Désigne, en économie, la quantité d’un bien ou d’un service que les consommateurs sont disposés à acheter.
La demande de logement peut donc être définie comme la quantité de service de logement que les ménages – les consommateurs – sont disposés à acheter aux producteurs de ce même service. Ces derniers peuvent être des ménages (propriétaires occupants ou bailleurs) ou des personnes morales (organismes d’HLM, SEM ou autres personnes morales).
Le logement étant un besoin essentiel, tout ménage est un demandeur de service de logement. Pour satisfaire la demande, il faut des logements en quantité suffisante. En cas de pénurie, une part des ménages est logée dans de mauvaises conditions (surpeuplement, logements insalubres) ou même, ne pouvant avoir accès à un logement digne de ce nom, est contrainte d’avoir recours à un habitat de fortune (bidonvilles).
Le concept de besoins en logements
La France a connu une telle situation au lendemain de la seconde guerre mondiale. L’apparition, à cette époque, du concept de besoins en logements traduit à la fois l’incapacité du marché à faire face à la demande et le fait que la satisfaction de ces besoins va désormais devenir un objectif de politique publique.
La première tentative d’évaluation prospective des besoins en logements portant sur la période 1950-1980 fut effectuée en 1950 par L. Henry. La méthode utilisée, préfigurant les méthodes d’estimation ultérieures, distinguait les composantes suivantes :
– le retard (déficit de la construction neuve par rapport aux besoins estimés rétrospectivement sur la période 1914-1950) : 3,9 millions de logements ;
– le renouvellement du parc existant : 3,5 millions de logements ;
– la démographie : évolution de la population sous des hypothèses de nuptialité, mortalité et fécondité (composante démographique pure) combinée avec le niveau de cohabitation des adultes : 2,16 à 2,35 millions de logements selon les scénarios. L’effet des migrations internes est supposé nul, celui de l’immigration n’est pas pris en compte.
Au total, les besoins en logements neufs furent évalués à environ 9,6 millions de logements pour les trente ans à venir, soit une moyenne de 320 000 logements par an. Toutefois, la commission du deuxième plan retint un objectif plus modeste – et sans doute plus réaliste compte tenu du niveau de la construction au début des années 50 – de 240 000 logements par an pour la période 1954-1957.
L’exercice sera par la suite renouvelé, lors de la préparation des plans successifs, sous la forme de projections à moyen terme destinées à fixer des objectifs quantitatifs de construction de logements neufs, qui résultent de l’addition de quatre composantes :
– la croissance du nombre de ménages, découlant du double effet de la croissance purement démographique et de la décohabitation ;
– la nécessité de renouveler une partie du parc ;
– la demande de résidences secondaires ;
– le maintien d’un volant de logement vacants, nécessaire à l’évolution du parc et à la mobilité des ménages.
Résidences secondaires et logements vacants sont désormais pris en compte, mais la composante de rattrapage du retard a disparu. Cette évolution traduit un glissement de la notion de besoins à celle de demande potentielle. L’exercice, réalisé périodiquement par l’INSEE, consiste en effet à estimer le nombre de logements neufs à construire pour assurer l’adéquation quantitative du parc à une demande potentielle évaluée sous l’hypothèse de la prolongation des tendances passées.
Des objectifs quantitatifs aux objectifs qualitatifs
Jusqu’au milieu des années mille neuf cent soixante-dix, le niveau de la construction neuve augmente régulièrement et reste très proche des besoins estimés. Ce constat témoigne de l’efficacité de l’engagement de l’Etat dans l’effort de construction : pendant toute cette période, les besoins évalués s’imposent à la puissance publique comme un objectif à atteindre. L’intervention de l’Etat est en effet déterminante, qu’elle prenne la forme d’aides budgétaires directes ou, plus tard, d’affectation de ressources privilégiées au financement du logement.
Grâce à cet effort, 9 millions de logements seront construits entre 1954 et 1975, et la taille du parc augmentera de 50%. Si l’on en juge par le nombre de logements vacants (1,7 million en 1975), la détente du marché est alors manifeste. Les conditions de logement ont connu une amélioration spectaculaire : le pourcentage de logements pourvus du confort sanitaire a considérablement augmenté, les logements sont devenus plus spacieux alors que la taille moyenne des ménages diminuait.
Dès lors, la notion de besoins quantitatifs va se trouver progressivement déconnectée de la définition des politiques publiques. On continuera, certes, à réaliser des prévisions de besoins – rebaptisés « demande potentielle » en 1997 – mais l’action de l’Etat va s’infléchir : il s’agira moins, désormais, d’atteindre des objectifs quantitatifs globaux pour la construction neuve que de permettre à tous, y compris aux plus démunis, l’accès à un habitat de qualité. Dans la ligne des conclusions des rapports Barre et Nora, le rapport du comité habitat du septième plan (1976-1980) affirme clairement cet objectif et les conséquences qu’il implique : « promouvoir partout un habitat de qualité » et « aider les plus démunis ». L’action régulatrice de l’Etat s’exercera en priorité sur la demande par le biais des aides personnelles, alors que l’action sur l’offre se concentrera sur la construction de logements sociaux. Par ailleurs, pour combler au moins partiellement le retard qualitatif du parc de logements français par rapport à ceux des pays d’Europe du nord, le septième plan retient l’objectif de diminuer de moitié (de 40% à 20%) en cinq ans le pourcentage de logements inconfortables, ce qui correspond à l’amélioration de 250 000 logements par an.
Bien que la référence aux besoins en construction neuve soit encore présente, il ne s’agit donc plus de l’objectif principal. Le rapport émet d’ailleurs un certain nombre de critiques quant à la méthode d’évaluation : « On ne se satisfera pas, au surplus, des seuls besoins recensés. Il faut y intégrer, dans la mesure du possible, la demande non exprimée, en analysant le degré de peuplement des logements à l’aide de critères d’habitabilité et de confort plus adaptés au mode de vie actuel que ne le sont les normes habituellement retenues pour apprécier le surpeuplement. Il faut, parallèlement, analyser les conditions de l’offre sur les marchés locaux ». « Les normes de confort se limitant au confort sanitaire sont très insuffisantes pour rendre compte des qualités minimales exigibles aujourd’hui d’un logement ». Il insiste particulièrement sur la nécessité d’améliorer l’appareil statistique.
Vers une définition normative des besoins ?
Si les politiques publiques vont effectivement s’infléchir à la fin des années 1970, les recommandations des planificateurs en matière d’évaluation des besoins resteront lettre morte. L’observation statistique des conditions de logement restera, jusqu’en 1996, cantonnée à la description de l’équipement sanitaire, et la méthode utilisée par l’INSEE n’évoluera pas. Il est pourtant patent que les problèmes ne sont plus essentiellement d’ordre quantitatif : ils concernent l’accès des plus démunis – voire des plus modestes – à un logement décent. Les dispositions législatives prises depuis le début des années 1990 – lois « Besson », loi contre l’exclusion, loi SRU qui officialise et définit la notion de logement décent, loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable – attestent de ces nouvelles priorités.
Loin d’être dépassée, la notion de besoins en logements est donc plus que jamais d’actualité. Il convient toutefois de lui donner une définition normative précise se référant aux conditions minimales de logement jugées socialement acceptables et intégrant la dimension financière, c’est-à-dire le coût d’accès au logement rapporté aux ressources du ménage qui l’occupe.
Jean Bosvieux
Février 2015