Un spécial logement d’Economie et Statistique
L’INSEE publie un numéro d’Economie & statistique intitulé « Logement et marchés du logement ». L’immobilier en général et le logement occupent une place croissante dans les études économiques, notamment depuis la parution de l’ouvrage de Thomas Piketty sur le patrimoine. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’un numéro (triple) de la revue lui soit consacré. Alain Trannoy n’a pas de mal à justifier ce choix dans son introduction, rappelant que le logement, « bien capital dans tous les sens du terme », est à la fois nécessaire à la production d’un service et un élément essentiel du patrimoine des ménages et que les évolutions de prix qui l’affectent se répercutent sur les conditions de vie et les comportements.
Il n’est pas nécessaire de présenter ici la totalité des articles de ce numéro très copieux (254 pages), puisque c’est précisément l’objet de l’introduction dont nous venons de parler. Nous avons choisi de nous concentrer sur trois d’entre eux, ce choix, qui n’est en aucune manière une sélection, étant dicté par les centres d’intérêt des rédacteurs.
Construire une typologie des systèmes de logement pour éclairer les politiques des États membres de l’OCDE et de l’UE, par Christophe André et Thomas Chalaux.
Les auteurs ont utilisé la base de données de l’OCDE sur le logement abordable pour construire cette typologie qui répartit les pays en quatre groupes. Des typologies de pays ont déjà été définies dans un passé plus ou moins ancien, notamment celles d’Esping-Andersen (qui) en 1990 et de Kemeny (1992, 1995). Elles ont en commun de ne pas faire intervenir dans leur construction de données sur le logement. Celle d’Esping-Andersen, bien qu’elle soit fréquemment utilisée dans des analyses sur le thème du logement, se fonde d’ailleurs sur d’autres domaines. Selon les auteurs de l’article, « l’application des cadres d’Esping‑Andersen et de Kemeny dans la recherche comparative sur le logement pose d’importantes difficultés, notamment parce que les systèmes ont évolué depuis la création de ces typologies et que leur couverture géographique est limitée ». Et en effet, certains pays ont connu depuis les années 1990 des évolutions notables en matière de logement : c’est le cas notamment de certains pays de l’ancien bloc soviétique où le logement a été privatisé et où le statut de propriétaire occupant prédomine aujourd’hui très largement. Les auteurs se sont donc attachés à construire, à partir des données de l’OCDE, une typologie reposant sur des données actuelles.
Comme ils le soulignent, les données de la base OCDE ne sont certes pas parfaites : « La base AHD comprend 39 pays de l’OCDE et de l’UE, mais dans de nombreux cas, les informations sont incomplètes. La couverture limitée des données est particulièrement problématique dans les pays non européens, ce qui limite les possibilités d’analyse comparative entre les continents. Bien que l’utilisation d’instruments de politique générale soit documentée pour la plupart des pays, les détails des politiques, qui sont essentiels pour assurer la comparabilité, ne sont souvent disponibles que pour un ensemble limité de pays. » Une typologie répartissant la plupart des pays européens en quatre groupes a cependant pu être établie. « Le premier groupe [Ouest] comprend une grande part de l’Europe continentale occidentale (Autriche, Belgique, France, Portugal et Espagne), l’Irlande et le Royaume‑Uni, ainsi que la Finlande. Le reste de l’Europe du nord est classé dans le deuxième groupe [Nord], qui comprend le Danemark, l’Islande, la Norvège et la Suède, ainsi que l’Allemagne et les Pays‑Bas, la Suisse et les États‑Unis. Le troisième groupe [Sud-Centre] comprend les pays méditerranéens qui ne font pas partie du premier groupe (Italie et Grèce) et certains pays d’Europe centrale et orientale (République tchèque, Estonie, Slovénie), le reste de ces pays constituant le quatrième groupe (Hongrie, Lettonie, Pologne et République slovaque) [Est]. » Les auteurs s’emploient ensuite à caractériser chacun des ces groupes. Les groupes Nord et Ouest sont ceux des pays aux économies les plus avancées : les conditions de logement y sont proches, les différences portant essentiellement sur la répartition des statuts d’occupation (plus de locataires du secteur privé et plus d’endettement des propriétaires dans le groupe Nord). En revanche, les différences de conditions de logement de ces deux groupes sont significativement moins bonnes dans les deux autres où le nombre moyen de pièces est plus faible, surtout dans le groupe Est, et la suroccupation plus fréquente, surtout dans le groupe Sud-Centre. Le groupe Est se caractérise également par un défaut de confort (près d’un logement sur cinq n’a pas de toilettes) et par la très forte prédominance du statut de propriétaire (85%). La structure des statuts d’occupation est similaire dans le groupes Est et Sud-Centre. Fait remarquable, la charge du coût du logement pour les locataires du secteur privé est similaire dans les quatre groupes, à l’exception du groupe Est où elle est plus faible mais où, rappelons-le, lesdits locataires sont fort peu nombreux.
Cette typologie sera-t-elle utile pour structurer de futures études comparatives ? Dans son commentaire qui fait suite à l’article, Christine Whitehead semble sceptique à cet égard. Tout en reconnaissant la qualité des analyses de données qui la fondent, elle considère plutôt que le principal intérêt de ce travail est de faire connaître la base de données l’OCDE. La typologie établie se prête mal, en effet, à une lecture politique, à l’inverse de celles d’Esping-Andersen et de Kemeny. Même s’il est vrai que ces dernières commencent à dater, elles ont l’avantage d’utiliser des concepts assez simples et de relier la situation actuelle à un arrière-plan historique relativement facile à appréhender.
Il reste qu’une visite de la base de l’OCDE laisse une impression mitigée. Sa constitution a sans aucun doute exigé un travail lourd et fastidieux qu’il faut saluer, mais son contenu semble encore très perfectible. Ainsi, l’examen des données relatives à la France laisse parfois perplexe : selon les chiffres diffusés, le taux de propriétaires occupants aurait augmenté de 2,64% entre 2010 et 2014, alors que selon le recensement de la population il a légèrement diminué. Pendant la même période, la part de propriétaires occupants aurait augmenté de 4,5% parmi les ménages du 1er quintile de niveau de vie et de 3,7% parmi ceux du 2èmequintile. Les résultats des enquêtes logement, qui, il est vrai, ne portent pas exactement sur la même période, ne corroborent pas ces évolutions. Ces données conduisent à s’interroger sur la précision des résultats de l’enquête européenne SILC, dont ces données sont tirées pour les pays de l’Union européenne. Et si les comparaisons dans le temps de ces résultats est sujette à caution, les comparaisons spatiales ne le sont-elles pas également ? En outre, on peut douter de la pertinence des données sur les politiques du logement quand on lit, toujours pour la France, que les aides fiscales à l’investissement locatif y sont recensées au titre de l’action pour la production de logements abordables, alors qu’il est notoire que les plafonds de loyers dont elles sont assorties peuvent difficilement être qualifiés d’abordables ; de plus les aides à la production de logements sociaux sont mises sur le même plan que des dispositifs quasi confidentiels comme le PLI ou le PSLA. Enfin, l’absence de documentation sur la définition de certaines données conduit à douter de leur comparabilité. Mais il s’agit sans doute là de défauts de jeunesse qui ne tarderont pas à être corrigés. En attendant, la circonspection semble être de rigueur quant à l’utilisation de la base.
Pourquoi les indices des prix des logements évolueraient‑ils différemment dans le neuf et dans l’ancien ? Une analyse sur la France, par Thomas Balcone et Anne Laferrère
Constat de départ : les indices des prix des logements, anciens d’une part, neufs d’autre part, présentent des évolutions différentes en ceci que le premier est deux fois plus volatil que le second. L’écart-type du taux d’évolution annuel est en effet deux fois supérieur pour l’indice de l’ancien que pour celui du neuf. La divergence est particulièrement forte entre le 4ème trimestre 2008 et le 1er trimestre 2010 et au 4ème trimestre 2014.
Qu’est-ce qui explique cette différence ? C’est la question à laquelle tentent de répondre les auteurs, qui se livrent pour ce faire à une investigation statistique rigoureuse en commençant par examiner les effets possibles de la méthode de calcul et des sources utilisées, qui diffèrent. L’indice de l’ancien est fondé sur l’observation des transactions de logements par les notaires et calculé à l’aide d’une méthode hédonique. L’indice du neuf utilise les données de l’enquête sur la commercialisation des logements neufs et une méthode de calcul à indicatrice temporelle. En outre, le champ couvert par l’indice du neuf exclut les maisons construites individuellement. Pour évaluer l’effet de ces différences, les auteurs commencent par construire un indice des prix du neuf comprenant les prix de ces maisons, utilisant pour cela les données de l’enquête sur les prix des terrains à bâtir, puis ils recalculent l’indice du prix de l’ancien en utilisant le même méthode que pour le neuf. La conclusion de cette première étape est que ni la méthode de calcul, ni le champ couvert n’expliquent l’essentiel des divergences constatées.
Il faut donc chercher ailleurs : dans un possible effet de la localisation et dans l’influence de la part du terrain dans les prix. La localisation différente du neuf et de l’ancien pourrait jouer un rôle, car les logements neufs sont pour une large part construits à la périphérie des villes alors que les logements anciens sont situés dans les zones déjà urbanisées, plus proches des centres, où le poids du foncier dans les prix est probablement plus élevé. La volatilité supérieure des prix de l’ancien pourrait être la conséquence d’une volatilité du prix des terrains supérieure à celle du prix de la construction. Après avoir testé ces hypothèses, les auteurs concluent que « la localisation différente du neuf et de l’ancien n’explique qu’une partie de la différence entre les indices », mais ils montrent aussi que « plus le poids du foncier est élevé, plus la volatilité de l’indice est élevée ».
D’autres hypothèses sont avancées. La première concerne l’impact des mesures contracycliques sur la demande de logements neufs De fait, la crise de 2008 a suscité un plan de relance incitant les organismes de logement social à augmenter leurs achats à la promotion privée et les particuliers à investir dans le logement locatif neuf (le dispositif Scellier, particulièrement favorable et peu contraignant). La seconde se fonde sur le poids élevé, dans le marché de l’ancien, de ce que l’on appelle parfois les « secondo-accédants », c’est-à-dire des ménages déjà propriétaires qui souhaitent déménager, et vendent leur logement pour en acheter un autre. Ces ménages auraient « tendance à attendre pendant les périodes de baisse des prix en raison des contraintes d’apport personnel ou d’aversion pour la perte », alors que les primo-accédants, plus nombreux sur le marché du neuf, seraient moins sensibles aux variations de prix.
On pourrait en avancer une autre : le fait que la régulation du marché de l’ancien se fait par le prix, alors que celle du neuf se fait par l’offre. La pratique de la pré-commercialisation par les promoteurs permet à ces derniers de ne lancer effectivement la réalisation d’une opération que si un pourcentage suffisant de logements a trouvé preneur. Si ce n’est pas le cas, l’opération ne se fait pas. Cette pratique permet de réduire les stocks et évite de recourir à des rabais pour écouler une part des logements. Sur le marché de l’ancien, en période de ralentissement les vendeurs doivent baisser leurs prix pour vendre, notamment ceux des secondo-accédants qui se sont engagés pour un achat avant d’avoir vendu leur précédent logement et paient les intérêts d’un crédit relais.
Même si, comme le précisent les auteurs, leur ambition n’allait pas jusqu’à déterminer les causes des différences constatées, leur article apporte des éléments de compréhension inédits au fonctionnement des marchés du logement en France.
Hausse des inégalités d’accès à la propriété entre jeunes ménages en France, par Carole Bonnet, Bertrand Garbini et Sébastien Grobon
À rebours du slogan « tous propriétaires », cet article montre que les inégalités d’accès à la propriété s’aggravent avec le temps. Si 32 % des jeunes ménages modestes (1er quartile de niveau de vie) étaient propriétaires en 1973, ils ne sont plus que 16% en 2013. Cette énorme différence se double d’un écart de valeur patrimoniale. En 2013, le patrimoine acquis par les ménages modestes est cinq fois plus faible que celui des plus aisé, alors que ce ratio n’était que de 2 à 3,5 jusqu’au début des années 1990. La « crise » de l’immobilier, ou plus exactement, l’envolée des prix, notamment dans les grandes métropoles, a donc provoqué de réels effets discriminatoires. Les principaux facteurs à l’origine de cette évolution, selon les auteurs, sont :
– la structure de la famille : augmentation du poids des familles monoparentales et baisse du poids des couples avec enfants pour les plus modestes ;
– la baisse de la petite propriété rurale, liée à la répartition de la population sur le territoire ;
– et surtout la faiblesse des transferts intergénérationnels pour les plus modestes, alors que ces aides familiales ont a contrario fortement progressé pour les ménages aisés au cours des années 2000 (on peut d’ailleurs regretter de ne pas disposer de séries plus longues). Ces aides jouent un rôle déterminant, surtout à l’occasion du premier achat. C’est d’ailleurs l’un des intérêts majeurs de cet article, au-delà du constat des disponibilités financières dont disposent les acheteurs, que d’étudier l’importance de cette variable.
Ce travail s’accompagne d’une part, d’une revue de la littérature sur tous ces sujets, d’autre part, d’une approche économique visant à distinguer ce qui relève de différences d’ordre structurel de ce qui relève de changements des caractéristiques. 60% de la baisse de la part des accédants à la propriété parmi les ménages modestes est expliquée par l’évolution de la structure de cette population, ce qui renvoie au rôle de la configuration familiale et de la situation géographique. A contrario, pour les ménages aisés, plus que les évolutions socio-démographiques, le rôle des aides de la famille prime. « La mise en évidence de ce rôle des transmissions intergénérationnelles invite à poursuivre l’analyse de leur impact sur les inégalités entre jeunes ménages ».
Jean Bosvieux et Bernard Coloos
Novembre 2018