La politique du logement n’a de sens que si l’on considère la diversité des situations locales.

Imprimer

Les débats concernant le logement sont nombreux en ce moment et les approches macro-économiques, nécessaires pour des analyses à grandes mailles ou pour observer des tendances ou phénomènes nationaux, ne doivent pas occulter la diversité des situations locales. Dans ce domaine, tout diagnostic qui serait basé uniquement sur une analyse générale risquerait de ne pas comprendre les vrais enjeux. Il y en a au moins deux qui méritent que l’on s’y attarde :
– caractériser la diversité des territoires ;
– mettre en œuvre des politiques fortes mais adaptées à cette diversité.
Un bon exemple de cette nécessité nous est donné par l’ordonnance d’octobre 2016 relative à la réorganisation de l’ex « 1% logement » (participation des employeurs à l’effort de construction – PEEC). Il y est clairement évoqué que la répartition des emplois de la PEEC doit se faire en adéquation avec les besoins des territoires.

Appréhender la diversité des territoires et donc des besoins

Oui, il y a des territoires où la crise quantitative du logement est grave, particulièrement Paris, certaines communes d’Ile-de-France, d’Auvergne-Rhône-Alpes et de Provence-Alpes-Côte d’Azur où louer un logement ou accéder à la propriété est difficile, voire impossible, pour de nombreux ménages. La carte publiée par le journal Le Monde le 27 septembre dernier montre d’ailleurs bien ces secteurs en tension (« comment le logement pèse sur les budgets en 10 graphiques »[1]).

Dans ces communes dites en tension, le parc social joue un rôle essentiel, de nombreux ménages espèrent pouvoir y être logés. Une production HLM forte, intégrant le parc existant et les demandeurs, prend alors tout son sens pour agir sur tous les segments de la chaîne du logement et permettre de fluidifier les parcours résidentiels.
Dans un article sur le droit au logement opposable (bilan 10 après) publié en juillet 2017 sur le site politiquedulogement.com[2], Jean-Claude Driant montre d’ailleurs que « le Dalo est d’abord une affaire francilienne ». Il indique que 18 départements regroupent à eux seuls 87% des recours, dont 59% pour la seule Ile-de-France. A noter que, globalement, le nombre de demandes déposées était de 86 000 en 2014 et que ce chiffre est stable depuis.
Dans le bilan 2016 des logements aidés publié par l’Etat, l’Ile-de-France compte près de 679 000 demandes actives de logements sociaux à fin décembre 2016[3] (35% des demandes France entière). Il y a près de 290 000 demandes nouvelles.
Rien d’étonnant quand on voit que le loyer mensuel moyen au 1er janvier 2017 est de 22,8 €/m2 à Paris, de 16,6 €/m2 en petite couronne et de 13,7 €/m2 en grande couronne d’après l’OLAP (rapport de juillet 2017). Dans le même temps, au 2ème trimestre 2017, le prix au m2 d’acquisition d’un appartement dans la région est de l’ordre de 5 à 6 000 € (5 570 €/m2). A Paris, ce chiffre est plutôt de l’ordre de 8 670 € € et en Seine-et-Marne de 2 590 €, d’après le site des notaires de Paris-Ile-de-France. Toute l’Ile-de-France n’est pas en zone A si l’on regarde la carte du zonage pour certains dispositifs logement !
Parallèlement à ces situations de tension, il y a donc aussi des territoires où le niveau du loyer dans le parc social est au même niveau que dans le parc privé et/ou la vacance du parc privé, voire celle du parc social, est élevée, dépassant les 10%[4].
En 2015, au congrès de l’Union Sociale pour l’Habitat (USH), à l’initiative de différentes associations régionales HLM, un « manifeste pour une autre politique de l’habitat dans les territoires dits détendus » pointait « la situation singulière des organismes HLM qui interviennent en secteurs détendus, confrontés à une vacance endémique, à une démographie vieillissante ». Les bailleurs HLM appelaient à « un travail d’adaptation du cadre règlementaire des politiques nationales de l’habitat » et citaient, à juste titre, les effets pervers de la politique nationale qui décrète un manque quantitatif général de logements. En juillet 2017, en s’appuyant sur l’exemple de l’Yonne qui a vu « sa population diminuer, au rythme de -0,1% par an entre 2009 et 2014 », un article, publié dans la revue Actualités Habitat de l’USH, insistait de nouveau sur la nécessité d’adapter les politiques de l’habitat aux marchés locaux. Le texte visait notamment les objectifs nationaux de production « surdimensionnés » pour l’Yonne et le fait qu’ « entre 2005 et 2015, en moyenne 30% des agréments prévus n’ont pas été utilisés » dans ce département.
Le parc privé n’est pas en reste, on l’a dit concernant la vacance de certains territoires. A Vichy, la part de logements vacants est de 20,3% en 2014 (INSEE) et le niveau des loyers de marché est aux alentours de 7-8 euros en 2017 (Clameur). Une vacance forte du parc privé et une vacance inquiétante du parc social imposent de réfléchir aux moyens à mettre en œuvre pour enrayer durablement ces phénomènes.
A noter toutefois que ces éléments ne doivent pas cacher d’autres réalités sociales plus difficiles et le fait que dans ces territoires, au-delà de Vichy, il y a des situations d’habitat dégradé, de suroccupation… Et c’est d’ailleurs en cela qu’un travail fin « de dentelle » au niveau de l’ensemble parc est nécessaire.
Face à ces situations différenciées, si l’on ne regarde les choses que d’un point vue global national ou même régional, l’analyse générale qui en est faite masque la diversité des réalités et si l’on caricature, elle conduit à considérer que la vacance à Montluçon ou à Roanne permettrait de résoudre la tension dans le Pays de Gex !
La nécessité d’une analyse territorialisée est d’autant plus forte qu’il s’agit de regarder ces chiffres de manière relative eu égard au nombre d’habitants et au « format » ou périmètre des collectivités concernées. Prenons l’exemple de la diversité des métropoles dont la publication Métroscope[5] dresse le portrait. Voici quelques situations au 1er janvier 2017 à titre d’illustration :

  • Brest Métropole : 8 communes, 207 700 habitants, 106 200 emplois, 218 km2 ;
  • Eurométropole de Strasbourg : 33 communes, 484 200 habitants, 246 800 emplois, 338 km2 ;
  • Toulouse Métropole : 37 communes, 746 900 habitants, 435 300 emplois, 458 km2 ;
  • Métropole de Lyon : 59 communes, 1 354 500 habitants, 685 300 emplois, 534 km2 ;
  • Métropole Européenne de Lille : 90 communes, 1 139 900 habitants, 509 800 emplois, 648 km2 ;
  • Métropole d’Aix-Marseille Provence : 92 communes, 1 859 900 habitants, 739 600 emplois, 3 149 km2.

Autre exemple, autre parallèle : en Occitanie, le département de la Lozère compte 76 000 habitants environ, soit presque autant que le Grand Montauban et ses 9 communes.
Le travail fin à réaliser sur chaque territoire est donc fondamental : l’approche quantitative et qualitative doit être déclinée à l’échelle des EPCI en tenant compte de leurs spécificités, urbaines, géographiques, paysagères… surtout que, comme le souligne Claire Delpech[6], il y a « une forte montée en compétence des communautés et métropoles en matière d’habitat ». « Au 1er janvier 2016, la quasi-totalité (88) des grandes agglomérations urbaines, cibles du dispositif, étaient délégataires des aides à la pierre ».

Considérer la complémentarité des dispositifs comme autant de leviers et de potentialités pour adapter les politiques à ces enjeux

Ces éléments de cadrage confirment l’importance de penser la réalité de manière moins segmentée qu’on aurait tendance à le faire (villes / campagnes, zones tendues / zones détendues…). Comme l’indique Eric Charmes dans un article publié sur le site la Vie des idées le 24 octobre 2017[7], « la vieille dichotomie entre campagnes et villes n’est plus opérante », « l’opposition entre villes et campagnes fait écran à la compréhension des véritables inégalités territoriales et obstacle à leur traitement ».
Les interactions sont nombreuses et seule une approche intégrant la complémentarité des dispositifs (locatif social, locatif privé, accession, accession sociale) peut permettre d’appréhender les territoires de manière concrète (construction, démolition, réhabilitation lourde, rénovation énergétique…).
Depuis de nombreuses années, on observe une dissociation entre lieux de résidence et lieux de travail. Le rapport de l’Observatoire des territoires 2016 « Emploi et territoires »[8] fait état de cartes éclairantes sur le sujet montrant l’évolution du rapport entre nombre d’emplois et nombre d’actifs occupés, 1975-1999-2012. La dissociation est croissante, sous l’effet notamment de la périurbanisation. D’après ce rapport, la distance moyenne domicile-travail est passée de 9 km en 1982 à 14,7 km en 2008 alors que la durée moyenne du trajet est passée de 20 min 30 sec. à 22 min 36 sec. : une distance qui s’allonge plus que le temps de trajet !
Cela renvoie également aux résultats d’une étude CRÉDOC (Centre de Recherche pour l’Etude et l’Observation des Conditions de Vie) menée pour Action Logement[9]. En 2017, le temps de trajet moyen domicile-travail des actifs occupés (personnes en emploi salarié ou indépendants, y compris étudiants) est de 24 minutes. En 2011, la moyenne était de 23 minutes, soit une poursuite de l’augmentation si l’on devait mettre ces éléments en parallèle des chiffres 2008 présentés par le CGET. Toutefois, les disparités territoriales sont très fortes : le temps de trajet moyen est de 35 minutes dans l’agglomération parisienne alors qu’il n’est que de 19 minutes dans les agglomérations de 20 000 à 100 000 habitants.
L’analyse des situations locales en matière de logement imposent d’intégrer ces éléments liés au cadre de vie et aux fractures qui peuvent se creuser, qu’il s’agisse des quartiers qui relèvent de la politique de la ville ou de certaines villes moyennes dont les indicateurs sont au rouge (vacance commerciale, vacance résidentielle, solde migratoire négatif, difficultés économiques…).
Une approche fine doit donc intégrer ces porosités et les phénomènes de report ou d’arbitrage que font les ménages quand ils décident de s’installer à tel ou tel endroit. Un ménage s’installant pour des raisons de mobilité professionnelle dans un territoire où le loyer privé est faible, proche de celui du parc social, aura tendance, dans un contexte de taux bancaires bas, d’aides à l’accession et de parc privé locatif dégradé, à vouloir accéder à la propriété.
Dans cette nécessité d’agir au plus près du terrain, les collectivités[10] ont évidemment un rôle majeur à tenir et leurs documents de planification avec une dimension prospective sont des outils stratégiques et opérationnels : ouverture de zones à la construction, mise en place de réserves pour la construction de logement social, réflexion sur leur patrimoine et les transformations d’usage possibles, préemption d’immeubles privés dégradés… Les objectifs en matière de vente HLM doivent d’ailleurs s’inscrire dans ces schémas : réfléchir où ces ventes sont possibles eu égard aux quartiers, aux attentes et aux parcours résidentiels des locataires, permettre de fluidifier le parc et se donner la capacité d’envisager de nouveaux programmes…
Une politique forte (dans son volontarisme) et mesurée (adaptée au contexte) impose de considérer tous ces enjeux en matière de logement (construction, réhabilitation, adaptation des typologies de logements, réponses aux multiples besoins, enjeux concernant les fonciers…). Les réflexions actuelles sur la situation des villes moyennes vont dans ce sens. Lors d’une conférence de presse en juin 2016, Procos (fédération du commerce spécialisé) montrait l’évolution du taux moyen de vacance commerciale en centre-ville : dans les agglomérations de 50 000 à 100 000 habitants, il passait de 8,6% en 2013 à 11,3% en 2015, soit une augmentation de 31%, et dans les agglomérations de 100 000 à 250 000 de 6,6% à 9,2%, soit une augmentation de près de 40% (comme pour les agglomérations de moins de 50 000 habitants). Cette situation de vacance commerciale qui perdure s’accompagne souvent d’une paupérisation des centres et du délaissement de nombreux immeubles. Une intervention forte avec des calendriers resserrés pour restructurer le bâti, en intégrant les enjeux de rénovation thermique, est indispensable, particulièrement là où existe une demande de logements. Il s’agit de travailler à des échelles fines, bâtiment par bâtiment, petit programme par petit programme.

Une meilleure prise en compte des problématiques locales permettrait de proposer des solutions mieux adaptées pour enrayer réellement et durablement ces phénomènes. Cela implique-t-il une plus grande décentralisation des compétences de politique du logement ? Peut-être est-ce une piste sérieuse pour éviter d’imposer des schémas incomplets ou figés. Cela passe en tout cas par la nécessaire capacité à mobiliser des moyens et des acteurs prêts à s’engager dans des calendriers raisonnables.


[1] http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/visuel/2017/09/27/comment-le-logement-pese-sur-les-budgets-en-10-graphiques_5192079_4355770.html

[2] https://politiquedulogement.com/2017/07/le-droit-au-logement-opposable-10-ans-apres-des-principes-a-la-mise-en-oeuvre-des-resultats-et-des-doutes/

[3] 12 derniers mois glissants

[4] Exemples pour le parc privé : Tarbes, Béziers, Nevers, Agen, Saint-Dié-des-Vosges, source : INSEE, 2014

[5] http://www.fnau.org/fr/publication/metroscope/

[6] https://politiquedulogement.com/2017/09/politiques-locales-de-lhabitat-communautes-et-metropoles-au-centre-du-jeu/

[7] Éric Charmes, « La revanche des villages », La Vie des idées, 24 octobre 2017. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/La-revanche-des-villages.html

[8] http://www.cget.gouv.fr/ressources/publications/emploi-et-territoires-rapport-de-l-observatoire-des-territoires-2016

[9] Liens entre le logement et le travail : quelles difficultés, quelles solutions ? Etude menée à la demande d’Action Logement, pôle « évaluation et société » du CRÉDOC, via son dispositif d’enquête annuelle sur les « Conditions de vie et aspirations des Français ».

[10] L’article est focalisé sur la France métropolitaine. La spécificité des DOM mérite une analyse particulière.

Auteur/autrice

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *