foncier naturel et agricole et explosion des friches industrielles et commerciales, dérive massive des budgets de maintenance des équipements et infrastructures sous-utilisées…
Je fais un autre lien : il parait que l’effort de recherche de la France doit être renforcé, pour passer de 2,12 à 3 % du PIB. Est-ce que l’enquête logement est classée dans le budget des grands équipements de recherche ? Ce serait peut-être un moyen d’y travailler plus sereinement.