Marché du logement et aides publiques, de Didier Cornuel
Didier Cornuel, L’Harmattan, 2017
Les lecteurs de politiquedulogement.com connaissent certaines des thèses de Didier Cornuel sur la politique du logement, qu’il a exposées sur ce site dans plusieurs articles : il n’y a pas de pénurie de logements en France ; il y a au contraire un excès de construction neuve, qui se traduit par une augmentation de la vacance ; il n’est donc pas pertinent de fixer des objectifs de construction élevés, le soutien structurel de la construction est coûteux et largement inutile.
Son récent ouvrage va toutefois bien au-delà : l’auteur examine les principaux aspects de la politique du logement, dont il fait une lecture critique, à la lumière des mécanismes qui régissent les marchés immobiliers. Il est, de ce fait, amené à aborder des questions concernant notamment les causes de la hausse des prix des logements de la fin des années 1990 et du début des années 2000, le coût des dépenses de logement, le poids du secteur immobilier résidentiel dans l’économie, l’efficacité des aides à la construction, l’effet des aides personnelles ou le rôle effectif du secteur locatif social.
Ses analyses sont souvent pénétrantes. S’appuyant sur une connaissance approfondie su secteur et des mécanismes qui régissent les marchés de l’immobilier résidentiel, il met en évidence le lien entre taux d’intérêt, rendement du capital et prix : si les prix ont augmenté, les loyers sont, eux restés à peu près stables, de sorte que le rendement locatif a diminué, comme le rendement des autres placements et les taux d’intérêt. Le mouvement des prix s’explique par celui des taux : la hausse des prix procède de la baisse des taux et, à l’inverse, une remontée des taux entraînera une baisse des prix.
S’agissant de la politique du logement, il dénonce des mesures tous azimuts, qui visent à promouvoir la production de logements dans tous les segments du parc. Un soutien conjoncturel de la construction peut, certes, se justifier, encore que son efficacité en termes de valeur ajoutée et d’emploi soit limitée. Mais un soutien permanent est inutile et même néfaste. En effet, et c’est là l’une des thèses phares de l’auteur, la France ne souffre pas d’un déficit de logements, mais au contraire d’une surproduction. Cette affirmation, rien moins que polémique, vaut que l’on s’y arrête et que l’on examine de près les arguments qui la sous-tendent.
L’argumentation s’appuie sur l’augmentation de la vacance. Le nombre de logements vacants a en effet augmenté de 80 à 100 000 par an depuis 2006. C’est incontestable, et à se fonder sur ce seul chiffre, on ne peut qu’être d’accord avec la conclusion. Un examen attentif de l’évolution de la vacance résidentielle conduit toutefois à la nuancer. En effet, le choix du début de la période d’observation n’est pas neutre, car s’il est vrai que le taux de vacance est en forte augmentation depuis 2006, c’est après une période de baisse qui l’avait conduit à un niveau exceptionnellement bas. D’autre part, la hausse de la vacance se concentre sur des villes petites ou moyennes et leur couronne, et l’on peut douter que ses causes soient exclusivement liées à une politique nationale de soutien à la construction condamnée par l’auteur.
Selon lui, il existe des zones de sur-offre, mais pas de zones tendues, pas plus dans l’agglomération parisienne qu’ailleurs : « Les prix à Paris ont évolué comme ceux des autres agglomérations. La tension n’y est donc pas plus marquée ». L’argument semble toutefois contestable, au vu des évolutions récentes, qui montrent des augmentations bien plus fortes en Ile-de-France qu’ailleurs. Et d’autre part, comment expliquer les différences considérables du niveau des prix entre l’agglomération parisienne et le reste du territoire ?
Si la thèse de l ‘excès d’offre doit donc, à notre sens, être nuancée, elle a toutefois le mérite de remettre en cause les évaluations classiques de « besoins » (il convient de mettre le terme entre guillemets car il s’agit en fait de demande solvable) et la surenchère à laquelle elle donne lieu. Qui plus est, l’idée que l’augmentation de l’offre entraîne ipso facto une baisse des prix est fausse, comme l’indique l’auteur. Alors que l’un des objectifs du gouvernement est de créer un « choc d’offre », ce dernier point aurait toutefois mérité un développement plus étoffé que l’unique page qui lui est consacrée, qui n’aborde que de façon incidente la question fondamentale de la rente foncière.
Le secteur locatif social fait l’objet d’un chapitre assez copieux, dans lequel sont notamment pointées les incohérences de l’éventail des loyers et les effets pervers qu’elles entraînent, notamment au regard de l’objectif de mixité sociale maintes fois réaffirmé par les organismes HLM et les gouvernements successifs. La critique est pertinente et tombe à point, au moment où se dessine une réforme dont les motivations sont avant tout de nature budgétaire. L’auteur déplore l’ambiguïté persistante quant à la vocation du secteur social : doit-elle être généraliste, c’est-à-dire contribuer quantitativement à l’offre globale et être ouverte à de larges fractions de la population, ou « résiduelle », ce qui supposerait d’en réserver l’accès aux ménages les plus modestes ? Il ne se prononce pas, mais il presse les pouvoirs publics d’opter soit pour une banalisation, soit pour une accentuation de son caractère social.
On l’aura compris, D. Cornuel juge qu‘une intervention tous azimuts de l’Etat n’est pas (ou plus) justifiée, et il prône un recentrage de la politique du logement, au motif que la grande majorité des ménages n’a pas besoin d’être aidée pour accéder à un logement décent, et un rééquilibrage au nom des principes d’équité verticale et horizontale. Le recentrage des aides doit conduire à une réorientation de la politique du logement vers l’action sociale, et l’application des principes d’équité à des réformes fiscales, avec notamment la suppression des aides à l’investissement locatif et la substitution de la taxation des revenus fonciers (y compris implicites) à la taxe foncière. Il prône également une redistribution des compétences en matière de politiques locales en faveur des intercommunalités et au détriment des communes, dont le pouvoir d’attribution des permis de construire n’a « aucune pertinence économique ».
Bref, un ouvrage stimulant, parfois polémique, dont la clarté de l’exposé le rend accessible à un large public.
Jean Bosvieux
Janvier 2018