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Mesurer et expliquer les disparitions de logements en France : une approche par les données foncières

Bien souvent éclipsées par les chiffres de la construction neuve, les disparitions de logements ont fait l’objet d’une méthode de repérage et de classement par le Cerema afin d’étudier les dynamiques à l’œuvre. Cet article synthétise ces travaux qui quantifient et catégorisent les différentes causes de disparitions entre 2018 et 2024.

 

Au cours de la période 2018-2024, 99 000 logements fiscaux ont disparu en moyenne chaque année sur l’ensemble du territoire national[1] . Ces disparitions sont de trois natures[2] :

  • Démolitions (suivies ou non d’une reconstruction) ;
  • Restructurations (fusion de logements, changement d’affectation) ;
  • Disparition de l’identifiant fiscal du local (numéro unique du logement utilisé par les services fiscaux) ne s’accompagnant pas de la suppression physique du logement.

 

Ce volume rejoint les observations historiques de l’INSEE, qui soulignait déjà dans les années 1990 une tendance similaire : « Le parc de logements évolue aussi sous l’effet des disparitions et des ré-affectations. Toutes catégories confondues, en moyenne un peu plus de 100 000 logements par an ont disparu de 1990 à 1995 par destruction, perte de l’usage d’habitation liée à la transformation en locaux professionnels ou fusion. »[3] Cette persistance des disparitions de logements, près de trois décennies plus tard, interroge sur les dynamiques des démolitions et sur les défis posés par la reconversion du parc existant.

Pour comprendre ces phénomènes, nous commencerons par présenter un panorama général de ces disparitions puis nous aborderons rapidement les cas de suppressions administratives. Nous examinerons ensuite dans le détail les restructurations (fusions et changements d’affectation) avant d’analyser les caractéristiques des démolitions et leurs impacts sur le parc de logements.

 

Une catégorisation partielle des disparitions de logements à partir des données foncières

La méthode développée par le Cerema repose sur les Fichiers fonciers, enrichis par les permis de démolir disponibles dans Sit@del et les quartiers prioritaires de la ville (QPV). Identifiées lors de traitements antérieurs, à la suite d’une première expérimentation pour la Métropole européenne de Lille[4], les disparitions par restructurations du parc existant ont constitué la première étape de ces travaux[5] qui ont ensuite été élargis à l’ensemble des disparitions. Grâce à cette approche, 77 % des disparitions de logements, préalablement identifiées et localisées dans les bases fiscales, ont pu être classées selon les trois catégories distinctes (démolitions, restructurations, « logique DGFiP »). Les 23 % restants (soit environ 22 500 disparitions) n’ont pas pu être classées, faute de données suffisantes pour établir une règle de catégorisation. Les chiffres présentés dans le schéma ci-dessous doivent donc être considérés comme des valeurs minimales, car ils n’intègrent pas ces 22 500 cas qui devraient se répartir dans les trois familles de disparitions (cf. graphique n°1). Malgré cette limite, les 76 500 logements classés offrent une base solide pour analyser les différentes natures de suppressions.

Graphique n°1

 

 

Des disparitions d’identifiants de locaux sans perte effective de logements

12 500 cas caractérisés, que l’on a nommés « Logique DGFiP », ne sont pas à proprement parler des disparitions de logements comme peuvent l’être les restructurations et les démolitions. L’identifiant de local est stable d’un millésime à l’autre dans les Fichiers fonciers, sauf en cas d’évolutions substantielles, ce qui semble être le cas pour cette catégorie. On a souvent peu d’informations pour comprendre ces disparitions de numéros de locaux alors même que le nombre de logements et les années de construction restent souvent stables entre les deux millésimes consécutifs. Certains cas sont néanmoins identifiés tels que des contentieux, des locaux de type maison qui laissent place à des appartements lors de leur division ou encore des structures comme des EHPAD, casernes et résidences étudiantes qui passent d’un statut de logement à un statut de local d’activité. Entre ces suppressions administratives, dont les causes restent souvent à éclaircir, et les 22 500 cas non classés, les Fichiers fonciers atteignent leurs limites face à des mécanismes parfois complexes de disparition des logements. Mettons de côté ces cas spécifiques pour nous pencher sur les 64 000 disparitions effectives et identifiées dans la base du Cerema, qui se répartissent entre restructurations dans le parc ancien et démolitions.

 

Fusion de logements et changements d’affectation, quelles dynamiques dans le parc ancien ?

Analyse des transformations de logements en locaux d’activité : les bureaux et l’hôtellerie/hébergement en tête

Avec en moyenne 13 500 cas par an identifiés dans les bases fiscales, les changements d’affectation (à savoir les logements d’habitation devenant des locaux d’activités ou des dépendances) constituent la catégorie de baisses du parc de logements par restructurations la plus fréquemment observée. Bien que près d’un tiers des cas soit situé dans les grands centres urbains[6], les dynamiques ressortent plus fortement dans le rural au regard du stock de logements présents sur ces territoires : 3,8 ‰ disparitions par changement d’affectation dans le rural à habitat (très) dispersé contre 2,2 ‰ dans les grands centres urbains pour la période 2018-2024.

Concernant la forme des logements transformés en locaux d’activité (hors bâtiments agricoles), les Fichiers fonciers indiquent une transformation en bureaux dans un cas sur deux (cf. graphique n°2). Vient ensuite la catégorie « hôtels, hébergement et locaux assimilables » (20 %) dans laquelle il semble y avoir une part conséquente de meublés de tourisme puisque plus d’un tiers des cas concerne seulement un local ou deux pour un total de moins de 100m² en situation de changement d’affectation. Il est cependant difficile de quantifier les phénomènes de transferts de logements vers les meublés de tourisme uniquement à partir des Fichiers fonciers, un croisement avec d’autres sources serait ici nécessaire[7], ces biens se retrouvant dans différentes catégories de locaux des sources fiscales (résidences secondaires, meublés à usage d’habitation, locaux d’activité…). Un ancien logement sur dix est transformé en local de stockage. Enfin, les 20 % restants se répartissent en 5 catégories au premier rang desquelles on trouve les magasins et lieux de vente.

 

Graphique n°2

 

 

En complément de leur forme, le code NAF nous permet de connaître la nature des activités s’exerçant dans ces locaux professionnels issus de logements. L’information dans les Fichiers fonciers n’est présente que pour 43% de ces cas mais cette donnée parcellaire nous fournit néanmoins quelques enseignements. Sans surprise, les professions libérales y sont majoritaires :  elles représentent plus de trois locaux sur dix, principalement des cabinets médicaux, suivis des fonctions juridiques et comptables. Viennent ensuite les activités d’hôtellerie et d’hébergement (10 % des cas renseignés), parmi lesquelles figurent probablement des meublés touristiques. Enfin, les commerces, services aux particuliers et restaurants représentent un cas sur dix parmi les biens ayant changé d’affectation.

 

90 % des logements fusionnés sont acquis la même année

Les propriétaires procédant à des fusions de plusieurs logements sont très largement des personnes physiques occupant ces biens réunis. Dans neuf cas sur dix, les logements faisant l’objet d’une fusion sont acquis la même année par leurs propriétaires. Dans ces situations-là, la réunion des biens intervient essentiellement à la suite de la mutation.

Dans un cas sur dix, l’achat des logements réunis a lieu à des années différentes. L’année médiane d’acquisition du premier bien est 2006, avec donc une période pouvant dépasser la décennie avant l’achat d’un second logement intégré au premier. Ces cas d’agrandissements par fusion sont des phénomènes très urbains et se situent en premier lieu à Paris intramuros (21% des cas) suivi de loin par Nice (2% des cas).

Pour ce qui est des typologies de biens concernés par une fusion, les Fichiers fonciers nous apprennent que près de 60% des biens fusionnés sont des T1 ou des T2 tandis qu’un logement sur deux issu d’une fusion est un T5 ou plus (cf. graphique n°3).

 

Graphique n°3

 

Quels enseignements pour les démolitions ?

Trois familles de démolitions

Trois catégories de démolitions sont ici distinguées :

  • Les démolitions-reconstructions (42% des cas) ;
  • Les démolitions totales (c’est à dire que tous les logements de la parcelle ont été détruits) non (encore) suivies d’une reconstruction (39%) ;
  • Les démolitions partielles (une partie des logements de la parcelle est préservée) non (encore) suivies d’une reconstruction (19%).

Dans la mesure où l’identification de démolitions-reconstructions repose sur l’apparition ultérieure dans les bases fiscales d’un ou plusieurs logements sur un site où une démolition a été repérée, plus on avance dans le temps et moins le poids des démolitions-reconstructions est conséquent, une durée plus ou moins longue s’écoulant entre la démolition et la reconstruction des parcelles. Ainsi, 55% des cas de démolitions identifiés en 2018-2019 étaient suivis d’une reconstruction au 1er janvier 2024 contre moins du quart pour les démolitions repérées dans les Fichiers fonciers 2023-2024 (cf. graphique n°4).

 

Graphique n°4

 

 

Quels logements sont démolis ?

Le parc construit pendant les Trente Glorieuses est surreprésenté dans les démolitions identifiées via les Fichiers fonciers : 41 % des logements détruits ont été construits entre 1948 et 1974, alors qu’ils ne constituent que 22 % du parc immobilier français (cf. graphique n°5). Ces chiffres rejoignent le constat dressé par l’INSEE en 2017[8] : « Depuis 1999, plus de 212 000 logements construits avant 1949 et 194 000 construits entre 1949 et 1974 ont été détruits. En proportion, c’est le parc construit entre 1949 et 1974 qui a subi le plus de démolitions : 2,3 % contre 1,8 % pour le parc construit avant 1949. » S’appuyant sur Filocom 2013, l’INSEE estime donc qu’il y a eu en moyenne 29 000 destructions annuelles de logements d’avant 1975 entre 1999 et 2013 quand le Cerema en identifie 25 000 pour la période 2018-2024 à partir des Fichiers fonciers, auxquels il faut sans doute intégrer une partie des « non classés ». Notamment impulsées par les programmes de l’ANRU, les démolitions en QPV représentent 23% de l’ensemble des logements démolis identifiés en France métropolitaine, alors que ces quartiers n’abritent que 7% du parc national d’après les Fichiers fonciers 2024. Dans ces secteurs, trois démolitions sur quatre concernent un bien construit entre 1948 et 1974.

 

Graphique n°5

 

En moyenne, 14 600 logements démolis par an, soit 47%, appartiennent aux acteurs de la transformation urbaine que sont les organismes de logement social, les collectivités territoriales et les SEM/SPLA. Pour ce qui est des surfaces médianes des logements démolis selon le niveau de densité des communes, on constate une certaine homogénéité, avec des superficies allant de 71m² pour le rural à habitat dispersé à 79m² dans les ceintures urbaines, alors que les surfaces médianes pour l’ensemble du parc vont de 64m² (grands centres urbains) à 93m² (rural à habitat dispersé).

 

Que reconstruit-on lorsque l’on détruit un logement ?

En termes de nombre de logements construits pour un logement démoli, le SDES fournit des chiffres détaillés et concordants avec les résultats du Cerema dans sa publication sur les besoins en logements à horizon 2030, 2040 et 2050[9]. En complément de ces résultats, des éléments relatifs aux surfaces vont être ici développés.

En moyenne, 4,1 m² de surface habitable sont créés pour chaque mètre carré détruit, mais ce chiffre masque de fortes disparités, selon la localisation des opérations et le profil des propriétaires identifiés dans les Fichiers fonciers. Ainsi, selon des logiques d’action radicalement différentes et difficilement comparables, les promoteurs ont créé, en moyenne, 10,1 m² habitables pour un 1m² détruit alors que les organismes de logement social en QPV en ont créé en moyenne 0,51 m². Quant aux personnes physiques, leur moyenne est de 3,2 m² reconstruits. Dans les grands centres urbains, la moyenne s’établit à 6 m² alors que dans le rural à habitat dispersé, la moyenne des opérations est neutre (en surface habitable mais la démolition d’un logement peut donner lieu à la construction de surfaces d’activité ou de dépendances). Ces surfaces étant calculées sur la base des reconstructions de toute la période (2018- 2024), il est possible qu’une partie des logements n’apparaissent pas encore dans les bases fiscales pour certaines des opérations les plus récentes.

 

Il est par ailleurs important de souligner que, dans un peu plus de la moitié des opérations de démolition-reconstruction identifiées par la méthode Cerema, la surface habitable créée est inférieure à celle détruite. Si l’on raisonne en nombre de logements, on constate que seulement un tiers des opérations permet de construire au moins deux logements supplémentaires pour chaque logement démoli (cf. graphique n°6). Pour les opérations neutres ou connaissant une baisse du nombre de logements, la surface totale de plancher augmente cependant dans près des ¾ des cas par rapport à celle des locaux démolis, avec des locaux de type activité ou dépendance pouvant apparaître. Par ailleurs, des logiques de redéploiement dans d’autres secteurs peuvent être à l’œuvre dans le cas des reconstructions soutenues par l’ANRU, expliquant en partie les cas de diminution du nombre de logements rebâtis sur les parcelles concernées par des démolitions. Par rapport aux autres secteurs, on constate une certaine polarisation des reconstructions dans les QPV avec d’un côté des opérations où le nombre de logements diminue sur la parcelle et d’un autre côté des situations où l’on reconstruit plus de 20 logements supplémentaires (29% pour les deux cas).

 

Graphique n°6

 

La surface habitable médiane des logements construits après démolition est corrélée au niveau de densité des communes où se situent les opérations. Elle atteint 108m² dans le rural à habitat dispersé contre 69m² dans les grands centres urbains.

 

 

Reflets d’un parc évoluant au gré des nouveaux usages, les disparitions de logements ne sont pas toujours synonymes de perte nette, mais plutôt une étape dans les différents processus de requalification urbaine. En comparant ces résultats aux données antérieures de l’INSEE, on constate une certaine stabilité des volumes de disparitions depuis les années 1990. Cependant, les disparitions ne représentent qu’une facette du vaste sujet de l’évolution nationale du parc de logements. Pour en avoir une vision complète, il convient de considérer aussi les créations (constructions neuves et restructurations du parc ancien) ainsi que les flux entre résidences principales et autres statuts. Un raisonnement en solde, rendu possible grâce aux sources fiscales ou aux données de l’institut national de la statistique[10], révèle une évolution annuelle avoisinant les 0,9 % ces dernières années, chiffre dans lequel les disparitions identifiées par la méthode du Cerema peuvent être considérées comme incluses.

 

Alors que la lutte contre l’artificialisation des sols, la préservation et la requalification du parc ancien s’imposent comme des priorités, une analyse fine de ces phénomènes à l’échelle locale apparaît également indispensable. La méthode de repérage du Cerema permet à la fois de fournir des données précises sur les disparitions à la parcelle et de dresser un panorama national pour objectiver le sujet. Mais c’est bien à partir de travaux ancrés dans les réalités locales, combinant diagnostic territorial et concertation avec les acteurs, que pourront émerger des politiques du logement à la fois durables et opérationnelles.

Gilles Verley
Décembre 2025

 

[1] Sources : Fichiers fonciers 2018 à 2024, DGFiP / Traitement : Cerema

[2] À ces trois natures de disparitions s’ajoute une partie du parc qui n’a pas pu être classée, faute d’informations dans les Fichiers fonciers.

[3] Bessy (P), « La demande potentielle de logements neufs à moyen terme », INSEE Première, Avril 1997.

[4] Verley (G), Guerrini (S), Dupré (O), « Entre apparitions et disparitions, quel est le poids de la restructuration du parc ancien sur l’offre totale de logements ? », Politiquedulogement, mai 2025

[5] Dans ce cadre, les créations par restructurations (fusions, hausses par changement d’affectation), qui sont supérieures aux disparitions, avaient également été étudiées mais ne seront pas abordées dans cet article.

Ibid. et « Mesurer et caractériser les restructurations et divisions de logements dans le parc privé : une expérimentation sur le territoire de la métropole lilloise », Cerema, septembre 2024

[6] Selon la grille communale des densités en 7 niveaux de l’INSEE, https://www.insee.fr/fr/information/8571524

[7] Guerrini (S), Pelé (N), qui sont les propriétaires des logements Airbnb ? Fonciers en débat, mai 2025

[8] « Les conditions de logement en France, édition 2017 », INSEE Références, février 2017

[9] Boutchenik (B), Rateau (G) « Besoins en logements à horizon 2030, 2040 et 2050 », SDES, juin 2025

[10] Frepel (C), « Le parc de logements au 1er janvier 2024 », INSEE Focus n°332, septembre 2024

 

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