Financer sa perte d’autonomie : rôle potentiel du revenu, du patrimoine et des prêts viagers hypothécaires

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Financer sa perte d’autonomie : rôle potentiel du revenu, du patrimoine et des prêts viagers hypothécaires
Carole Bonnet, Sandrine Juin et Anne Laferrère, Economie et statistique n°507-508, 2019

Si elles mobilisaient la totalité de leurs ressources, y compris celles qu’elles peuvent tirer de leur patrimoine, près de la moitié (49%) des personnes dépendantes pourraient faire face par leurs propres moyens aux dépenses liées à la perte d’autonomie. En France, ce pourcentage atteindrait 58%. Ces chiffres, qui résultent des travaux décrits dans l’étude de Carole Bonnet, Sandrine Juin et Anne Laferrère publiée dans un récent numéro d’Economie et Statistique, méritent qu’on leur prête attention, car la question du financement des dépenses de prise en charge de la perte d’autonomie se pose avec une acuité croissante avec l’augmentation prévue du nombre de personnes âgées. En France, selon les projections de l’INSEE, le nombre de seniors (60 ans ou plus) augmenterait de 50% entre 2015 et 2050, et parmi eux, le nombre de personnes en perte d’autonomie passerait dans le même temps de 2,5 à 4 millions[1]. Les autres pays européens connaîtront, selon toute vraisemblance, des évolutions analogues, et la Commission européenne estime que « A prise en charge inchangée de la perte d’autonomie, la part des dépenses publiques qui lui serait consacrée par l’Union européenne devrait passer de 1,6 % du PIB en 2013 à 2,8 % en 2060 ».
Les revenus des personnes âgées ne suffisent pas, et ne suffiront pas à faire face individuellement à ces dépenses, d’autant que, comme le rappellent les auteures, le montant des retraites est appelé à diminuer, et que l’assurance vieillesse, peu attractive, n’est guère utilisée en Europe. La prise en charge par des financements publics supposerait d’augmenter, sous une forme ou une autre, les prélèvements obligatoires qui atteignent déjà dans certains pays des niveaux très élevés. C’est ce qui explique que la notion d’asset-based welfare, qui désigne la prévoyance individuelle fondée sur le patrimoine accumulé par les ménages, par opposition aux système de prévoyance collectifs, soit devenue un élément central des débats sur la restructuration de l’Etat-providence. Elle a donné lieu à une abondante littérature, mais comme l’indiquent C. Bonnet, S. Juin et A. Laferrère, « très peu d’études ont examiné dans quelle mesure les ressources personnelles des personnes âgées pourraient permettre de financer les dépenses liées à la perte d’autonomie ». Leur article cherche à combler cette lacune en proposant un modèle de transition vers la perte d’autonomie tenant compte du revenu et du niveau d’éducation, une simulation des trajectoires de perte d’autonomie (en estimant le risque et le coût de la dépendance) et une évaluation de la capacité des personnes concernées à financer leurs dépenses de perte d’autonomie à l’aide de leur revenu et de la mobilisation de leurs actifs financiers et immobiliers. La réalisation des biens immobiliers est supposée effectuée à l’aide de prêts viagers hypothécaires souscrits à l’entrée en dépendance. Autres originalités, ces travaux portent sur neuf pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, France, Italie, Pays-Bas et Suède) et utilisent les données issues de l’enquête SHARE (Survey of Health, Aging and Retirement in Europe), alors que la plupart des études antérieures s’appuient sur des données américaines et ne prennent pas en compte le revenu et le niveau d’éducation comme éléments explicatifs de la probabilité de perte d’autonomie et de sa durée.
Les statistiques issues de l’enquête SHARE, portant sur les personnes âgées de 65 ans et plus, montrent que le niveau de revenu et de patrimoine varie fortement d’un pays à l’autre : le revenu moyen est nettement plus élevé en Suède et plus faible en Espagne et en Italie que dans les autres pays ; le patrimoine financier est plus conséquent dans les pays du nord (Danemark, Pays-Bas, Suède), en Belgique et en France que dans les pays du sud (Italie et Espagne), mais aussi qu’en Allemagne et en Autriche ; la valeur du patrimoine immobilier culmine en Belgique et en France.
La modélisation des transitions (probabilité de décès, d’entrée et de sortie de dépendance) est estimée à partir des données longitudinales de l’enquête SHARE (l’état des personnes interrogées étant suivi avec un pas de deux ans) et nécessite des précautions que nous ne détaillerons pas ici. Le coût moyen de la perte d’autonomie est calculé pour chaque pays, à partir d’une grille reliant le niveau de dépendance au temps d’assistance qu’il requiert et du coût horaire de la main d’œuvre (dans chacun des pays) dans le secteur hébergement et restauration. La capacité des personnes à financer par leurs propres moyens ces dépenses est ensuite évaluée sous l’hypothèse d’absence d’aide publique ou de l’entourage. La mobilisation des actifs immobiliers est supposée être réalisée par la vente, pour ceux autres que la résidence principale, et, pour celle-ci, au moyen de prêts viagers hypothécaires souscrits au moment de l’entrée en dépendance, au taux de 8% et fondés sur l’espérance de vie réelle des personnes en perte d’autonomie, qui est inférieure à celle de la population générale.
Sur la base de ces hypothèses, le modèle indique que 57% des personnes âgées de 65 ans  ou plus  connaîtront une ou plusieurs périodes de perte d’autonomie, d’une durée moyenne de 4,4 années (4,7 pour les femmes et 3,8 pour les hommes). La probabilité de perte d’autonomie est d’autant plus forte que le niveau de vie ou le niveau d’éducation sont plus faibles ;
La proportion de celles qui sont en mesure de financer les dépenses liées à  la dépendance est de 6% si seul le revenu est utilisé, 16% si elles utilisent en outre leurs actifs financiers, 22% si elles vendent leurs actifs immobiliers autres que la résidence principale, et 49% si elles souscrivent un prêt viager hypothécaire gagé sur la valeur de cette dernière. Ces pourcentages valent pour la moyenne des neuf pays étudiés, ils sont plus élevés pour la France : respectivement 7, 24, 30 et 58%. Autrement dit, en France, 42% des personnes âgées dépendantes ne pourraient pas financer en totalité ces dépenses avec leurs seuls ressources. Toutefois, une part non négligeable d’entre elles pourrait les financer en partie.
Comme le précise l’article, ces résultats diffèrent selon le sexe, le niveau d’éducation et, évidemment, le revenu. Dans le quartile supérieur de revenus, la mobilisation des actifs immobiliers est pratiquement inutile, sauf en Espagne et en Italie.
Il a loin, certes, entre un calcul résultant d’une simulation et la prise en charge effective des dépenses de perte d’autonomie par toutes les personnes qui en ont les moyens. Cela suppose en effet, si l’on suit l’hypothèse de l’article, la généralisation des prêts viagers hypothécaires (PVH), ce qui, les auteures le signalent, n’est pas sans poser problème. Le développement du PVH suppose en effet que les personnes concernées acceptent de priver au moins partiellement d’héritage leurs descendants, et sans doute aussi, comme l’indiquent les auteures, que les conditions de ces prêts soient plus attractives. Celles-ci pourraient être améliorées : le montant de la rente pourrait être plus élevé si l’espérance de vie prise en compte était celle des catégories de personnes concernées – c’est-à-dire celles en perte d’autonomie, plus faible que celle de l’ensemble de la classe d’âge correspondante. Dans ces conditions, le taux (fixé à 8% dans les simulations) devrait baisser, le risque de baisse de prix diminuant avec la durée de vie probable.
En tout état de cause, le PVH n’est la solution la mieux adaptée que pour les personnes qui peuvent continuer à vivre à leur domicile, malgré la perte d’autonomie. Dans le cas de celles qui sont contraintes d’aller vivre en institution, mieux vaut évidemment que leur logement soit vendu, sauf évidemment s’il existe une chance qu’elles puissent le réintégrer à assez court terme.
Une solution alternative à la mobilisation de l’actif immobilier,  que l’article ne mentionne pas, pourrait être le remboursement de l’aide personnalisée d’autonomie (APA) sur l’héritage. C’est ce qu’avaient proposé en 2007, sans succès, trois sénateurs. Il ne serait toutefois guère surprenant que, sous l’empire de la nécessité, l’idée resurgisse un jour.


[1] Khaled Larbi, « 4 millions de personnes seraient en perte d’autonomie en 2050 », INSEE première n°1767, juillet 2017.

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.

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