Compte tenu du montant des aides publiques mises en œuvre pour produire des logements dont les niveaux de loyers sont inférieurs aux loyers de marché, les attributions de logements sociaux font l’objet d’une réglementation importante (Code de la Construction et de l’habitation articles L 441 à L 442-12 et articles R 441-1 à R 441-12). Les bénéficiaires doivent respecter des conditions de revenus qui dépendent du type de logement, de son financement, de sa localisation et du nombre de personnes à loger. Malgré le stock de logements existants ( plus de 5 millions en 2020) , l’attribution des logements sociaux constitue un sujet sensible dont l’acuité s’est renforcée face à l’accroissement de la demande, conjugué, dans certaines régions, à une faible mobilité des locataires en place. L’accès au logement des ménages susceptibles de bénéficier d’un logement dans le parc locatif social, qu’ils soient désignés comme modestes, « mal-logés » ou « défavorisés » selon les périodes, peut être rendu très difficile dans certaines parties du territoire, en Île-de-France tout particulièrement. En outre, le développement concomitant de la vacance des logements dans des zones peu attractives ou disqualifiées ne constitue pas une possibilité de réponse à la demande. Ainsi, environ un million de demandes de logements locatifs sociaux sont enregistrées chaque année. Si la moitié d’entre elles est satisfaite par l’attribution d’un logement, d’autres ne trouvent d’issues qu’après plusieurs années d’attentes ou font l’objet de refus pour des motifs multiples plus ou moins objectifs.
Si la responsabilité de l’attribution incombe aux bailleurs par le biais d’une commission d’attribution siégeant dans chaque organisme, l’accès au logement social relève de mécanismes multiples dans lesquels interagissent à la fois les réservataires des logements qui ont contribué d’une manière ou d’une autre à son financement (l’Etat, les collectivités locales et Action logement), les caractéristiques du marché local du logement et les orientations particulières définies par la politique du logement (priorités à des publics spécifiques et mixité sociale essentiellement).
L’évolution d’une politique publique
D’une politique nationale, qui par le décret du 27 mars 1954 attribuait le bénéfice des habitations à loyer modéré aux « personnes physiques peu fortunées et notamment aux travailleurs vivant principalement de leur salaire », nous sommes passés, depuis la loi Besson du 31 mai 1990, à une politique « sociale » du logement censée accorder clairement la priorité aux ménages défavorisés. Diverses lois depuis lors ont modifié et complexifié le processus d’attribution : la loi SRU du 13 décembre 2001 qui a instauré un quota de logements sociaux dans les villes de plus de 3500 habitants (1500 en Île-de-France), la loi DALO du 5 mars 2007 qui a instauré un droit au logement opposable, la loi MOLLE du 25 mars 2009 qui a pris des mesures visant à favoriser la mobilité dans le parc social, la loi ALUR du 24 mars 2014 qui a cherché à moderniser les procédures d’attribution et a donné plus de pouvoirs aux intercommunalités, la loi Egalité et Citoyenneté du 27 janvier 2017 qui oblige à attribuer 25% des logements hors des quartiers prioritaires de la ville aux demandeurs les plus pauvres, sans compter la loi ÉLAN du 27 novembre 2018 qui est venue apporter quelques nouvelles modifications à l’ensemble,.Cette succession de loi montre combien il est difficile de conjuguer droit au logement pour tous et mixité sociale, a fortiori lorsqu’il existe un décalage important entre les besoins exprimés et l’offre de logements disponibles à la location.
Les difficultés de la mise en œuvre
Malgré les remaniements des politiques publiques du logement, la mise en œuvre du Droit au logement n’en demeure pas moins difficile. Des travaux de recherche mettent en évidence le « système d’action complexe » qui régit les mécanismes d’attributions des logements : diversité des politiques des organismes HLM et faible cohérence locale, opacité de gestion et déséquilibre des pouvoirs entre acteurs, constituent les caractéristiques principales du fonctionnement du système local du logement social. Ainsi, une variété d’organismes HLM, de statut public ou privé, gèrent leur parc selon des modalités différentes, y compris lorsqu’ils sont implantés sur un même site. Cet « éclatement » des pratiques ne concourt pas à la cohérence des politiques locales, d’autant que les acteurs politico–administratifs locaux ne disposent que d’une faible capacité d’harmonisation et de contrôle des processus d’accès au parc social.
L’opacité caractérise également ce système local. Réglementation complexe et changeante, diversité des financements, multiplicité des partenaires et enchevêtrement des dispositifs locaux ne l’expliquent que partiellement. Cette opacité est également « produite » par les acteurs dans la mesure où elle permet à chacun de conserver une plus grande marge d’autonomie face aux autres partenaires. La gestion des contingents réservés notamment, effectuée selon des procédures floues et résistantes à toute informatisation, a longtemps représenté un moyen pour les bailleurs de se prémunir de l’ingérence potentielle des réservataires dans le processus de désignation des candidatures et de préserver ainsi leur équilibre de gestion. Une large place est ainsi laissée aux arrangements locaux, à des négociations souvent bilatérales et méconnues des autres partenaires. Ces jeux d’acteurs, variables selon les contextes locaux, constituent un mode de régulation du système caractérisé par un mécanisme d’externalisation qui permet de renvoyer les candidatures difficiles vers d’autres réservataires. Ce déséquilibre des pouvoirs entre acteurs s’exerce le plus souvent au détriment des préfectures, échelon territorial ayant les plus faibles capacités à loger les candidatures souvent très sociales, non relogées par les maires ou les CIL.
Ce constat ne remet pas en cause la fonction sociale dévolue aux organismes de logement social, ni même la capacité d’évolution d’ensemble du système, qui s’est traduite récemment par une professionnalisation accrue des acteurs ). De nouvelles coopérations sont également apparues entre le monde HLM et le secteur associatif permettant de sécuriser les risques locatifs liés à l’accès au logement de ménages précaires. En outre, le constat d’un relatif éclatement du système ne doit pas céder à la tentation de transférer les pouvoirs d’attribution à un seul acteur dans la mesure où la diversité des rationalités de chacun, semble assurer, dans son aspect positif, la prise en compte d’une plus grande diversité sociale à l’accueil et contribue ainsi à préserver une relative mixité sociale. Néanmoins, la faible cohérence locale des processus d’attribution montre la nécessité de mettre en place de nouvelles formes d’action collective dans lesquelles s’exercerait une meilleure coordination entre les différents acteurs locaux et les différents territoires. Ces objectifs ne sont certes pas nouveaux, mais ils ne pourront être atteints qu’à la condition de lever les réticences à l’intercommunalité, un obstacle essentiel à la mise en œuvre des nouvelles politiques de logement qui se veulent désormais plus déconcentrées, c’est-à-dire capables de prendre en compte les spécificités locales et de gérer au mieux les questions relatives à la gestion sociale et urbaine de l’habitat social dans une perspective plus solidaire.
Catherine Bourgeois
Révision Frédérique Lahaye, juin 2021
→ commission d’attribution, « Le logement social », réservataires, politiques locales de l’habitat