Les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages : comparaisons internationales (Conseil des prélèvements obligatoires)

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Ce document, rédigé par Isabelle Benoteau et Olivier Meslin, est l’un des cinq rapports particuliers qui accompagnent le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires sur les prélèvements obligatoires sur le capital des ménages, paru en janvier 2018[1].

Les auteurs s’attaquent à un problème difficile car le régime des impôts sur le capital varie fortement d’un pays à l’autre. Mais ces différences justifient l’exercice de comparaison, d’autant plus que le capital est maintenant très mobile entre pays. Il ressort de cette comparaison que, selon les auteurs, le poids, la complexité et l’instabilité de la fiscalité sont un frein important à l’attractivité du territoire français. Le logement, quoiqu’il soit un bien immobile, est directement concerné par cette étude car il représente partout la part prépondérante du capital des ménages (sauf pour les très hauts revenus). Ce sont seulement les aspects du rapport sur la fiscalité immobilière qui sont examinés ici.
Comparaison n’étant pas nécessairement raison, la théorie économique doit, tout d’abord, être consultée sur l’imposition du capital : est-elle nécessaire ? Quels sont ses effets ? Les enseignements en la matière sont mitigés, en particulier parce que se pose le dilemme, jamais résolu, de l’efficacité et de l’équité. Sur ce dernier aspect, les auteurs concluent que la fiscalité immobilière dans son ensemble apparaît globalement anti-redistributive, en particulier la déductibilité des intérêts d’emprunt immobilier et les impôts fonciers.
L’imposition des biens immobiliers (détention et transaction) constitue le principal impôt sur le patrimoine : entre la moitié et la totalité du total dans la plupart les pays de l’OCDE, loin devant l’imposition des successions et donations, ces deux types d’impôts étant examinés successivement ici.
Les impôts fonciers (taxe foncière et taxe d’habitation en France) comptent parmi les impôts les plus efficaces d’un point de vue économique : moins distorsifs que ceux sur les transactions, ils combinent une assiette large et peu mobile. Leur part dans les prélèvements obligatoires a augmenté pour la majorité des pays de l’Union européenne (UE). En moyenne, cette part est passée de 2,7 % en 2000 à 3,3 % en 2014 au niveau de l’ensemble des pays de l’OCDE. Le principal enjeu concernant les impôts fonciers réside dans la définition des assiettes et, plus encore, dans leur actualisation. Selon les pays, les assiettes sont la valeur cadastrale, la valeur locative, ou la valeur vénale, cette dernière étant la plus répandue (une dizaine de pays de l’UE). Lorsque l’assiette est la valeur cadastrale, elle est souvent établie en référence à une valeur historique, souvent ancienne (parfois nettement plus qu’en France). Leur actualisation est un enjeu majeur en matière d’équité fiscale, mais elle est difficile à mettre en œuvre d’un point de vue politique car elle implique d’importants transferts entre contribuables. De fait, rares sont les pays qui ont réussi à actualiser les bases cadastrales de façon concluante (Portugal, Irlande). Or, plus la révision est repoussée dans le temps, plus les transferts seront massifs.
Il existe une grande diversité au sein de l’UE en matière d’imposition des transactions immobilières. La France, avec les droits de mutation à titre onéreux, est un des pays qui les imposent lourdement. Leurs effets négatifs sur le marché immobilier sont aujourd’hui bien documentés. Ils renchérissent le coût de transaction lors de la vente d’un bien et nuisent à la fluidité du marché du logement. Associés aux coûts élevés de la mobilité résidentielle, ils peuvent freiner la mise en vente des logements, ce qui a des conséquences négatives, en particulier sur le marché du travail. Par ailleurs, il s’agit pour l’administration d’une ressource volatile, dépendante des évolutions du marché immobilier (volume et prix).
Dans la plupart des pays développés, le système fiscal favorise la propriété occupante (en particulier par la non-imposition des loyers implicites), ce qui entraîne des inefficiences. Mais les incitations en faveur de l’accession à la propriété sont en réduction, notamment la déductibilité des intérêts d’emprunt pour l’achat de la résidence principale. En 2015, environ un tiers des pays de l’UE les autorisent. La France fait partie des rares pays à permettre de déduire de l’impôt sur le revenu une fraction du coût d’acquisition des logements à usage locatif (dispositif Pinel), seule l’Italie ayant un dispositif similaire, ciblé sur les logements économes en énergie et avec un loyer modéré.
Les impôts sur le patrimoine global ont progressivement été supprimés au sein de l’UE sauf, au moment où a été rédigé ce rapport, en France et en Espagne. Cette suppression a pu être justifiée par les coûts administratifs élevés au regard du rendement limité de ce type d’imposition, alors que le risque de fuite des capitaux ne parait pas avoir été le principal motif de suppression. Mais, si la plupart des pays n’imposent pas le patrimoine global, nombre d’entre eux imposent spécifiquement la part immobilière du patrimoine, comme en France avec la substitution de l’IFI à l’ISF.
La fiscalité française des successions et donations est plus lourde que dans la plupart des autres pays, alors que la tendance est à la suppression de ces impôts au sein de l’UE. La raison tient souvent à leur inefficacité (coûts administratifs élevés et faibles recettes), quoiqu’ils aient un impact redistributif et qu’ils puissent avoir un rendement fiscal potentiellement important.
En ce qui concerne les revenus du patrimoine, la fiscalité française se distingue par plusieurs caractéristiques : imposition au barème progressif, niveau élevé des taux marginaux, nombreux régimes dérogatoires et abattements sur les plus-values pour durée de détention, distinction des revenus locatifs de la location nue et meublée. La plupart des pays imposent les plus-values mobilières et immobilières de façon similaire, l’imposition proportionnelle étant la modalité la plus fréquente. De rares pays, comme la France, prennent en compte la durée de détention selon des modalités spécifiques, par exemple par des abattements croissants avec la durée de détention. Les plus-values réalisées lors de la cession de la résidence principale sont exonérées dans la majorité des pays, ce qui peut être justifiée par la nécessité pour de nombreux ménages de vendre leur bien afin de pouvoir en acheter un autre.

Jean Cavailhès
Mars 2019


[1] Le rapport d’Aloïs Kirchner et Rémi Tardivo, analysé par ailleurs par PolitiqueduLogement revient sur les mêmes questions, mais c’est ici l’aspect comparatif entre pays de l’UE ou de l’OCDE qui est retenu.

Auteur/autrice

  • Jean Cavailhès

    Directeur de recherche émérite en économie à l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), dont il a dirigé le département Economie et sociologie rurales dans les années 1990, il a publié, depuis le début des années 2000, une quarantaine d’articles dans des revues scientifiques internationales et françaises, et une vingtaine de chapitres d’ouvrages. Ses domaines de spécialisation sont : (a) l’économie urbaine appliquée aux espaces périurbains et aux formes urbaines, (b) l’économie foncière et immobilière appliquée au logement et au marché foncier, et (c) l’économie de l’environnement appliquée aux usages des sols, au climat et aux paysages urbains et périurbains.

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