Avenue Parmentier
Il s’agit, si l’on veut faire pompeux, d’un reportage sociologique.
Concrètement : une compilation de photographies et d’observations, sur plus de deux ans, au sujet d’un petit campement de tentes, au cœur du 11ème arrondissement à Paris.
Confinement et déconfinement, couvre-feu à 18 heures ou à 19 heures, sous la pluie ou sous la neige, en hiver comme en été, le site donne l'impression de peu évoluer. Il grandit ou rétrécit au gré des arrivées et des départs. Il fait l’objet de multiples manifestations de bienveillance et d’agacement. Ses habitants bricolent leur existence privée dans l'espace public.
Malgré les attentions locales, les maraudes, les efforts publics et privés, les annonces martiales sur les sans-abrisme et le « logement d’abord », j’estime que les habitants de ce site sont abandonnés. L’expression est paradoxale, au sens où les pouvoirs publics et les opérateurs associatifs n’ont jamais autant fait. Mais je pense que l’idée que l’on pourrait valablement agir pour ceux qui habitent complètement la rue et que cette vie abime fortement a été, en réalité, abandonnée. Ces sans-abri constituent pourtant les cibles iconiques des politiques de lutte contre la pauvreté. Celles-ci les touchent finalement bien peu.
Ces photos et ces analyses sont versées au débat.
Julien Damon
Mai 2021
Bidonvillisation à Paris
Un échantillon
Un petit village de tentes ("tent cities" disent les Américains à ce sujet) s’étend avenue Parmentier, derrière les locaux de l’église Saint-Ambroise.
Observations centrées sur bientôt deux ans de développement.
Il suffit de faire défiler les planches.
Avant
Après
Deux angles à deux ans d'écart
4 mai 2019
Printemps
Devant le 33 avenue Parmentier.
Ancien siège de l’association " Les petits frères des pauvres ", en travaux pour plusieurs mois avant d’accueillir de nouvelles associations caritatives
29 novembre 2019
Automne
Une tente.
Le dispositif décrié de "pics anti-SDF", dans des bacs en béton avec fausses pierres, ne sert en fait à rien.
Il servira bientôt de mobilier urbain pour rassembler des éléments de bric et de broc (matelas, cartons, bouteilles, etc.).
24 février 2020
Hiver
Une tente.
A côté, un matelas en journée, pas pour dormir mais pour faire la manche.
Un début d’installation et de cohabitation.
Au fil du temps, passeront de nombreux habitants.
4 mars 2020
Tout juste avant le confinement
Une tente, deux matelas et couvertures à terre.
Cartons, sacs de voyage et détritus.
12 avril 2020
En plein confinement
Une tente, deux matelas et couvertures à terre.
Rien de différent par rapport au pré-confinement.
Un monsieur, présent, est toujours là en novembre 2020.
15 mai 2020
Déconfinement
Une tente, deux matelas et couvertures à terre.
Les très décriés "pics anti-SDF" servent essentiellement à coincer les cartons et autres possessions.
9 juin 2020
Printemps déconfiné
Une tente, trois matelas et couvertures à terre.
21 juillet 2020
Été déconfiné
Cinq tentes, dont deux sur palettes de chantier.
17 août 2020
Été déconfiné
Cinq tentes, dont deux sur palettes de chantier.
L’été ne voit pas de grand changement.
18 septembre 2020
Rentrée déconfinée
Trois tentes, dont deux sur palettes de chantier. Un habitat de fortune avec palette et bâche.
26 octobre 2020
Sous couvre-feu
Six tentes, dont deux sur palettes de chantier. Un habitat de fortune avec palette et bâche.
Deux personnes, en plus, dorment directement sous le porche.
Michael, un habitué du site (il est toujours sur zone) : "pour les besoins, c’est facile. Il faut un seau dans lequel tu mets un sac poubelle". Et ensuite ? "Eh bien tu mets à la poubelle".
2 novembre 2020
Début du reconfinement
Huit tentes, dont deux sur palettes de chantier. Un habitat de fortune avec palette et bâche.
Trois personnes, en plus, dorment directement sous le porche.
Paul, un ancien habitué du site (il a été un des premiers sur zone) : "j’ai quitté ‘la jungle’ et les embrouilles".
3 novembre 2020
Début du reconfinement
Premiers froids.
Des équipes des services de la sécurité de Paris (mission "assistance aux sans-abri") passent faire une sorte d’inspection, avec un ton assez ferme.
Paul, voir planche précédente, fait un passage (le plus à gauche sur la photo). "Ça va toi ? - Ah ouais, super ..".
4 novembre 2020
Le manque de toilettes
La photo ratée du jour : le monsieur qui se dirige vers le village de tentes vient, tout tranquillement, de déféquer dans le petit truc de verdure.
Par ailleurs, une tente en moins.
Grand nettoyage matinal par les habitants.
5 novembre 2020
À quelques mètres
En face et à côté.
J’aime bien celle-ci de photo. C’est la tente de Paulo. Il s’est tiré du petit bidonville, en face, alors qu’il était un de ses premiers habitants. “C’est la jungle a embrouilles” m’explique-t’il.
6 et 7 novembre 2020
Disparition et retour
Une tente en moins. Elle était occupée, depuis des mois, par un monsieur noir qui lisait beaucoup, avec un petit parapluie toujours ouvert.
Le lendemain, retour d’une installation. Un nouvel arrivant.
On note d’étranges rôdeurs, de plus en plus présents.
9 novembre 2020
Trois tentes en moins en une nuit
La tente de Paulo (bleue) est toujours sur le trottoir presqu’en face. Et tout juste à côté de lui un nouveau venu (en gris).
10-17 novembre 2020
Il n’y a plus que trois tentes et d’autres installations
Michael, un habitant habitué depuis longtemps, m’explique que "la police est passée et nous a demandé de partir. Moi je ne partirai pas". Mais où sont partis ceux qui sont partis ? "Juste en face et à côté". Deux tentes, en effet, sur le trottoir d’en face, et une autre à 150 mètres.
21 novembre 2020
Deux tentes en plus
De nouvelles tentes sont arrivées.
Tous les abords du bâtiment, dont les inutiles installations "anti-SDF", servent de mobilier pour conserver les affaires.
Un monsieur, venu à vélo, leur apporte des aliments. "Cette situation me fait mal au coeur ", me dit-il.
23 novembre 2020
Tente bougée, nouveaux duvets
A côté des tentes, sous le porche du bâtiment toujours en travaux, de nouveaux arrivants dorment dans des duvets, .à même le sol.
26 novembre 2020
Passage à l’hôpital, passage de police
Hier, 25 novembre matin, Mickaël a été emmené à Saint Antoine. Il allait très mal et avait la gale. Ce sont des bénévoles du " Kfé du matin" qui ont appelé le Samu. Il a fallu mobiliser une ambulance privée.
Aujourd’hui des policiers sont passés. Ils se renseignaient auprès de chacun des habitants, pas au sujet de Mickaël, mais de la situation des uns et des autres.
28 novembre 2020
Déconfinement partiel
Voici Paulo. Il a longtemps habité le campement avant de me confier "c’est la jungle". Il l’a quitté, avec sa tente, et s’est réfugié .à environ 100 mètres du campement, sous une enseigne bobo. Il n’a plus de tente et m’indique que c’est la mairie qui la lui a prise. Mairie doit vouloir dire plein de choses différentes. "Je sais je suis bordélique. Enfin quand même", dit-il. Je lui montre la photo. Il la trouve très bien. "Et dans le thème".
D’autres habitants me disent qu’ils l’ont viré . "Il était trop dégueulasse. Sa tente attirait les rats".
21 décembre 2020
Les honneurs de la Fondation abbé Pierre
Dans le cadre de sa campagne hivernale de communication, la Fondation abbé Pierre, sur Twitter, illustre son propos avec une photo d’un habitant du site depuis longtemps.
18 janvier 2021
La Poste et les tentes
Une des vedettes locales, Michaël, m’explique que La Poste lui livre son courrier dans sa tente. Comment ? "En glissant l’enveloppe en dessous". Il est plutôt heureux et amusé (c’est un peu son tempérament) de cette affaire, et promène son enveloppe avec ses rares papiers.
12 février 2021
Sous couvre-feu et sous la neige
Températures polaires, plan "grand froid" des autorités, grandes déclarations et controverses habituelles dans les médias.
Pratiquement, dans le campement, rien ne change. Sauf des conditions de vie plus difficiles encore.
28 février 2021
Rotation de tentes
La tente bleue de Michael (voir photo sous la neige) a été déménagée, en face. Tout son contenu est sur le sol, dans l’attente supposée d’une mise à la poubelle. La vision : un tas de déchets et d’ordures.
Alors que son emplacement semble réservé par une petite chaîne, une autre tente grise s’est ajoutée aux restantes.
8 mars 2021
Rien ne change (bis), les tentes se redistribuent
Une tente en moins, mais elles bougent toutes. Avec des palettes qui viennent consolider et protéger.
La tente "poubelle" n’est toujours pas enlevée.
Désormais ce sont deux lignes de tentes et une voie au milieu.
15 mars 2021
Nettoyage et densification du site
Les services de nettoyage sont passés.
La vieille tente de Michael et ses déchets ont été enlevés de la rue.
Les tentes, au nombre de neuf, sont resserrées.
24 mars 2021
Un ancien du campement
Grand lecteur, cet habitant du campement, qui y a passé plusieurs mois, est désormais à une cinquantaine de mètres en face. De l’autre côté de la route. Deux tentes sont installées ainsi, dans des recoins arborés d’une place piétonnisée.
22 mars 2021
Des bruits courent sur le démantèlement
Les travaux dans le bâtiment et les salles paroissiales sont finis.
La police passe. C’est même la BAPSA (brigade d’assistance aux personnes sans abri), service historique de la Préfecture de Police de Paris.
Les policiers discutent notamment avec Sallah (plus de 70 ans) qui dort à nouveau ici après avoir passé l’hiver dans le dispositif "Hiver solidaire".
Les habitants ne font plus confiance à la mairie et à la police en particulier lorsque sont évoquées des places dans des hôtels.
25 mars 2021
« Nuit de la solidarité » à Paris
La ville de Paris organise sa soirée de mobilisation des bénévoles et professionnels pour un décompte, le plus exhaustif possible, des sans-abri dans la capitale. En réaction des associations militantes (DAL, Utopia 56) organisent un nouveau happening, avec 300 tentes, Place de la République.
Au-delà de toute cette agitation, rien ne change pour le campement de l’avenue Parmentier.
23 avril 2021
Nettoyage et désinfection du matin
L’équipe de la sécurité de Paris – cinq personnes – surveillent pour que l’opération se passe bien. Celle de la propreté – cinq personnes aussi - pulvérise son produit.
L’activité réveille le dormeur dans le sac de couchage, qui se rendort rapidement.
23 avril 2021
Le camp s’étend à nouveau
On compte dix tentes, avec des aménagements entre elles. La paroisse, de son côté, pour améliorer l’entrée de ses nouveaux locaux a intégré deux plantes vertes pour encadrer sa porte.
Reste qu’une nouvelle tente est apparue sur le segment de trottoir qui n’était plus occupé. Un sans-abri dort dans un sac de couchage exactement en dessous de la nouvelle vitrine, et, surtout, du dispositif fait pour que personne ne puisse stationner.
Auteur/autrice
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Directeur de la société de conseil Eclairs, professeur associé à Sciences Po.
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Merci Julien. Eloquent.