Fiscalité : réponse à Gérard Lacoste

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Les objections exposées dans l’article de G. Lacoste portent pour l’essentiel sur l’imposition des loyers implicites.
Il convient donc de rappeler, en préalable à notre réponse, les objectifs de la réforme que nous proposons : il s’agit de taxer la détention des biens plutôt que leurs mutations, afin de ne pas pénaliser les ménages mobiles ; de rétablir l’équité entre propriétaires occupants et bailleurs ; d’appliquer aux bailleurs un régime fiscal qui permette de supprimer les mesures dérogatoires en vigueur depuis plus de trente ans.
L’imposition des loyers implicites s’inscrit dans ce cadre, mais ce n’est que l’une des mesures parmi celles que nous proposons, avec l’application aux propriétaires – occupants comme bailleurs – d’un régime d’amortissement de leurs investissements, la suppression des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) et celle de l’impôt sur les plus-values immobilières.
Reprenons dans l’ordre les objections de G. Lacoste.

1/ Ni postulats, ni fausses évidences

Le loyer implicite est-il un revenu ?

Le propriétaire occupant se verse à lui-même un revenu implicite correspondant à la valeur du service fourni par son logement.  Il ne s’agit là en aucune manière d’un postulat, mais d’une analyse s’inscrivant dans une théorie économique cohérente selon laquelle toute création de richesse (i. e. production) crée un revenu. Le produit du processus de production (ici le service de logement) peut être vendu ou non, c’est-à-dire donner lieu à un flux financier explicite ou implicite. Contester cette théorie revient à considérer que les économistes se trompent au moins depuis Ricardo. Si tel est le cas, il convient de rectifier cette erreur d’urgence en en exposant la théorie alternative.
Nous nous en tenons, pour notre part, à la théorie admise et, dans ce cadre, la question du sous-titre « consommation ou source de revenu ? » est difficilement compréhensible. Le service de logement est à notre sens (et pas seulement au nôtre) à la fois une consommation et un revenu, à l’instar de toute production auto-consommée.

Qu’est-ce qu’un revenu imposable ?

L’auteur cite l’INSEE pour contester que les revenus implicites puissent être imposés. C’est reconnaître la faiblesse de l’argument précédent, car si les loyers implicites n’étaient pas des revenus, la question ne se poserait pas.
Quoi qu’il en soit, ce n’est pas l’INSEE, mais le parlement qui définit les revenus imposables en votant les lois de finances, et il a toute latitude pour en modifier le champ. Partir d’une définition contingente pour conclure qu’un changement est impossible est une curieuse façon – tautologique – de raisonner. De plus, dans la définition citée, l’INSEE se trompe, en n’incluant pas les avantages en nature (qui donc ne donnent pas lieu à la perception d’un revenu en espèces) et sont pourtant imposés, comme par exemple le logement fourni par l’employeur ou les tickets de restaurant. Citons Le Particulier : « Les avantages en nature sont des biens ou des services fournis aux salariés de l’entreprise gratuitement par l’employeur ou moyennant une participation inférieure à leur valeur réelle. Considérés comme des accessoires du salaire, ils sont donc imposables. »
Si l’on tient à se référer à l’INSEE, mieux vaut le faire sur des sujets à propos desquels sa compétence n’est pas discutable. Force est alors de constater que l’INSEE intègre les loyers implicites dans le PIB et qu’il prend en compte l’auto-consommation dans l’enquête Budget des familles.

Les difficultés pratiques d’évaluation ne sont pas un obstacle

Ces difficultés existent, c’est incontestable. Elles n’empêchent pourtant pas l’imposition, comme en témoigne de façon éclatante le calcul de la taxe foncière, lequel repose sur des bases (les valeurs locatives) très largement fictives. Ajoutons que si certains pays européens, comme la Suisse ou les Pays-Bas, imposent les loyers implicites, c’est qu’il doit être possible d’établir des bases utilisables.
S’il l’on doute encore qu’il soit possible d’imposer sans disposer de bases précises, le mode d’évaluation de l’avantage en nature que représente la fourniture d’un logement gratuit devrait suffire à en convaincre. Citons une nouvelle fois Le Particulier :« Lorsque l’employeur fournit le logement à son salarié, cet avantage est fixé sur la base d’une évaluation forfaitaire mensuelle selon un barème intégrant les avantages accessoires (eau, gaz, électricité, chauffage, garage) et varie selon le montant de la rémunération brute mensuelle de l’intéressé. »

Il est difficile de comprendre la logique de ce barème, qui ne tient pas compte de la localisation du logement mais proportionne l’avantage à la rémunération du salarié.
Nous ne prônons certes pas une évaluation aussi déconnectée de la réalité. Il existe des moyens d’évaluer correctement les loyers implicites, par exemple celui proposé par A. Trannoy[1] qui consiste à s’appuyer sur les valeurs vénales.

2/ Les effets de la réforme

Les accédants récents, principaux bénéficiaires

Sur ce point, l’objection de G. Lacoste serait à prendre considération si elle ne reposait pas sur des résultats biaisés. Il omet en effet de prendre en compte les charges autres que les intérêts d’emprunts et l’amortissement. Or le poids de ces charges, qui regroupent la taxe foncière, l’entretien courant et diverses autres dépenses comme l’assurance, est loin d’être négligeable : il peut être estimé à environ 20% du loyer brut[2]. En corrigeant cette omission, on retrouve les résultats des simulations que nous avons présentées dans notre ouvrage[3], qui montrent que, pour un taux d’intérêt de 3,5%, le revenu des accédants est négatif pendant à peu près la moitié de la période de remboursement des emprunts. Il n’est donc pas nécessaire de faire intervenir la suppression des DMTO pour conclure que les accédants récents bénéficient de la réforme, dont les accédants plus anciens supportent l’essentiel du poids. C’est bien le but poursuivi et il n’y a donc pas lieu de s’en étonner.
Cette discussion nous donne l’occasion d’aborder un point important, que nous n’avions pas développé, faute de place, dans notre article initial : l’impact des taux d’intérêt sur l’imposition des loyers implicites.
Le revenu soumis à l’impôt est le revenu foncier net, c’est-à-dire, grosso modo, le loyer brut diminué des charges et de l’amortissement de l’investissement. Les déficits s’imputent sur le revenu global. Or, les intérêts versés par les accédants représentent l’essentiel du poste charges pour les accédants récents. L’impact de l’imposition des loyers implicites dépend donc du niveau des taux d’intérêt : lorsque les taux sont élevés, le déficit foncier est important en début de remboursement et il s’étend sur une longue période au cours de laquelle l’accédant bénéficie d’un allègement de son impôt global ; inversement, si le taux est bas, le déficit est moins important et dure moins longtemps, et l’allègement d’impôt est plus faible. L’imposition des loyers implicites joue donc un rôle contracyclique, puisqu’elle tend à contrecarrer les effets de l’évolution des taux.

Les locataires bénéficieraient aussi de la réforme

L’exemple du locataire qui est également bailleur est quasi anecdotique et occulte l’effet de la réforme sur les marchés locatifs, qui repose sur un raisonnement économique simple. En allégeant l’impôt des bailleurs grâce à l’amortissement, les mesures préconisées auraient pour effet d’améliorer le rendement locatif. A terme, il devrait en résulter une augmentation du volume de l’offre locative et, par conséquent, une détente des marchés qui se répercuterait en baisse sur les loyers.

L’amortissement porte sur une valeur qui peut être ancienne

Cela n’a rien d’anormal, c’est ainsi que se pratique l’amortissement des investissements dans les activités productives et si l’on considère que la production du logement en est une, on lui applique la règle en vigueur. C’est notamment celle appliquée en Allemagne. La durée de vie des logements étant longue, la période d’amortissement l’est aussi.

L’impact sur les finances locales

Il est clair que la suppression des DMTO priverait les collectivités (surtout les départements) d’une ressource fiscale. C’est bien pourquoi la réforme que nous proposons devrait s’inscrire dans un cadre plus large. Le financement des collectivités locales devrait évidemment être réformé. Pour autant, il n’en résulterait pas forcément « une perte d’autonomie financière », si l’on en croit le rapport de 2010 du conseil des prélèvements obligatoires qui étudie la question dans le détail : « Dans les faits, le fait de disposer d’une fiscalité locale propre n’est pas une garantie de libre administration, cette dernière dépendant principalement du degré de liberté dont les collectivités territoriales disposent pour utiliser librement leurs ressources »[4].  Ce rapport relève notamment qu’en Allemagne, pays à structure fédérale et dont on pourrait difficilement soutenir que les collectivités locales y ont moins d’autonomie qu’en France, ces dernières partagent très largement des impôts avec l’Etat. C’est d’ailleurs le cas dans la grande majorité des pays européens :
« Par rapport à ses partenaires, la France mobilise peu la fiscalité partagée : 6,5 % des recettes, contre 20 % en moyenne dans l’Union européenne. Ainsi, en Allemagne, la fiscalité partagée représente près de 60 % des ressources des Länder et 17 % de celles des communes »[5].
Le même rapport décrit également les effets pervers des DMTO – volatilité et inéquité horizontale – en tant que ressource des collectivités locales.

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En tout état de cause, il est vrai que cette réforme aurait pour certaines catégories de ménages des conséquences que l’on peut parfaitement juger inacceptables. Il est clair – et c’est bien l’objectif visé – que les perdants seraient pour l’essentiel les propriétaires occupants non accédants, même s’il est possible d’en atténuer les conséquences pour les plus modestes d’entre eux en adaptant les modalités de calcul de l’impôt, par exemple par des abattements.
Les difficultés de mise en œuvre ne sont pas techniques, mais politiques. La réforme serait sans doute impopulaire, comme l’est toute mesure qui porte atteinte à des situations acquises. L’enjeu est toutefois d’importance, et plutôt que sur des questions contingentes, c’est sur l’objectif poursuivi – favoriser la mobilité plutôt que la sédentarité – et les moyens de l’atteindre que devrait porter le débat.


[1] Alain Trannoy, « Pour une remise à plat de la fiscalité foncière et immobilière. Pour sortir de la crise du logement » – Regards croisés sur l’économie n°9, page 139, La découverte, mai 2011

[2] On peut objecter que certaines de ces charges, notamment le coût de la gestion locative, n’existent que pour les bailleurs. Les prendre en compte pour les propriétaires occupants conduit à corriger au moins partiellement la surestimation des loyers mise en évidence par D. Cornuel dans son article « Loyers imputés : évaluation, fiscalité, croissance ».

[3] J. Bosvieux et B. Coloos : « Logement : sortir de la jungle fiscale ». Economica, 2016.

[4] « La fiscalité locale », Conseil des prélèvements obligatoires, mai 2010, page 53

[5] Ibid., page 59.

Auteurs/autrices

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.

  • Bernard Coloos

    Bernard Coloos est aujourd’hui consultant. Il a été de 1996 à 2020 directeur puis délégué général adjoint aux Affaires économiques, financières et internationales de la Fédération Française du Bâtiment,. Il a été chargé du Bureau des études économiques à la Direction de l’habitat et de la construction de 1990 à 1994 et directeur de l’Observatoire immobilier et foncier du Crédit foncier de France. Titulaire d’une maîtrise de droit privé et d’un doctorat de 3e cycle en sciences économiques, il a été également professeur associé au master Aménagement et urbanisme à l’IEP Paris. Il a publié divers ouvrages traitant du logement.

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