Que penser de la transition énergétique ?

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La transition énergétique, volet central d’un nouvel ordre écologique, qualifie un double mouvement, d’une part de substitution progressive des énergies renouvelables aux énergies fossiles, d’autre part d’économie d’énergie par l’amélioration rapide de l’efficacité énergétique[1]. Le concept de transition énergétique, né en Allemagne dans les années 1980, a fait émergence en France à l’occasion du protocole de Kyoto qui, en 1997, introduisit l’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) puis du Grenelle de l’environnement et des réflexions sur la croissance verte en 2009. Mais ce fut la conférence environnementale sur le développement durable des 14 et 15 septembre 2014 sur le thème de la transition « écologique et énergétique » qui, au travers du débat national sur la transition énergétique à l’horizon 2050, a réellement popularisé le concept. Il s’agit, ni plus ni moins, que de préparer à cet horizon une division par quatre ou cinq des émissions de gaz à effet de serre, tout en ramenant d’ici à 2025 la part du nucléaire à 50% de la production d’électricité, en développant les énergies renouvelables et en recherchant toutes les formes.
À l’évidence, il s’agit d’un changement considérable d’ambition et de perspective.
Longtemps, la politique fut axée sur le développement des économies d’énergie dans la foulée du choc pétrolier de 1973. La première règlementation thermique (RT), qui concerne la construction neuve, apparaît en 1975 et n’a cessé depuis de se renforcer. La RT 1975 prévoyait une réduction de 25% de la consommation par rapport aux standards des années 1950. Le second pas fut la RT 1982 qui visait un nouveau gain de 20%. Le troisième stade fut la RT 1988 qui, grande novation, incluait l’eau chaude sanitaire. La RT 2000 fixait un nouvel objectif de réduction de 20% par rapport à la RT 1988 (-40% dans le tertiaire). Puis ce fut la RT 2005, qui visait à une nouvelle amélioration de 15% et enfin la RT 2012, fruit du Grenelle de l’Environnement, qui avait pour objectif une réduction supplémentaire de 50%.
Ce mouvement de renforcement des exigences sur la construction neuve, plus tardivement sur le parc existant avec la création en 2007 de la règlementation thermique sur le parc existant, fut d’autant plus fort et accéléré qu’à l’objectif d’économie d’énergie sont venues petit-à-petit, au cours des années 1990, s’agréger d’autres dimensions comme la crainte de l’épuisement des ressources naturelles et la prise de conscience du changement climatique. Depuis le début de l’ère industrielle, la température moyenne a augmenté de 0,85°C, ce qui a déjà des effets très sensibles sur les glaciers ou la fréquence d’événements météorologiques extrêmes. Ces phénomènes sont la conséquence de la présence de plus en plus importante des gaz à effet de serre, dont les émissions au plan mondial sont passées de 38 milliards de tonnes en équivalent CO² à 49 milliards de tonnes entre 1990 et 2010[2].
Une accélération des réalisations s’impose donc, si notre pays veut respecter ses objectifs globaux de réduction des émissions des gaz à effet de serre d’ici à 2050. Le souci d’aller vers une économie sobre en carbone, déjà au centre des travaux du Grenelle de l’environnement, conjugue dès lors une ambition élevée de réduction des émissions et un impact positif sur la croissance et l’emploi. La question de la stratégie à suivre pour parvenir à « décarboner » notre économie à l’horizon 2050 reste entière. L’ambition de cet article n’est évidemment pas de traiter l’ensemble du sujet et des interrogations qu’il suscite. Il vise plus modestement à réexaminer l’affirmation que cette stratégie bas carbone puisse devenir le principal levier de croissance du bâtiment, levier d’autant plus bienvenu que le secteur connaît une crise grave et durable. Cette affirmation se révèle largement trompeuse. Il n’est aucunement question ici de climato-scepticisme. Le réchauffement climatique n’est pas contestable et les efforts consentis pour la transition énergétique sont réels. Le volume de travaux réalisés progresse et a des effets manifestes sur la consommation globale du secteur. Mais la réalité est aussi que l’intensité du mouvement reste très en-deçà des objectifs affichés par les Pouvoirs publics. Force est de reconnaître que ces derniers s’avèrent totalement irréalistes et que, de plus, les moyens mis en œuvre n’ont pas toujours l’efficacité souhaitée.

Les objectifs

La formulation la plus récente et la plus aboutie des objectifs a été présentée à l’occasion de la stratégie bas carbone en 2015. Précédemment, il faut remonter au plan climat de 2004, en application du protocole de Kyoto de 1997, pour retrouver le premier objectif global au plan macro-économique. Il s’agissait alors de revenir d’ici à 2012 au niveau des émissions de GES de 1990. Ce nouvel indicateur a une grande importance. De fait, il n’y a pas toujours cohérence ou identité[3] entre la consommation énergétique d’un bien (on parle d’étiquette énergie) et la quantité de CO² émise (on parle d’étiquette GES). Ceci provient en partie de l’usage fréquent de l’électricité comme mode de chauffage, qui émet peu ou pas de CO² lorsque cette dernière est d’origine nucléaire ou renouvelable. À l’inverse, une faible consommation en fioul domestique produit beaucoup de GES. Ces deux indicateurs se complètent donc et doivent être examinés conjointement pour évaluer l’impact des réglementations. Puis, ce furent les Plans Climat de 2006[4] et de 2009[5] qui prévoyaient respectivement :

  • de diviser par quatre des émissions de GES à l’horizon 2050 par rapport à celles de l’année 1990 ;
  • de réduire à l’horizon 2020 de 14% les émissions de GES par rapport à 2005 et de 23% par rapport à 1990, alors que l’objectif européen était de 20%.

L’avatar du Plan Climat 2011 et l’état des lieux 2013 des politiques et des mesures de lutte contre le changement climatique n’apportent aucune modification. En revanche, en 2015, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC) constitue un changement radical de focale avec au plan national l’objectif de :

  • réduire de 40% les émissions de GES à l’horizon 2030 (base 1990) et de 20% la consommation énergétique (base 2012)[6];
  • diviser par quatre les émissions de GES à l’horizon 2050 (base 1990), objectif dit « facteur 4 » ;

et, pour le seul secteur « construction », les objectifs suivants :

  • réduire de 54% les émissions de GES à l’horizon 2028 (base 2013) ;
  • réduire de 87% les émissions de GES à l’horizon 2050 (base 2013).

En dépit de la multiplication au cours de la période des indications (CIDD, CITE, Eco-PTZ, qui ont connu des fortunes diverses), aucune évolution de la réglementation sur les bâtiments existants n’est intervenue avant la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte de 2015, qui prévoit l’obligation d’une isolation thermique à l’occasion de ravalement de façade, réfection de toiture ou transformation de pièces ou locaux non aménagés en pièces habitables. Associés à des travaux importants, ces travaux « embarqués » ne sont obligatoires que si des conditions de rentabilité sont réunies (temps de retour de dix ans principalement). Il n’en reste pas moins que la question du calibrage de ces obligations ne peut être traitée sans lien avec la question des coûts associés et de leur supportabilité.

Les acquis réels

Le parc de bâtiments reste très énergivore, avec 44% de la consommation d’énergie et quelque 20% des émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce constat n’exclut en rien l’existence d’un mouvement d’amélioration. Les résultats des politiques d’économie d’énergie et de leur montée en puissance furent en effet spectaculaires (cf. figure 1). De 1974 à aujourd’hui, les consommations énergétiques d’un logement neuf, toutes choses égales par ailleurs, ont été divisées par neuf, les émissions de gaz à effet de serre par trois. Le processus ne va pourtant pas s’arrêter là, puisque qu’à l’horizon 2020 se profilent les bâtiments à énergie positive (BEPOS), qui produisent plus d’énergie qu’ils n’en consomment, ce qui imposerait pour tous les logements, et non plus seulement les maisons individuelles, le recours aux énergies renouvelables.

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 Les résultats furent moins spectaculaires, sans être négligeables, sur le parc existant. La RT existante, il est vrai, date de 2007 et n’a jamais été modifiée depuis. De nombreuses aides furent mises en place au fil du temps, qui ont conduit à des flux d’investissement conséquents (de l’ordre de 15 à 17 milliards d’euros par an sur les années récentes). On ne dispose pas toutefois d’indicateur plus précis permettant de suivre, par exemple, l’évolution des consommations des logements construits avant 1975.
Ce n’est qu’au niveau global que l’on est en mesure d’apprécier l’impact des efforts réels, tant sur le neuf que sur le parc existant. Ces derniers, ont permis, sur la période 1990-2015, une stabilisation des émissions alors même que le parc croissait de plus d’un quart (cf. graphique 1).

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Des données du Compte du logement pour le parc résidentiel, du Centre d’études et de recherches économiques sur l’énergie (Ceren) et du Ministère de l’Écologie, du développement durable et de l’énergie (MEDDE) pour le parc non-résidentiel ressortent qu’entre 1990 et 2013, le parc de logements a crû de 38,0% (en m²) et le parc non-résidentiel de 20,7% (en m²).

Source : FFB d’après rapport CITEPA, format Plan Climat, avril 2015.

Malgré un appareil incitatif puissant (TVA à taux réduit, CITE, etc.), alors que tous les segments de marché s’affichent à la baisse, les travaux liés à la transition énergétique sur le segment du logement n’ont que très légèrement progressé depuis 2010. Cette progression a permis d’atténuer quelque peu l’effondrement de l’activité du bâtiment.
Toutefois, alors que le gisement d’économies est considérable dans le parc existant, on reste loin de l’objectif fixé en 1990, qui consistait en une baisse de 30% à l‘horizon 2030. Une simple règle de trois (30% en 40 ans) fait apparaître un écart avec l’objectif de près de 19% (30% x 25/40 = 18,75%).
Les professionnels du bâtiment s’efforcent, à la lumière de ces résultats, de faire admettre le diagnostic suivant :

  • les efforts tendanciels vont se poursuivre dans le neuf dans l’avenir dans le prolongement du passé, même si les gains seront plutôt axés sur les émissions de GES et la production locale ;
  • la progression des travaux sur les locaux existants poursuivra sa croissance, dans le futur, à un rythme positif mais faible, de l’ordre de 1 à 1,5% l’an comme par le passé ;
  • aucune accélération forte ne se profile donc à l’horizon dans le parc existant, même s’il conviendrait d’introduire une distinction entre le non-résidentiel (avec une tendance plus positive) et le résidentiel.

Dans le même temps, en contradiction avec ces mêmes constats, les politiques continuent et accélèrent leur fuite en avant.

Des objectifs irréalistes

Répétons-le : l’objectif de réduire les émissions de GES suscite l’adhésion. Pour autant, nier les réalités concrètes n’apporte que désillusions et scepticisme dans le public.
Ce fut le cas, dans le passé, avec les annonces mirifiques du Boston Consulting Group et ses 300 000 emplois verts. C’est aussi le cas, exemple parmi d’autres, avec la stratégie bas carbone. Le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) a judicieusement, sous l’influence des professionnels, souligné le caractère totalement irréaliste d’un supplément annuel de 45 milliards d’investissement sur le parc existant, alors que le chiffre d’affaires de l’ensemble du secteur du bâtiment, tous secteurs confondus, avoisine 125 milliards d’euros hors taxes :
« (..) Les budgets carbone affectés au secteur résidentiel-tertiaire placent le Bâtiment face à des objectifs irréalistes et interpellent sur la place donnée au secteur du Bâtiment dans l’effort collectif.
Ainsi, les hypothèses du scénario de référence, dit AMS2, ayant présidé à la définition des objectifs marquent une méconnaissance manifeste des ressorts du secteur du Bâtiment, de la crise actuelle et des perspectives partagées par les acteurs. Les hypothèses ayant conduit aux objectifs affectés au secteur du Bâtiment supposent que le parc résidentiel, composé de 34 millions de logements, sera rénové d’ici 2030, ce qui sous-tend un rythme de près de deux millions de rénovations lourdes par an contre à peine deux cent mille actuellement.
Pour la construction neuve dans le résidentiel, afin de tenir les objectifs de la loi TECV, le scénario de référence prévoit un rythme de construction accéléré sur le parc privé et le logement social, hors d’échelle par rapport aux résultats actuels et dans un contexte de financement très incertain. Pour le tertiaire, les hypothèses prévoient des rénovations lourdes pour des bâtiments de moins de 1 000 m² avec des dispositifs d’aides imprécis. Le scénario de référence laisse également planer de grandes incertitudes quant à la soutenabilité des hypothèses pour la dépense publique.

Ces hypothèses traduisent un effort hors de proportion du secteur du Bâtiment par rapport aux autres secteurs, en lui faisant supporter près de 45 milliards d’euros de surinvestissement, d’ici cinq ans, en 2020, dont près des trois quarts reposeraient sur les seuls ménages. Le secteur du Bâtiment supporterait ainsi à lui seul et dans des délais irréalistes, près de 80% du surinvestissement total de l’économie nationale dans l’effort collectif de la Nation vers le facteur 4. L’ensemble des autres secteurs ne représentent qu’environ 20% du surinvestissement total, alors qu’ils représentent au moins 70% des émissions. À titre d’exemple, le secteur du transport ne porte que trois milliards d’euros d’investissement supplémentaires en 2020 (à comparer aux 45 milliards pour le secteur du Bâtiment) alors que ce secteur émet près de 30% des émissions nationales de GES, soit davantage que le secteur du Bâtiment (..) » .
Il ne sert à rien de proclamer que l’objectif du « facteur 4 » est à notre portée en ignorant l’immense transfert de ressources qu’il impose. Rappelons que, pour le parc existant des logements, l’investissement actuel se situe aux alentours de 17 milliards d’euros / an.
Alors que les dépenses au titre de la consommation énergétique dans l’industrie manufacturière n’ont pas augmenté depuis 2002 (cf. graphique 2), la progression enregistrée dans le logement, bien que limitée, constitue un réel effort qu’il sera très difficile d’accentuer. Les hypothèses d’une accélération forte et continue des travaux engagés apparaissent de ce fait peu crédibles. Le développement du Crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) pour le logement, quelles que soient ses qualités, ne paraît pas à même d’inverser ce jugement.

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Source : Insee, « Les dépenses de l’industrie manufacturière pour protéger l’environnement : en douze ans, protection de l’air et du climat et prévention progressent », Insee Première N° 1570, octobre 2015.

Pourquoi le marché de la transition énergétique ne progresse-t-il que faiblement ?

Les raisons d’un tel écart entre objectif et réalisation procèdent de multiples causes convergentes et, on peut le craindre, durables.
La première raison tient aux arbitrages des ménages et des autres acteurs économiques, qui raisonnent à budget contraint, ce que trop souvent on oublie. La prégnance d’un objectif, fût-il vital mais de long terme, ne réduit pas les besoins des ménages sur les postes vacances, éducation des enfants, alimentation, etc.
La deuxième tient au coût de l’énergie, qui n’assure que pour un nombre restreint de travaux des temps de retour sur investissement acceptables (cf. encadré 1). Une étude distinguant différents types de travaux, en individuel comme en collectif, réalisée en 2007 à l’initiative du Comité scientifique et technique des industries climatiques (COSTIC), centre d’études et de recherches indépendant, avec un prix du pétrole supérieur au prix actuel, montre des temps de retour beaucoup trop longs dans de nombreux cas[7].
L’illusion s’avère double.
– En l’absence d’augmentation des prix de l’énergie et des logements (valeur verte), il n’y a guère de raisons que les acteurs augmentent significativement leurs dépenses d’investissement. Les modes d’habiter ne changeront que si la « technique » réussit à imposer ses avantages face aux « contraintes », comme elle a réussi à la faire pour la voiture, les machines à laver, etc.
– L’hypothèse d’un mimétisme croissant pour un modèle porté par moins de cinq pour cent de la population paraît à ce jour infondée. L’évolution des comportements se fera petit-à-petit mais sans révolution immédiate.

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Au cœur de ce que beaucoup appellent un échec et que les pragmatiques cherchent simplement à comprendre, se trouve en effet la question des comportements.
Les occupants ont du mal à se conformer aux consignes d’utilisation des notices techniques et très souvent se comportent en « contre-performants ». Bruno Maresca va jusqu’à prévoir qu’un « homme nouveau et durable »[10] n’est pas pour demain et donc qu’aller vers une société sobre n’est pas immédiatement accessible. Les ménages font d’autant plus de travaux que leurs revenus sont élevés et n’obéissent que rarement à une logique d’arbitrage, dans le domaine des consommations énergétiques comme dans d’autres domaines. Au final, ne faut-il pas un renversement de perspective, en matière de transition énergétique et d’approche par les industriels et techniciens ?
« N’est-on pas là face à une utopie technicienne, qui pointe du doigt les comportements ? Et ne serait-ce pas l’inverse qu’il faudrait faire ? N’est-ce pas la technique qui, finalement, résiste aux usages, en refusant de les intégrer ou en les intégrant de manière marginale ? La question doit être posée autrement : a-t-on affaire à des usages non adaptés, ou à des usages pas adaptables ? L’enjeu d’économiser l’énergie est séduisant, l’idée des logements plus économes est valorisée et valorisante, mais il n’y a aucune remise en cause des normes de confort, ni à la maison ni au travail, un effet d’entraînement des normes de confort au travail vers la maison [sic], en particulier avec la généralisation de la climatisation. (…) Économiser l’énergie est une contrainte, et pas une valeur, qui se réalise dans le cadre d’une arène (ménage, famille, bureau, etc.), cadre de négociation difficile à maîtriser. L’erreur principale est que nous avons affaire à des comportements multiples qui sont appréhendés de manière standardisée, par exemple la norme du 19 degrés. Ne faudrait-il pas casser le mythe de la technique ? »[11].
Les Néerlandais, à partir d’un échantillon de 200 000 logements, ont de même montré l’existence d’écarts substantiels entre les consommations théoriques et les consommations réelles, parfaite illustration, du fait des comportements de la double règle : on se chauffe peu lorsque la qualité du logement est faible, on se donne plus de confort quand la technique le permet[12]. Il en découle un nivellement des consommations réelles qui gomme en grande partie les écarts théoriques de performance liés à la qualité technique intrinsèque des logements.
Dans le même temps, dans le neuf comme dans l’existant, on observe une nette différenciation entre consommation énergétique et facture globale. En France, les premiers à alerter en ce domaine furent les organismes de logement social, à la fois investisseurs et gestionnaires. L’observatoire des HLM a montré qu’il y a trop souvent un écart important entre les économies d’énergie réalisées et les coûts associés pour y parvenir (coût des abonnements supplémentaires, entretien des équipements, etc.). En d’autres termes, c’est un alourdissement de la quittance qui s’observe dans un nombre significatif de cas[13]. Le rapport 2015 du Conseil social HLM notait que « si à travers le plan massif d’investissement initié au titre de la transition énergétique par les organismes Hlm, les économies d’énergies primaires et les préoccupations environnementales sont au rendez-vous, force est de constater que la quittance globale pour le locataire n’a pas diminué dans un nombre considérable de cas. C’est en particulier ainsi lorsque se sont ajoutés des équipements qui génèrent des dépenses d’entretien et de maintenance récupérables, des abonnements nouveaux (multiplication des compteurs donnant lieu à facturation) et des augmentations de loyer. Or, des retours d’expériences montrent que le gain sur la quittance globale est possible. Dans le même temps, la facturation directe par les fournisseurs d’eau ou d’énergie aux locataires s’est développée, mettant parfois les locataires en position peu favorable de discussion avec les prestataires-distributeurs. Cela implique, notamment pour les locataires, une offre d’accompagnement par les organismes Hlm. Enfin, comme en 2014, le Conseil social alerte le secteur Hlm sur les risques de l’utilisation d’une technologie trop peu expérimentée. Il a par exemple identifié des appareils de mesure de consommation de fluide dont la propre consommation est supérieure aux économies d’énergie qu’ils génèrent[14] ».

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En conclusion, l’ardente et incontournable obligation d’accélération de la transition énergétique dans le secteur du bâtiment impose de dépasser les approches purement arithmétiques ou dogmatiques. Le bâtiment et les enjeux associés méritent mieux que d’être traités comme une simple variable d’ajustement. L’identification d’un sentier de croissance ambitieux et supportable reste à fixer, en accord avec l’ensemble des parties concernées. Ce travail paraît d’autant plus délicat qu’il s’agit d’inclure toutes les dimensions du problème, ce qui exclut les approximations.
Il impose surtout, au regard des résultats, de concilier des sauts périodiques ambitieux avec des périodes suffisamment longues d’apprentissage. On ne peut tout résoudre par décret, penser que le volontarisme suffit à faire progresser les masses. La réalité est que le développement et la diffusion des savoir-faire demandent du temps. À le nier, les déconvenues risquent d’être à proportion des ambitions démesurées.
Il impose aussi des choix. Face à des ressources limitées, des arbitrages en fonction de priorités claires s’avèrent incontournables. Un calcul simple, repris en annexe, démontre que la stratégie du BEPOS n’est pas, ne sera jamais la panacée. Un euro d’investissement supplémentaire affecté à la rénovation génère quatre fois plus d’économie que la même somme affectée au changement de réglementation pour la construction neuve (passage de la RT 2012 actuelle à la RBR/BEPOS). Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer au BEPOS, mais on peut et on doit se demander si c’est la priorité.


Annexe

Calcul des avantages associés comparés en économie d’énergie dans le neuf et dans l’existant.

Construction neuve (résidentiel/tertiaire)

Surcoût généré par la RBR 2020 :

Cout moyen au m² en construction neuve RT 2012 : 1500€/m²
Coût estimé construction neuve « Réflexion bâtiment responsable » (RBR) 2020[15] (en supposant un surcoût de 15% par rapport à la RT 2012) : 1725€/m²

On suppose un logement moyen de 100m² :
⇒ Surcoût RBR par logement : 22 500€

Soit, pour un objectif de 500 000 constructions par an
⇒ Surcoût RBR par an : 11,4 milliards €

Économies d’énergie générées par la RBR 2020 :

On passe d’une consommation moyenne d’un logement de 50 kWh/(m²/an) à 0 kWh/(m².an), BEPOS
⇒ Économie générée pour 500 000 logements par an : 2,5 milliards kWh par an

Rénovation (résidentiel)

On suppose une rénovation d’un logement moyen de 100 m² à 30 000 € faisant passer la consommation énergétique de 350 kWh/(m²/an) à 80 kWh/(m²/an), correspondant au niveau BBC rénovation. Soit une économie de 270kWh/(m²/an).
Transposons les 11,4 milliards € de surcoût générés par la RBR 2020 vers des travaux de rénovation :
Si l’on suppose que le coût d’une rénovation globale d’un logement est de 30 000 €, ces 11,4 milliards permettent de réaliser 380 000 rénovations par an.
⇒ Économie d’énergie générée : 10,2 milliards kWh par an

Cette comparaison, comme toute comparaison, ne reflète qu’imparfaitement la réalité. De fait, on met en parallèle des dépenses initiées par un promoteur (alors que les travaux sur existant sont à l’initiative des ménages dont ni le financement, ni le raisonnement économique ne sont identiques. À ce stade du raisonnement, on peut néanmoins se contenter de cette comparaison.

Source – DAT/ FFB


 [1] Dans la réalité, la transition écologique est aussi une transition comportementale et technologique, comme l’atteste le débat sur le nucléaire. Il faudrait y ajouter les aspects de la démocratisation en matière d’approvisionnement et de production.

[2] Voir pour un exposé complet Changement climatique : un défi sans précédent en termes d’investissement et de financement par Raymond Van der Putten, pages 3 à 20 in Conjoncture, Octobre 2015, N°10 BNP PARIBAS.

[3] Voir le Parc de logements en France métropolitaine, en 2012 : plus de la moitié des résidences principales ont une étiquette énergie D ou E. Chiffres et statistiques. Commissariat général au développement durable N° 534 juillet 2014

[4] Loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique ou loi POPE (2005) qui prévoyait pour le secteur :

  • diagnostic de performance énergétique ;
  • RT 2005 et RT Bâtiments existants ;
  • CEE (2006-2010, 2011-2014, 2015-2018) ;
  • CIDD (depuis 2005).

[5] Lois Grenelle 1 et 2 fixent un objectif pour le secteur de la construction de réduire de 38% la consommation énergétique du parc d’ici 2020 (passage de 240 kWh/m2/an à 150 kWh/m2/an). Pour y contribuer, en construction neuve une nouvelle RT s’applique dès 2012 et le BEPOS deviendra la règle en 2020, sans aucune évolution à ce jour pour les bâtiments existants.

[6] Ce simple récapitulatif rappelle qu’il y a de quoi s’y perdre dans les bases de référence : 1990, 2012, 2013, etc.).

[7] Voir La transition énergétique à l’épreuve du mode de vie, In Flux 2014/2 N° 96.

[8] Source : Études et documents, N° 135, décembre 2015. Commissariat général du développement durable – Service de l’économie, de l’évaluation et de l’intégration du développement durable.

[9] Les consommations énergétiques sont calculées pour un niveau de confort thermique donné sans tenir compte des éventuels changements de comportements des ménages.

[10] « Ils font des trous dans les murs pour accrocher des cadres, ouvrent les fenêtres, etc. autant d’habitudes qui constituent une manière d’être, de décider mais qui font qu’ils sont ou pas à l’aise dans leur logement. »

[11] Colloque « Usages de l’énergie dans les bâtiments : penser la tradition », les 19 et 20 janvier 2012, ESIEE Paris, Cité Descartes, LATTS, CNRS. Intervention de Marie-Christine ZELEM, Rompre avec les utopies pour réduire les consommations d’énergie.

[12] OTB Research Institute 2013 – Theorical vs actuel energy consumption of labelled dwellings in the Netherlands : discrepancies and policy implication par D. Majcen, LCM Itard, H. Visscher. In Enercy Policy, pages 125 à 136.

[13] Observatoire de la performance énergétique du logement social, USH, septembre 2014, 22 pages.

[14] Bien négocier le virage pour réussir la transition énergétique. Page 18 in Rapport du Conseil Social HLM 2015, 26 pages.

[15] Réduire RBR au BEPOS est une erreur, la nouvelle règlementation vise à permettre au bâtiment d’émettre moins de CO². Le calcul monétaire impose néanmoins des simplifications.

Auteur/autrice

  • Bernard Coloos

    Bernard Coloos est aujourd’hui consultant. Il a été de 1996 à 2020 directeur puis délégué général adjoint aux Affaires économiques, financières et internationales de la Fédération Française du Bâtiment,. Il a été chargé du Bureau des études économiques à la Direction de l’habitat et de la construction de 1990 à 1994 et directeur de l’Observatoire immobilier et foncier du Crédit foncier de France. Titulaire d’une maîtrise de droit privé et d’un doctorat de 3e cycle en sciences économiques, il a été également professeur associé au master Aménagement et urbanisme à l’IEP Paris. Il a publié divers ouvrages traitant du logement.

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