Crédits immobiliers : les banques réussiront-elles à se passer des courtiers ?
Alors que dans la plupart des activités commerciales, la révolution numérique assure le triomphe d’une économie de courtage, certains établissements de crédit français semblent tentés de remettre en cause l’intervention des artisans du courtage en matière de prêts au logement. C’est ce qui ressort de la décision du Crédit Agricole du Languedoc de résilier les contrats avec l’ensemble des courtiers en prêts immobiliers.
A vrai dire, la déclaration du CA ne fait que refléter l’attitude générale des banques universelles, commerciales ou mutualistes, à l’égard d’intermédiaires qui prélèvent une partie de la marge générée par chaque prêt immobilier sans accroître le volume général de la production. Du point de vue de l’ensemble des prêteurs, il s’agit d’un jeu à somme nulle. Ce constat, partagé par l’ensemble des établissements généralistes, à défaut de l’être par les emprunteurs, n’a pas empêché une progression considérable de la part des crédits intermédiés depuis la fin des années 1990. Il est utile de faire un retour en arrière
Les courtiers en France : un rôle longtemps marginal…
Alors que dans le monde anglo-saxon et dans de nombreux pays, Allemagne, Pays-Bas, etc., de longue date, il était habituel de recourir à un courtier pour souscrire un prêt immobilier, en France, jusqu’à la fin des années 1990, c’était une procédure assez rare et la part de marché des courtiers était très réduite. Rappelons quels étaient alors les principaux canaux de distribution du crédit au logement. Les prêts réglementés échappaient en pratique à la concurrence puisqu’ils n’étaient distribués que par deux établissements spécialisés, d’importance très inégale, le Crédit foncier et le Crédit immobilier. Pour le reste, une part croissante des emprunteurs faisaient directement appel à leur banque, la pratique s’installant progressivement de faire le tour de la place afin de faire jouer la concurrence, pour fréquemment contracter avec l’agence dont ils étaient déjà clients. Pour ceux qui continuaient à se tourner vers un établissement spécialisé, le lien était alors le plus souvent noué par le truchement d’un apporteur d’affaires.
Le prescripteur ou apporteur d’affaires, constructeur de maisons individuelles, promoteurs, agents immobiliers, lotisseur, notaire…, permet à son client de financer son achat ou sa construction, en même temps qu’il l’oriente vers un établissement de crédit. Il peut faire bénéficier ses clients de conditions avantageuses ou voir les dossiers qu’il apporte étudiés avec une diligence particulière, ce qui favorisera son activité. L’apporteur d’affaires est rémunéré par l’établissement de crédit, la négociation entre prêteurs et constructeurs se faisant parfois » par paquets » : les bons dossiers faisant passer les mauvais. C’est cette même logique qui a conduit des établissements de crédit à racheter des réseaux d’agences immobilières, avec plus ou moins de bonheur selon les époques. La pratique qui consiste pour certains prêteurs, dans des conditions précisément définies, à déléguer un véritable pouvoir d’instruction à certains intermédiaires semble extrêmement rare.
D’autres intervenants peuvent aussi jouer un rôle d’intermédiation : les mandataires, parfois appelé́s agents, sont des intermédiaires en opération de banque, qui représentent de façon permanente certains établissements spécialisés, les mutuelles qui passaient des accords avec les prêteurs au profit de leurs membres.
Enfin les courtiers stricto sensu, dont il est question ici, sont des intermédiaires en opérations de banque[1], normalement mandatés par l’emprunteur, et rémunérés par lui, pour trouver un crédit. Ils peuvent faire appel à l’ensemble des prêteurs de la place. La commission de courtage doit être intégrée dans le calcul du taux annuel effectif global (TAEG). Jusqu’à la fin des années 1980, leur part de marché était très faible et souvent centrée sur des opérations réputées difficiles, soit parce qu’elles étaient techniquement complexes, soit parce qu’elles étaient rejetées par les circuits traditionnels.
… qui s’expliquait par les spécificités de de la filière française de crédit au logement…
Ce caractère marginal de l’intervention des courtiers en France, à la différence de ce que l’on observait à l’étranger, s’expliquait à la fois par les spécificités de la filière de crédit française et par les caractéristiques des prêts au logement. Les banques, pour lesquelles le crédit au logement constitue avant tout un instrument de conquête et de fidélisation de la clientèle, prennent en charge, l’ensemble des phases du crédit et conservent la créance dans leur bilan. Elles ne peuvent se désintéresser du devenir de cette créance. La filière de crédit française n’est pas fractionnée à la différence de la filière américaine qui est dite « dégroupée ». Ce que l’on appelle la déliaison ou dégroupage (unbundling) traduit le fait que chaque phase de la vie d’un prêt peut être le fait d’intervenants indépendants, recherche du client par le courtier, mise en place du crédit, origination, par la banque, revente des créances sur le marché par recours à la titrisation, gestion du crédit et perception des échéances (servicing) par une entreprise spécialisée. S’ajoute à cela le fait que l’emprunteur est noté par un organisme indépendant, le credit bureau, et que le logement financé fait toujours l’objet d’une évaluation par un expert indépendant. La décision d’accorder ou de refuser le prêt dépend donc peu du jugement de l’établissement de crédit (originator) sur l’emprunteur et sur l’opération. Cette possibilité de la banque de s’exonérer des conséquences de la défaillance d’un emprunteur, à la condition que celle-ci intervienne plus d’un an après la mise en place du crédit, a eu les conséquences que l’on sait dans la genèse de la crise des subprime. A l’inverse, les banques françaises doivent être particulièrement attentives à la fiabilité du client dans la durée et le niveau de risque accepté est moins lié aux conditions de refinancement du moment. Il faut voir là une des explications du taux très bas des défaillances d’accédants à la propriété en France.
.. et les caractéristiques des prêts
S’ajoute là à cela le fait que les caractéristiques des crédits, très peu variées, laissent peu de place à l’inventivité des courtiers. Les Américains proposent de la confection industrielle avec un grand choix de modèles et les Français du « sur mesure », mais dans une gamme très limitée, puisque la plus grande partie des crédits sont amortissables à taux fixe.
Tout ceci explique que le rôle des courtiers soit resté marginal en France, jusqu’à ce que plusieurs évolutions, indépendantes mais concomitantes, soient venues transformer ce paysage, offrant ainsi un large champ à l’intervention des courtiers.
Une progression rapide de leur part de marché sous l’effet de la concurrence..
La fin de l’encadrement du crédit et la désintermédiation du crédit aux grandes entreprises ont conduit les banques universelles à se tourner vers la clientèle des ménages. La concurrence pour la clientèle de ces derniers s’est durcie alors même qu’avec la création du PTZ, elle s’élargissait à l’ensemble des crédits libres et aidés. Ce même mouvement s’est achevé avec la disparition du dernier établissement spécialisé, le Crédit Foncier de France en 2018[2]. L’hostilité de la majorité des instances centrales des établissements de crédit au fait de recourir aux services des courtiers dans leur lutte pour les parts de marché a été de peu de poids face à la guerre des guichets.
.. attisée par le mouvement de renégociation lié à la baisse des taux..
La baisse des taux a fait découvrir aux emprunteurs le charme de la renégociation de leurs emprunts, dans laquelle les courtiers ont joué un rôle majeur, gagnant au passage une coloration sociale en accompagnant des emprunteurs qui n’étaient pas tous préparés à jouer de la concurrence entre banques pour refinancer leur prêt en cours. Les courtiers, en s’appuyant parfois sur les permanences organisées par des comités d’entreprise, se sont tournés vers les emprunteurs » dormants » pour leur offrir des crédits substitutifs qu’ils ont placés auprès des prêteurs avec lesquels ils étaient en contact.
.. la révolution numérique..
Internet est venu démultiplier les outils dont disposaient les courtiers, jusque-là confinés dans leurs boutiques, sans pour autant abandonner ces dernières, car l’importance économique de la souscription d’un crédit au logement pour un particulier l’incite à rechercher un contact direct pour se rassurer.
.. et le cadre juridique de la protection du consommateur
Enfin, même les progrès du cadre juridique de la protection des consommateurs ont facilité l’intervention des courtiers en permettant à l’emprunteur de négocier séparément les conditions du prêt stricto sensu et les conditions des accessoires au contrat de prêt. Le dernier texte en date est venu autoriser la renégociation de l’assurance décès-invalidité[3].
Une incidence actuarielle jugée insupportable
Le résultat, c’est que les courtiers font maintenant partie du paysage, même si l’auteur de cet article ignore la proportion des crédits, nouveaux ou correspondant à des refinancements, dans lesquels ils sont intervenus. Or si la baisse des taux a favorisé leur développement, elle a pour conséquence mécanique que l’incidence actuarielle de leur intervention, dont le coût est indépendant du niveau des taux, est devenue insupportable.
Un combat d’arrière-garde ?
Toute la question est de savoir s’il sera possible aux banques de revenir en arrière, maintenant qu’elles se sont placées pour partie entre les mains des courtiers.
L’expérience d’autres secteurs montre que ce type d’opérations est difficile. Ainsi certains grands réseaux d’agents immobiliers américains éprouvent les plus grandes difficultés à contourner la plateforme d’annonces Zillow qui rogne leur marge et menace de les vassaliser. En France de la même façon, les syndicats professionnels d’agents immobiliers ont lancé la plateforme bien’ici pour essayer de contourner les intervenants comme seloger.com ou leboncoin.
Même si les banques, qui à la différence des agents immobiliers sont peu nombreuses, parviennent à écarter les courtiers traditionnels, on peut se demander si à plus long terme elles échapperont à une évolution qui marque le triomphe de l’économie de courtage. Les agences de voyage sont mortes, mais les hôteliers ont été vassalisés par Booking et la concurrence entre les compagnies aériennes a été dynamisée par les plateformes qui comparent leur prix sur des trajets donnés. Amazon est la première entreprise du monde, non pas seulement en vendant des produits mais en se faisant le courtier des produits vendus par les autres commerçants. Il sera plus difficile d’échapper à l’emprise de ce type d’intermédiaire qu’à celle du courtier du coin de la rue. S’il est probable que les banques garderont le quasi-monopole de la fabrication des prêts, une part de leur commercialisation risque inévitablement de leur échapper.
Bernard Vorms
Décembre 2019
[1] Un IOBSP commercialise des opérations de banque : crédits, dépôts ou services de paiement. Son statut est posé par l’article L. 519-1 du Code Monétaire et Financier (modifié par Loi no 2010-1249 du 22 octobre 2010), dans son article 36 et par l’ordonnance 2016-351 du 25 mars 2016
[2] https://politiquedulogement.com/2018/06/la-fin-du-credit-foncier-de-france/
[3] https://politiquedulogement.com/actualite/transparence-du-marche-mutualisation-et-economie-de-courtage/
La fermeture déjà intervenue, ou annoncée, de nombreuses agences par plusieurs réseaux bancaires devrait favoriser le développement de l’activité des courtiers. L’achat d’un logement et son financement restent des actes où les ménages ont un besoin réel d’accompagnement. Cet accompagnement est proposé par les courtiers spécialisés sur ce type d’activités quand, dans le même temps, les agents des réseaux bancaires sont dispersés sur la vente d’une gamme importante de produits et services bancaires, d’assurance, de téléphonie etc ….
Le développement de l’activité des courtiers a également bénéficié du choix de certaines banques de remplacer les spécialistes de crédit au logement en contact avec le public, par des agents plus polyvalents et capables de vendre une multiplicité de produits comme l’assurance-vie ou des produits d’épargne.
Les clients se sont tournés vers des courtiers, des spécialistes susceptibles de leur apporter un conseil, intéressé, mais personnalisé, complet, et rassurant pour le client stressé par la complexité d’une opération d’accession. Bon nombre de collaborateurs de courtiers sont d’ailleurs d’anciens chargés d’affaires habitat de banques qui ont vu l’opportunité de mettre en exercice des compétences que leur précédent employeur ne semblait plus rechercher.
Dans un premier temps, les banquiers paraissent y avoir globalement trouvé leur compte. C’est peut-être moins vrai aujourd’hui, devant la croissance des officines de courtage qui multiplient les dossiers, mobilisant des moyens d’instruction lourds pour des retours incertains. Un mouvement de dé-conventionnement est d’ailleurs observé de la part de prêteurs, qui préfèrent concentrer l’offre sur certains courtiers bien installés.
Les banques semblent toutefois prendre un tournant à l’égard du courtage, qui se manifeste sous 2 angles :
– la mise en place de procédure numérique, qui garantissent au client d’être acteur dans la mise en place rapide et réactive de son dossier. L’avenir dira si ce pari est payant;
– le retour de conseillers spécialisés, notamment sur la thématique du financement de l’amélioration de l’habitat, domaine d’avenir pour l’accession à la propriété mais mal maîtrisé par les courtiers. En apportant un conseil global, spécialisé et rapide auprès de leurs clients, l’espoir des banques est d’être plus présentes en front office et ainsi de contrer les courtiers.
Merci pour cet article sur cette notion importante du courtage entre les futurs propriétaires et les banquiers.