En matière de réglementation des loyers, il faut distinguer deux secteurs :
– le logement social où le contrôle va de soi puisque les HLM sont à « loyers modérés », même si divers sous-secteurs (PLATS, PLA, PLAI) respectent des loyers plafonds diversifiés et si la convention entre le bailleur social et l’Etat prévoit le plus souvent une indexation annuelle. Parallèlement, le logement social doit respecter des prix maximum de construction (ou d’acquisition-amélioration), tempérés toutefois par des aides publiques aux surcharges foncières ou des aides diverses des collectivités locales et du 1% logement ;
– le secteur locatif privé, sur lequel portent le débat, récurrent dans divers pays, sur le contrôle des loyers du secteur privé. Différentes techniques sont possibles.
Une évolution par étapes des formes de contrôle
La forme extrême de contrôle consiste en un gel des loyers, avec le cas échéant des ajustements intermittents à la hausse compensant partiellement l’inflation. Ce mode de contrôle, dit « de première génération », était la norme en Europe durant l’entre-deux guerres et pendant la seconde guerre mondiale, et s’est prolongé, dans certains pays ou collectivités, jusqu’aux années 1980. En Amérique du nord, il est apparu pendant la seconde guerre mondiale ; il a ensuite été abandonné vers 1950 dans la plupart des villes, à quelques exceptions près dont New York.
La période suivant immédiatement la crise énergétique de 1973 a été caractérisée par une forte inflation. Dans les juridictions qui avaient conservé le contrôle des loyers de première génération, l’écart s’est alors creusé entre les loyers autorisés et les loyers d’équilibre du marché. Aux Etats-Unis et au Canada, de nombreuses collectivités ont réintroduit un contrôle des loyers, mais sous une forme plus souple. Au-delà de modalités parfois significativement différentes, ces dispositifs autorisaient généralement une augmentation annuelle fixée par un taux légal, sans exclure la possibilité d’augmentations supplémentaires prenant en compte la hausse des coûts et la rentabilité locative. On parlait alors de régulation plutôt que de contrôle des loyers. Certains logements pouvaient y échapper, soit parce qu’ils avaient été construits postérieurement à la mise en place de la règlementation – ce fut le cas en France avec la loi de 1948, soit à l’occasion d’un changement de locataire, soit par accord entre le bailleur et le locataire, soit encore en raison de l’absence de tension du marché local. Dans les années 1970 et 1980 de nombreux pays européens ont substitué ces dispositifs de seconde génération aux anciens modes de contrôle.
Depuis lors, le contrôle des loyers est devenu un enjeu politique moins prégnant. Certains pays ou collectivités ont conservé leurs dispositifs de contrôle, mais en raison de taux d’inflation réduits, les loyers ne se sont guère écartés du niveau d’équilibre du marché ; dans la plupart de villes américaines, par exemple, le champ d’application du contrôle s’est réduit en vertu de dispositions diverses de déréglementation permettant à un nombre croissant de logements d’y échapper ; dans de nombreux cas le contrôle des loyers a été totalement aboli, dans d’autres il a évolué. Aujourd’hui, il se limite le plus souvent à l’encadrement de l’évolution du loyer en cours de bail, voire lors de son renouvellement, la fixation du loyer étant généralement libre lors de la relocation.
Des différences importantes subsistent néanmoins entre les réglementations nationales en Europe, eu égard notamment à l’encadrement des loyers en cas de relocation ou de renouvellement du bail. En Angleterre, comme en France de 1997 à 2014, les loyers de relocation sont libres, mais à la différence de la France, ils le sont aussi lors du renouvellement de bail. Au Danemark, il n’existe pas moins de cinq régimes différents selon la date de construction des logements, les plus contraignants s’appliquant aux plus anciens. Aux Pays-Bas, où le locatif privé ne représente plus que 8% du parc, les loyers sont plafonnés. En Suède, ils sont en théorie déterminés localement par négociation entre représentants des bailleurs et des locataires, mais en réalité ils sont fixés en se référant aux loyers du parc social. En Allemagne, la liberté est la règle, mais le locataire peut se tourner vers le juge s’il estime que le loyer qu’il a accepté est supérieur de plus de 20 % aux loyers pratiqués pour des logements équivalents.
Aux Etats-Unis, des dispositifs de contrôle des loyers plus ou moins contraignants sont en vigueur dans plusieurs grandes villes comme San Francisco, Los Angeles, New York, Washington ou Oakland.
La réglementation française
L’histoire de la réglementation des loyers en France illustre parfaitement les évolutions décrites ci-dessus : blocage de 1915 à 1948, date à laquelle est adoptée une loi visant à assouplir le contrôle des loyers des logements existants et libérant les loyers des constructions à venir pour favoriser le retour des investisseurs ; en 1982, la loi Quilliot introduit une restriction à la liberté de fixation du loyer en cas de renouvellement de bail ou de relocation ; en 1986, la loi Méhaignerie institue une liberté quasi-totale, seules les augmentations en cours de bail restant encadrées ; la loi Mermaz-Malandain, votée en 1989 et en vigueur, sur ce point, jusqu’en 2014, apparaissait comme un moyen terme entre les deux lois précédentes en permettant la libre fixation du loyer en cas de changement de locataire et en accordant la possibilité (sous conditions) de réajustements en cas de renouvellement, la norme restant toutefois l’évolution selon l’indice de référence. Une disposition permettait toutefois à l’Etat de limiter par décret les hausses à la relocation, possibilité été utilisée depuis 2012 dans certaines villes, dont Paris.
Ces lois ne s’appliquaient pas à l’ensemble du parc privé : y échappaient les logements, de moins en moins nombreux – il en resterait 100 à 200 000, régis par la loi de 1948 – et la location meublée (environ 7% du parc), qui bénéficiait d’une liberté à peu près totale en matière de fixation et d’évolution du loyer.
Promulguée en 2014, la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR, a introduit la possibilité d’un encadrement des loyers à la relocation dans les agglomérations les plus chères : le loyer plafond par mètre carré fixé par le préfet ne peut excéder de plus de 20% le loyer médian de référence des logements de mêmes caractéristiques, déterminé d’après l’observation des loyers locaux. Seuls peuvent bénéficier de dérogations les logements « présentant des caractéristiques de localisation ou de confort le justifiant, par comparaison avec les logements de la même catégorie situés dans le même secteur géographique », cette notion n’étant toutefois pas clairement définie. Conjuguée à la possibilité de reconduire d’année en année le décret limitant les hausses de loyer à la relocation, cette mesure, qui s’applique à la location meublée comme à la location vide, réintroduit un contrôle de type « première génération ». Son application est conditionnée à la mise en place d’observatoires des loyers locaux agréés par l’Etat.
La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Elan, a confirmé le dispositif d’encadrement tout en modifiant la définition des périmètres dans lesquels il est susceptible d’être mis en oeuvre. Désormais, toute collectivité territoriale située dans une zone « tendue » peut demander la mise en œuvre de l’encadrement sur tout ou partie de son territoire : c’est alors un décret qui définit le périmètre à l’intérieur duquel s’applique le dispositif, sous réserve que les conditions définies par la loi Alur soient réunies. L’encadrement entre alors en vigueur « à titre expérimental et pour une durée de cinq ans ».
Les effets du contrôle
On le voit, les formes de contrôle des loyers varient dans le temps et dans l’espace. C’est pourquoi, en la matière, les jugements généraux manquent de pertinence ; ils procèdent d’ailleurs plus souvent de positions idéologiques que d’analyses solidement étayées.
On possède, certes, une certitude : le blocage des loyers ou une évolution trop strictement encadrée conduisent inexorablement à une raréfaction de l’offre locative, freinent la mobilité résidentielle et peuvent entraîner l’apparition de pratiques occultes (dessous de table), comme on le voit en Suède.
Un contrôle trop strict peut également favoriser le développement de marchés parallèles (shadow markets) lorsque le contrôle ne porte que sur une partie du parc : dans le marché encadré, les locataires sont incités à conserver leur logement et l’offre se tarit ; les nouveaux locataires n’ont alors d’autre choix que de se loger dans le parc « libre » qui, du fait de la forte demande, voit ses loyers augmenter. C’est le cas à New-York, où le loyer libre médian est deux fois et demie supérieur à celui du parc à loyers contrôlés. Un constat analogue a pu être fait dans l’agglomération parisienne entre les loyers régis par la loi de 1948 et les loyers libres.
Sur ces différents points, les résultats des études convergent, qu’il s’agisse de recherches théoriques ou de travaux empiriques prenant appui sur des expériences réelles. En revanche, la question de l’impact du contrôle sur l’entretien des logements est controversée, les locataires pouvant à cet égard suppléer, au moins dans une certaine mesure, les bailleurs défaillants.
En France, c’est la pénurie de logements locatifs et leur mauvaise qualité, résultant de plus de trente années de blocage, qui a motivé la loi de 1948, puis les dispositions des lois ultérieures qui ont organisé la « sortie » progressive des logements régis par cette loi. C’est également ce qui a incité de nombreuses villes américaines à assouplir ou à abolir les dispositifs de contrôle.
La réintroduction d’un dispositif de contrôle de type « première génération » apparaît donc comme un anachronisme. Son efficacité dépend toutefois de la propension des locataires à faire valoir leurs droits devant les commissions de conciliation et, en cas de non-conciliation, devant le juge.
Jean Bosvieux
Février 2015
Révision février 2023
→ « Le logement social », plafond de ressources, conventionnement, prix, surfaces, propriétaire bailleur, parc social de fait