Le logement dans les départements et régions d’outre-mer

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Rapport public thématique de la Cour des comptes, septembre 2020

Dans l’outre-mer, le char de l’Etat navigue sur un volcan. La Cour des comptes, organe sérieux, n’use évidemment pas de cette métaphore qui, pour être éculée, paraît pourtant parfaitement appropriée au sujet traité. Non parce que la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion ont été et demeurent sous la menace d’une éruption de la Soufrière, de la Montagne pelée et du piton de la Fournaise, mais en raison des risques d’explosion (sociale) qui pèsent sur les départements d’outre-mer, singulièrement sur la Guyane et Mayotte, dont le territoire est peu soumis à l’activité volcanique.
La politique du logement dans l’outremer n’est pas une réussite. Le plan logement outre-mer (PLOM, 2015-2019) n’a pas eu l’impact espéré. Le rapport « vise à comprendre les raisons de ce semi-échec et, au vu de ce constat, de rechercher par quels voies et moyens le nouveau PLOM, lancé pour les années 2020 à 2022, pourrait connaître un meilleur succès ». Au regard du constat dressé par le rapport, parler de demi-échec semble relever de l’euphémisme : non seulement les objectifs quantitatifs n’ont pas été atteints, mais la déclinaison du plan dans les territoires a été incomplète, du fait notamment de la défaillance des collectivités locales, les accords régionaux n’ont pas fixé d’objectifs précis – sauf pour la construction neuve -, ni de modalités de pilotage, ni de plans de financement identifiés, ni de méthode de coordination des partenaires. La Cour conclut que « la valeur ajoutée du premier PLOM et de ses accords régionaux n’apparaît donc pas clairement ».
En matière de logement comme dans d’autres domaines, la politique de l’Etat dans les départements et régions d’outremer (DROM) [1] est écartelée entre deux impératifs catégoriques : assurer à tous les citoyens de la République une égalité de traitement et de droits  et prendre en compte les spécificités locales, qui sont ici bien plus marquées que dans les territoires métropolitains. Le rapport s’attache d’ailleurs, dans un premier temps, à cerner ces spécificités qui, on le verra, relèvent autant, sinon plus, de facteurs contingents que de caractéristiques physiques ou sociales. Car au regard de ces deux dernières dimensions, l’outre-mer est bien loin de constituer un bloc monolithique, tant les différences d’un territoire à l’autre sont criantes.
Parmi les similitudes, le rapport relève la rareté et la cherté du foncier aménageable, l’inefficacité des instruments de planification, souvent dépassés, non prescriptifs et « portés par des acteurs inégalement impliqués », les contraintes et les risques spécifiques (risques sismiques ou cycloniques, non adaptation de certaines normes), les surcoûts par rapport à la métropole. La plupart de ces caractéristiques sont déjà connues de longue date. Ainsi, la difficulté d’établir les titres de propriété foncière, liée notamment aux indivisions résultant de successions non réglées, est un serpent de mer – elle a notamment entravé la distribution du prêt à taux zéro aux Antilles – et les facteurs des surcoûts de la construction (structure atomisée de la filière du bâtiment, problèmes financiers des collectivités locales, la situation d’oligopole des importateurs de matériaux) sont identifiés. Quant aux difficultés des collectivités locales, c’est un problème récurrent, régulièrement cité comme l’un des principaux obstacles à la mise en œuvre de politiques du logement.
Les cinq DROM ne forment pourtant pas un ensemble homogène. Outre le fait que les contraintes et difficultés que nous venons d’énumérer ne les concernent pas tous (les risques sismiques), ils n’ont pas la même intensité partout : ainsi les surcoûts de construction, très élevés en Guyane et à Mayotte, le sont beaucoup moins à la Réunion et sont inexistants en Martinique. La Guyane et Mayotte se distinguent également par une démographie galopante du fait de l’immigration, alors que la population n’augmente que lentement à la Réunion et qu’elle est en baisse aux Antilles, qui sont en outre confrontées au vieillissement de la population et à la diminution de la taille des ménages.

Complexité institutionnelle et défaillance des collectivités

La Cour consacre une partie entière à décrire l’organisation, ou plutôt l’enchevêtrement des services de l’Etat participant à la mise en œuvre de la politique du logement dans les DROM. C’est dire sa complexité, qu’il n’est pas possible d’exposer ici en quelques lignes. Retenons que la politique du logement dans les DROM relève au niveau national du ministère des Outre-mer, lequel bénéficie du concours de directions d’autres ministères et de leurs services déconcentrés. La Cour estime que « Les DROM ont en commun des spécificités géographiques, économiques, sociales et démographiques qui justifient pleinement que la politique du logement soit une attribution détenue en propre par le ministère des outre-mer, à charge pour lui d’en assumer un pilotage efficace » (page 53).
Il faut croire que dernière condition n’est qu’imparfaitement remplie, car « le ministère des outre-mer, et singulièrement sa direction générale des outre-mer (DGOM), chargée des nombreuses dimensions de ces politiques publiques complexes, peinent à leur donner un cap, malgré le concours apporté par le ministère chargé du logement. Au plan local, les services déconcentrés de l’État – préfectures et directions chargées du logement, notamment – sont partagés entre leurs missions visant à faire respecter la légalité et l’équité, en matière d’opérations immobilières comme de financements publics, et la nécessité d’appuyer des collectivités territoriales, dont la situation financière est souvent fragile et qui ne prennent pas toute la mesure de leurs responsabilités dans ces matières » (page 11). De fait, les exemples abondent qui montrent que les spécificités des DROM sont insuffisamment prises en compte. Ainsi la suppression de l’allocation logement accession par la loi de finances de 2018 s’est-elle étendue aux DROM, alors que l’AL était l’un des piliers de la politique du logement évolutif social, laquelle a de ce fait subi un brutal coup d’arrêt, dont le rétablissement de l’aide en 2019 n’a pas pu annuler toutes les conséquences. Sont également mises en évidence la difficulté de prise en compte dans les normes des matériaux locaux – le rapport cite l’exemple de la brique en terre compressée à Mayotte, devenue « illicite » du fait de l’application des normes nationales consécutivement à la « départementalisation », puis autorisée – et l’imposition de normes établies pour la métropole mais inadaptées localement. On pourrait ajouter à la liste les problèmes posés par l’utilisation du PTZ – le défaut de titre de propriété du terrain ne permet pas la garantie hypothécaire – et l’inadaptation du PSLA, fondé sur l’application d’un taux réduit de TVA, ce qui est sans intérêt dans les DROM où le taux de TVA est déjà réduit, voire nul.  « Force est de constater », conclut la Cour, « que la DGOM, confrontée à l’ampleur de la tâche en même temps qu’à la faiblesse de ses effectifs, n’a guère les moyens d’assumer, malgré le relais de la DHUP et de la DIHAL, ses tâches de conception, d’animation et de suivi-évaluation de cette importante politique publique outre-mer ».
Autre « trait commun à tous les DROM », la faiblesse des collectivités locales et leur insuffisante implication dans la définition et la mise en œuvre de politiques du logement est également stigmatisée de longue date. Elle tient à leur situation financière, obérée par des dépenses de personnel qui « pèsent généralement plus de 70 % du budget, ce qui traduit le plus souvent des sureffectifs » (p. 47). Ce qui n’empêche pas qu’elles « manquent le plus souvent de compétences en conception, pilotage, suivi-évaluation de projets fonciers, d’aménagement et de construction ». En outre, les collectivités locales ont une faible connaissance de leur territoire et ne recourent guère aux instruments de planification. Autrement dit, elles ne sont pas en mesure d’assumer les responsabilités qui leur sont désormais dévolues par les différentes lois de redistribution des compétences en matière d’habitat. Là encore, des réformes étudiées pour la métropole ont été « exportées » dans les DROM sans que les situations locales aient été prises en compte.
La Cour relève bien d’autres insuffisances, mais la plupart d’entre elles semblent être la conséquence de celles que nous venons de décrire. C’est sans doute le cas de la faible compétence des bureaux d’études locaux : comment pourrait-il en aller autrement si les donneurs d’ordres souffrent eux-mêmes d’un déficit d’expertise ?

Des recommandations qui ne suffiront pas à inverser la tendance

Au vu de ce constat peu réjouissant, les recommandations du rapport ne semblent pas être de nature à inverser la tendance, en supposant qu’elles soient suivies d’effet. Non qu’elles ne soient pas pertinentes, mais elles ne remettent pas vraiment en cause une organisation qui, nous venons de le voir, paraît inadaptée à la situation spécifique des DROM.
Prenons deux exemples : la résorption de l’habitat insalubre (RHI) et les expériences pilotées d’auto-construction.
La RHI est depuis longtemps l’un des piliers de la politique du logement dans les DROM et, au regard de la proportion de logements insalubres ou indignes, proposer une relance de la RHI semble aller de soi. Cela équivaut pourtant à dresser un constat d’échec.
Les opérations de RHI sont en effet la dernière étape d’un processus de production des logements spécifique aux DROM, particulièrement à ceux qui attirent de nombreux immigrés. On commence par édifier des logements « illicites » parce que la construction selon les normes imposées est trop onéreuse et/ou parce que l’on est en situation irrégulière (immigration « sauvage »). Puis ces constructions, ayant pris de l’extension, finissent par constituer des quartiers de bidonvilles dont l’existence ne peut plus être tolérée, et qui sont éradiqués par le biais d’opérations de RHI, lesquelles impliquent de démolir les constructions existantes, d’aménager le quartier et de fournir un logement aux habitants pendant les travaux, avant de pouvoir leur proposer un logement décent. Il n’est pas nécessaire d’en dire plus pour faire comprendre que le coût des logements ainsi produits est plus élevé que celui de logements neufs équivalents. Ce mode de production est pourtant courant dans les DROM, il constitue d’ailleurs le fonds de commerce de certains opérateurs.
Si la RHI est évidemment indispensable pour éradiquer l’habitat indigne existant, il conviendrait de s’interroger sur les moyens à mettre en œuvre pour éviter la perpétuation de ce cycle. La question n’est pas vraiment évoquée, sauf par le biais de l’adaptation des normes de construction aux techniques locales et des « expériences pilotées d’auto-construction ». Tel  que décrit dans le rapport, ce mode de production ressemble de près au logement évolutif social, qui a connu un certain succès, notamment à la Réunion et, à un degré moindre, aux Antilles et en Guyane. Toutefois, le LES marque le pas, car il suppose la fourniture de terrains quasi gratuits, ce qui, nous l’avons vu, pose problème aux collectivités locales. Les expériences proposées dans le rapport, si elles sont concluantes, se heurteront sans doute à la même difficulté lorsqu’il s’agira de les étendre.
Les autres recommandations – amélioration de la connaissance du parc, meilleure appréhension des besoins, prise en compte du parc privé dans les actions à mener, restructuration des opérateurs – sont, certes, pertinentes. De même, le réexamen de l’efficacité du cumul de la défiscalisation et des subventions pour la construction de logements sociaux est une nécessité, au vu des résultats des dernières années. L’essentiel reste toutefois la révision « des cadres d’intervention en fonction des réalités locales », dont on peut toutefois douter qu’il soit réalisable en l’absence d’une réorganisation radicale des responsabilités de définition et de mise en œuvre de la politique du logement entre les différents services de l’Etat et les collectivités locales.

Jean Bosvieux
Novembre 2020


[1] La Réunion et la Guadeloupe sont à la fois des départements et des régions, la Martinique, la Guyane et Mayotte sont des « collectivités uniques », dans laquelle une même assemblée cumule les compétences du département et de la région.

 

Auteur/autrice

  • Jean Bosvieux

    Jean Bosvieux, statisticien-économiste de formation, a été de 1997 à 2014 directeur des études à l’Agence nationale pour l’information sur l’habitat (ANIL), puis de 2015 à 2019 directeur des études économiques à la FNAIM. Ses différentes fonctions l’ont amené à s’intéresser à des questions très diverses ayant trait à l’économie du logement, notamment au fonctionnement des marchés du logement et à l’impact des politiques publiques. Il a publié en 2016 "Logement : sortir de la jungle fiscale" chez Economica.

Une réflexion sur “Le logement dans les départements et régions d’outre-mer

  • 6 novembre 2020 à 10:38
    Permalien

    DEFISCALISATION
    La défiscalisation représente une opportunité de financement sans aucun doute intéressante pour démultiplier les logements financés à partir d’une enveloppe donnée de subventions directes, et satisfaire un plus grand nombre de demandeurs.
    Le recours à la défiscalisation n’est pas neutre financièrement. Pour mobiliser des fonds privés, l’Etat doit réduire substantiellement le produit de l’impôt, et accepter que 5 à 8% de la dépense finance l’intermédiation (avec un coût supplémentaire supporté par les services fiscaux qui délivrent l’agrément).
    Une augmentation de la subvention directe financée par l’Etat, et calibrée pour couvrir les coûts supplémentaires supportés par les opérateurs dans les montages en défiscalisation, serait impossible actuellement.

    RHI
    Le rythme de réalisation de la plupart des opérations de RHI en cours est très insuffisant pour espérer dans un avenir proche sortir de l’insalubrité la totalité des habitants des périmètres concernés. Il est donc indispensable d’agir rapidement pour remédier aux dysfonctionnements à l’origine de délais trop importants et tenter d’en améliorer la dynamique.
    Du constat se dégagent deux problématiques :
    – comment faire évoluer la situation de certaines opérations ralenties sinon bloquées depuis plusieurs années et faire avancer plus rapidement l’ensemble des autres ?
    – comment procéder pour les opérations à venir aujourd’hui en phase d’étude ?
    L’insuffisance de crédits d’aide à la RHI n’est pas en cause, pas plus que la disponibilité de crédits d’aide pour la construction puisque le relogement est prioritaire. Des facteurs importants de lourdeur des procédures, liés l’application de la législation sur les périmètres d’insalubrité, ont été supprimés dans la pratique.
    La procédure qui se déroule des études préalables au démarrage des travaux est certes longue, mais pourrait-il en être autrement sauf à ne pas tenir compte de toutes les dimensions d’une opération RHI inévitablement complexe ?
    C’est en fait dans la conception des projets et des politiques d’urbanisme (relogement) et dans la conduite des projets par les collectivités maîtres d’ouvrage et les opérateurs qui les assistent, qu’il faut essentiellement rechercher les causes de blocage de nombreuses opérations de RHI et donc les solutions pour améliorer la situation.
    Une opération de RHI est par définition difficile, car la démarche concerne des habitants dont la plupart ont des situations financière ou sociale précaires, et qui peuvent être cependant réticents aux changements et aux aides proposés. Les collectivités locales acceptent de prendre la responsabilité de ces opérations, notamment parce qu’elles permettent de financer dans des conditions extrêmement favorables des travaux d’aménagement et de VRD. Mais elles ont fréquemment des difficultés à assumer les responsabilités politiques qu’implique l’avancement de l’opération à l’égard des habitants. Les opérateurs qui assurent la maîtrise d’ouvrage déléguée peuvent bénéficier à travers ces opérations de charges foncières à faible coût pour leurs programmes de construction. Pour autant leur implication est inégale selon les opérations de RHI, qui de manière générale ne sont pas prioritaires dans leur activité, et ils ne mobilisent pas toujours dans la durée les moyens nécessaires les opérations qui leurs sont confiées

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