Le dispositif Denormandie : une opportunité pour les investisseurs et les politiques de l’habitat.

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Après que le Denormandie a débarqué dans le BOFIP[1], les contours de son régime sont aujourd’hui bien identifiés. Promulgué par l’article 226 de la loi de finances pour 2019 et codifié à l’article 199 novovicies du CGI, ce nouveau dispositif d’incitation fiscale en faveur de la rénovation des bâtiments anciens ambitionne la revitalisation des centres villes, quartiers et centre bourgs.
Au plan fiscal le dispositif Denormandie (cf. encadré) est simple et facilement compréhensible par tout un chacun puisqu’il repose sur une réduction d’impôt équivalente à celle qui a permis le succès du Pinel dans le neuf et indépendante du taux marginal d’imposi­tion (TMI)[2] de l’investisseur. La perspective d’une économie d’impôt reste en effet la principale motivation des investisseurs.
Encore faut-il, pour qu’il atteigne son but, que les conditions d’éligibilité des opérations ne soient pas trop contraignantes. S’agissant d’inciter à la production de logements locatifs privés à loyers intermédiaires, la fixation du loyer plafond ne doit donc pas être trop en deçà du marché pour éviter de pénaliser le rendement locatif. C’est bien le cas dans la majorité des villes des zones B1, B2 et C avec les loyers plafonds respectivement de 10,28 €/m² pour la première et 8,93 €/m² pour les deux autres), sauf peut être pour les petites surfaces,  dont les loyers de marché par mètre carré sont les plus élevés[3].  Ce l’est moins en zone A où le loyer plafond est fixé à 12,75 €/m² alors que les loyers des studios et deux pièces y est souvent largement supérieur. Et ce ne l’est pas du tout en zone A bis avec un  loyer plafond de 17,17 €/m². Il est clair, à la lecture de ce barème, que le dispositif vise avant tout les villes petites et moyennes, où la vacance atteint souvent des niveaux très élevés.
Quant aux plafonds de ressources des locataires, il se révèlent peu contraignants, la part des ménages non éligibles ne dépassant pas 10%.

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Encadré 1
Le dispositif Denormandie

[/typography][typography font= »Cantarell » size= »14″ size_format= »px »]Il est destiné aux personnes physiques et assimilées (sociétés non soumises à l’impôt sur les sociétés, du type SCI de gestion) qui achètent un logement (ou un local à transformer en logement) et y effectuent des travaux permettant l’amélioration de la performance énergétique. Y sont éligibles les logements ou locaux situés dans les communes dont le besoin de réhabilitation de l’habitat en centre-ville est particulièrement marqué, notamment les 222 villes qui ont signé des conventions dites « Cœur de ville » ou dans les communes qui mettront en place une opération de revitalisation de leur territoire.
Après travaux, le logement doit atteindre un niveau de performance énergétique correspondant à l’étiquette E, soit par une diminution de la consommation conventionnelle en énergie primaire d’au moins 30% (20% pour les logements en copropriété), soit par la réalisation de deux actions d’amélioration parmi une liste limitative.
Les travaux peuvent également avoir été effectués avant l’achat : dans ce cas le logement ne doit pas avoir été utilisé depuis la fin des travaux (cas d’un achat à un professionnel qui a réalisé les travaux).
Le logement doit être mis en location pendant 6, 9 ou 12 ans à un loyer plafonné. Le bailleur bénéficie d’une réduction d’impôt de 12, 18 ou 21 % du montant total de l’opération, selon la durée de location. Les ressources des locataires sont plafonnées.
Le loyer plafond par mètre carré est fonction de la surface du logement  : Lplaf= L0*(0,7 + 19/S), avec L0 = 10,28 en zone B1 et 8,93 € en zones B2 et C. S est la surface utile du logement (surface habitable + moitié des annexes dans limite de 8m2). Cette formule a pour but de tenir compte de la réalité du marché, c’est-à-dire du fait que le loyer au mètre carré décroît avec la surface du logement.[/typography]

Les territoires éligibles

En dehors des communes du programme national Action cœur de ville, seules les collectivités qui décideront de s’engager dans une convention d’opération de revitalisation du territoire (ORT) rendront leur territoire éligible.
Le dispositif Denormandie (cf. encadré 1) vise à promouvoir la rénovation des logements dans les centres anciens dégradés avec une préoccupation énergétique. Pour être éligibles à l’avantage fiscal, les travaux doivent en effet permettre une diminution significative de la consommation d’énergie primaire[4]. Cet enjeu semble d’autant plus important que le secteur locatif privé, qui souffre de défauts de qualité plus graves et plus fréquents que les autres segments du parc, n’a jusqu’à présent pas été la cible principale  des dispositifs d’aide à la rénovation énergétique[5].

Un avantage fiscal attractif

Cependant, pour un ménage qui souhaite réaliser un investissement locatif dans l’ancien, la prise en considération d’un minimum de rationalité économique conduit à se préoccuper du rendement de l’investissement. Or la fiscalité locative est complexe, voire illisible[6], et des dispositifs de défiscalisation ou d’incitation autres que le Denormandie sont possibles : parfois exclusifs (déduction spécifique en régime Cosse ancien, déduction des travaux en réel), ou partiellement cumulatifs (louer abordable et subvention Anah). Il convient par conséquent de les comparer ou de les combiner pour évaluer le régime fiscal le plus efficient, lequel emportera l’adhésion des investisseurs.
Le bilan des simulations réalisées par l’ADIL du Maine-et-Loire montre que le Denormandie procure généralement un avantage fiscal supérieur aux autres régimes, spécialement pour les ménages de la classe moyenne qui souhaiteraient réaliser un premier investissement. Cependant, pour les multipropriétaires qui chercheront à neutraliser la fiscalité de leurs revenus fonciers et les hauts revenus dont le taux marginal d’imposition est supérieur ou égal à 30% (et plus), l’incidence fiscale du Cosse pourra être plus attractive[7].
En fait, les dispositifs Denormandie et Cosse sont plutôt complémentaires que concurrents, puisque la réduction d’impôts du premier suppose une acquisition à titre onéreux, alors que le second concerne les propriétaires bailleurs déjà détenteurs d’un ou plusieurs biens.

Des obligations faiblement contraignantes

Les logiques de localisation des investisseurs individuels peuvent-elles diverger des stratégies des pouvoirs publics ?

Les politiques locales de l’habitat mettent en œuvre des projets de territoire à travers les programmes ACV, ORT ou OPAH RU (cf. encadré 2) dans le but de faire revenir les ménages dans les logements de centre-ville. Le dispositif Denormandie se présente dans cette optique comme un moyen supplé­mentaire d’associer les investisseurs privés à cet objectif de revitalisation des centres. Néanmoins, le périmètre d’éligibilité ne se limite pas aux secteurs d’intervention prioritaires délimités par les collectivités. Faut-il craindre alors que les bailleurs n’investissent davantage en périphérie des villes et contrarient les stratégies de centralité affichées par les collectivités ?

[typography font= »Cantarell » size= »14″ size_format= »px »]Encadré 2
Les dispositifs de revitalisation des villes[/typography]
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Action cœur de ville (ACV)
Le plan national Action cœur de ville (ACV) répond à une double ambition : améliorer les conditions de vie des habitants des villes moyennes et conforter le rôle de moteur de ces villes dans le développement du territoire. Il vise, pour ce faire, en collaboration avec les collectivités locales, à inciter les acteurs du logement, du commerce et de l’urbanisme à réinvestir les centres-villes, à favoriser le maintien ou l’implantation d’activités en cœur de ville. Les actions de revalorisation s’organisent autour de cinq axes :
– la réhabilitation-restructuration de l’habitat en centre-ville ;
– le développement économique et commercial ;
– l’accessibilité, les mobilités et connexions ;
– la mise en valeur de l’espace public et du patrimoine ;
– l’accès aux équipements et services publics.
Ce programme concerne 222 villes et mobilisera cinq milliards d’euros sur cinq ans.
Les opérations de revitalisation du territoire (ORT)
Créée par la loi Elan en 2018, l’ORT est un outil nouveau à disposition des collectivités locales pour porter et mettre en œuvre un projet de territoire dans les domaines urbain, économique et social, pour lutter prioritairement contre la dévitalisation des centres-villes. L’ORT se matérialise par une convention signée entre l’intercommunalité, sa ville principale, d’autres communes membres volontaires, l’État et ses établissements publics qui confère des nouveaux droits juridiques et fiscaux, dont l’accès prioritaire aux aides de l’Anah et l’éligibilité au Denormandie dans l’ancien.
Les opérations programmées d’amélioration de l’habitat (OPAH)
L’OPAH propose une ingénierie et des aides financières. Elle porte sur la réhabilitation de quartiers ou centres urbains anciens (OPAH-RU), de bourgs ruraux dévitalisés, de copropriétés dégradées, d’adaptation de logements pour les personnes âgées ou handicapées. Elle se matérialise par une convention signée entre l’Etat, l’Anah et la collectivité contractante.
Sources : Ministère de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, Anah.[/typography]

Avant d’investir, il convient cependant de prendre en compte la demande locative potentielle de la commune et les probabilités de valorisation du bien. S’agissant, par définition, de villes petites et moyennes menacées de dévitalisation et dont le parc ancien est dégradé, la logique devrait conduire à choisir de préférence les secteurs géographiques dont le potentiel de valorisation est le plus élevé, c’est-à-dire ceux où les collectivités et l’Etat s’impliqueront significativement. Les acheteurs potentiels doivent toutefois avoir conscience qu’un investissement dans un quartier à fort taux de vacance constitue un pari sur le regain d’attractivité de la zone, c’est-à-dire sur la réussite du programme de revitalisation.

Un loyer plafond du dispositif compatible avec les loyers de marché

Le bénéfice de la réduction d’impôts Denormandie est subordonné au respect d’un plafond de loyer. Or, le niveau de loyer est la principale composante du rendement locatif pour un investisseur.
Il convient alors de vérifier la compatibilité des loyers de marché avec le plafond de telle sorte que l’éventuel «rabais» à consentir ne consomme pas une trop grande part de l’avantage fiscal.
Les paramètres du Denormandie sont alignés sur ceux du régime «Pinel intermédiaire» (cf. encadré 1). Dans le Maine-et-Loire, la comparaison avec les loyers de marché des villes moyennes montre que le respect du plafond ne sera véritablement contraignant que pour les petites surfaces (inférieures à 25 m2). A partir du T2, les loyers pratiqués se situent en deçà du plafond, de sorte que l’investisseur peut bénéficier à plein de l’avantage fiscal.

Des plafonds de ressources élevés

Les conditions de d’éligibilité des locataires sont calquées sur celles du dispositif Pinel et visent théoriquement les ménages dont les revenus sont trop élevés pour les autoriser à accéder au parc social et trop faibles pour leur permettre de louer un logement  du parc privé à loyer libre.
En pratique, près de 95% des locataires du Maine et Loire ont des revenus inférieurs aux plafonds du Denormandie[8]. Par conséquent, la «contrepartie sociale» à consentir par le bailleur en termes de niveaux de ressources des occupants apparaît purement cosmétique.

Un régime prescripteur de rénovation énergétique

En régime Denormandie, l’avantage fiscal est réservé aux opérations d’acquisition à titre onéreux suivies ou précédées de travaux de transformation en logement ou de travaux de rénovation. Les bailleurs qui possèdent déjà un logement dans leur patrimoine ne sont donc pas éligibles à la réduction d’impôt (mais ils peuvent prétendre au régime Cosse en conventionnant le logement).
Le montant des travaux de rénovation ou de transformation doit représenter au moins 25% du coût total de l’opération (achat + travaux). Tous les travaux de modernisation, assainissement, aménagement de surfaces habitables, économies d’énergie et de création de surfaces habitables sont pris en compte, la loi de finances pour 2020 ayant élargi la liste des travaux éligibles à ceux concernant la création de toute surface nouvelle.
De ce point de vue, le Denormandie apparaît beaucoup plus souple que le Pinel. En effet, si la réduction d’impôt Pinel peut s’appliquer aux acquisitions de logements à rénover, c’est à la condition que les travaux réalisés permettent d’acquérir des performances voisines de celles des logements neufs. Pour cette raison, le « Pinel-Réhabilitation » est resté un marché de niche.
L’amélioration énergétique du logement qui représente couramment un investissement de l’ordre de 15.000 € à 30.000 € fait partie des obligations de travaux à respecter. On pourra se féliciter de cette préoccupation, les logements locatifs privés constituant ce qu’il est coutume d’appeler «un point dur de la rénovation énergétique»[9].

Quelle efficacité pour la revitalisation des centres ?

Si l’attrait fiscal paraît incontestable, il reste une condition à remplir pour que le Denormandie puisse jouer efficacement le rôle qu’en attendent les pouvoirs publics : l’existence d’opérateurs capables de prendre en charge les acquisitions, la réalisation des travaux et la commercialisation des logements rénovés. Rien n’interdit, certes, à un particulier d’acheter un logement vétuste, de faire faire les travaux nécessaires et de le louer, mais ce type d’opération pose des problèmes pour un non professionnel : il lui faut trouver un logement à acheter, définir les travaux à réaliser et les faire exécuter. Ne disposant pas, sauf exception, des compétences techniques nécessaires, il devra faire réaliser un diagnostic, déposer le cas échéant un permis de construire et peut-être faire appel à un architecte. Toutes ces opérations prennent du temps, et il devra entre l’achat et la mise en location assumer le portage financier de l’opération. Enfin, si l’opération porte sur un logement situé dans une copropriété, il ne sera pas en mesure d’effectuer les indispensables travaux dans les parties communes. Ces difficultés conduisent à penser que le dispositif ne pourra véritablement être efficace sans l’intervention d’opérateurs susceptibles d’acquérir des immeubles entiers et d’y réaliser les travaux nécessaires. On se heurte là à la même difficulté que pour les aides à l’accession à la propriété dans l’ancien avec travaux lesquelles, faute d’opérateurs spécialisés, n’ont jamais occupé qu’une place marginale dans l’ensemble de l’accession aidée.

Jack Dupé
Décembre 2019


[1] Cf. BOI-IR-RICI-365 en suivant ce lien : Le dispositif Denormandie détaillé au BOFIP

[2] Le «TMI» ou taux marginal d’imposition est le taux auquel l’investisseur est imposé pour la dernière tranche de son revenu.

[3] Pour un logement d’environ 63 m².

[4] La diminution de consommation conventionnelle en énergie primaire après travaux doit être d’au moins 30% pour les logements individuels et 20% pour les logements en copropriété.

[5] Cf. la lettre de l’observatoire de l’habitat sur l’Amélioration thermique des logements de Maine et Loire

[6] Cf. «Logement – Sortir de la jungle fiscale» – J. Bosvieux et B. Coloos – Ed. Economica – mai 2016.

[7] Une dissociation s’opérera également entre ceux, motivés par le gain fiscal, ayant l’intention de revendre après la période de réduction d’impôts, et ceux qui, recherchant un revenu complémentaire régulier, conserveront le bien dans leur patrimoine.

[8] Estimation selon la distribution des revenus déclarés des ménages locataires obtenue par une exploitation du fichier Filosofi.

[9] (cf. l’article de G. Brisepierre sur politiquedulogement.com – 9 mai 2019).

Auteur/autrice

Une réflexion sur “Le dispositif Denormandie : une opportunité pour les investisseurs et les politiques de l’habitat.

  • 25 février 2020 à 01:31
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    Constat tres juste en conclusion : si l’objectif du Denormandie est d’améliorer la qualité énergétique des logements anciens, pourquoi diable compter passivement sur le « marché » en mettant le contribuable à contribution (par abandon de recette fiscale) plutot que de subventionner directement des opérateurs dont c’est le métier (epf, esh). Cette subvention serait alors sanctuarisée eternellement et pas seulement pour 12 ans (en zone A, la culbute permise grace au contribuable sera aspiré par l’investisseur en cas de revente ou relocation deconventionnée), et le degré d’interventionnisme un peu plus ambitieux que d’attendre effectivement des particuliers qu’ils s’en chargent (pas forcément tres bien, n’étant pas professionnels).

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