« Zéro artificialisation nette des sols » en 2050 ?
Un logement : pour moitié, c’est un sol bâti, dit « artificialisé »
La valeur des logements c’est, grosso modo, pour moitié celle des terrains. On a, parfois, tendance à l’oublier en ne voyant que les bâtiments érigés sur ces terrains. En effet, l’Insee estime qu’en France en 2017 les terrains supportant des bâtiments représentent 44 % du total de la valeur des logements, après avoir atteint un point haut de 50,2 % en 2007[i]. Des estimations comparables, voire supérieures, se retrouvent dans d’autres pays. Aux Etats-Unis, selon l’estimation de Knoll et al. (2017)[ii], la part des terrains dans la valeur immobilière totale des logements est assez stable depuis 1900, autour de 50 %. Au Japon, juste avant l’éclatement de la bulle immobilière de 1990, selon les mêmes auteurs, les terrains représentaient 90 % de la valeur immobilière (en 2010 : 77 %).
Pour qui s’intéresse au logement, l’offre de terrains à bâtir et la constructibilité des sols importent donc au premier chef. De ce point de vue, l’objectif d’une « zéro artificialisation nette » interpelle, d’autant plus qu’il est réaffirmé avec force ces temps-ci.
Zéro artificialisation nette
Un objectif proclamé …
Inaugurant le Salon de l’agriculture, le 23 février 2019, le Président Emmanuel Macron a déclaré : « Nous avons fait ce choix radical avec le gouvernement de viser le ‘zéro artificialisation nette’ », reprenant ainsi le choix de la feuille de route de la Commission européenne qui affirme : « Notre objectif [consiste] à supprimer, d’ici à 2050, toute augmentation nette de la surface de terres occupée [par le logement, l’industrie, les infrastructures routières ou les loisirs] »[iii]. Le Plan biodiversité français de 2018 s’inscrit, « afin de réduire l’artificialisation des sols, dans un objectif de « zéro artificialisation nette » ».
En juillet, France Stratégie, think tank du Premier ministre, a publié un rapport sur les moyens de l’atteindre : « Objectif « zéro artificialisation nette »’ : quels leviers pour protéger les sols ? »[iv] (cf. infra). Le Gouvernement vient d’adresser aux préfets, le 29 juillet 2019, une instruction qui leur indique que « votre action intervient dans la trajectoire qui consistera à rendre applicable l’objectif zéro artificialisation nette du territoire »[v].
… pour quels enjeux ?
Selon le gouvernement, l’artificialisation des sols « engendre partout une perte de biodiversité, de productivité agricole, de capacité de résilience face au risque d’inondation, au changement climatique et à la précarité énergétique, une banalisation des paysages »v. L’item artificialisation du dictionnaire de l’habitat discute ces allégations, brièvement examinées ici. Concernant la perte de biodiversité, les scientifiques sont unanimes : l’imperméabilisation est l’atteinte la plus grave qui puisse être portée à la biodiversité d’un sol et elle perturbe l’écoulement des eaux. Mais l’artificialisation laisse une grande partie des sols perméables (cf. encadré 1). Si elle se produit en forêt (ce qui est rare), il y a perte de biodiversité, alors qu’une construction sur un sol agricole (cas habituel) se traduit généralement par un gain, la biodiversité d’un milieu urbain étant supérieure à celle de champs de grande culture[vi]. Les réseaux de transport sont des barrières à la circulation de la faune. L’agriculture n’est pas réellement affectée par des constructions en habitat groupé, les empiétements urbains sont limités (de l’ordre de 0,0008 % des surfaces agricoles sont annuellement artificialisées[vii]), les pertes de potentiel productif également (0,04 % par an selon une étude citée par l’INRAvi). Les effets de l’artificialisation sur le réchauffement climatique ne sont pas évoqués dans le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur Changement climatique et terres émergées[viii] car les sols artificialisés représentent moins de 1 % des terres émergées. La dégradation des paysages ruraux, enfin, est réelle lorsque des constructions sont saupoudrées dans les campagnes, ce « mitage » représentant environ 15 % des permis de construire accordés en France[ix].
Ces effets négatifs, réels mais souvent exagérés, sont à mettre en balance avec les besoins économiques : besoins de logements abordables, de locaux d’activités, d’accessibilité, de désenclavement rural, tous éléments qui contribuent à la croissance, à la création d’emplois, à de bonnes conditions de vie des ménages. L’article 110 du Code de l’urbanisme, après sa célèbre introduction (« Le territoire français est le patrimoine commun de la nation ») appelle, entre autres objectifs, à « gérer le sol de façon économe », mais en ayant précisé, très sagement, que cette gestion doit se faire « afin d’aménager le cadre de vie, d’assurer sans discrimination aux populations résidentes et futures des conditions d’habitat, d’emploi, de services et de transports répondant à la diversité de ses besoins et de ses ressources ».
Le discours actuel du Gouvernement et l’objectif Zéro artificialisation nette (ci-après : ZAN) répondent-ils à ce souci d’équilibre ?
– le CEREMA, traitant les données de la DGFiP du ministère de l’Action et des Comptes publics, définit l’artificialisation comme le passage de parcelles cadastrées de sols naturels, agricoles ou forestiers à une occupation du sol qui, du point de vue fiscal, est bâtie, terrain à bâtir, carrière, jardin d’agrément, chemins de fer ;
– le Service de la donnée et de la statistique (SDES) du Commissariat général au développement durable (CGDD) considère qu’il y a artificialisation tantôt lorsqu’un permis de construire est accordé pour une parcelle situé en dehors d’un tissu déjà urbanisé (Albizzati et al., 2017ix). C’est une définition plus étroite que celle du CEREMA : il faut qu’il y ait un permis de construire, qui concerne une parcelle extérieure à ce tissu urbanisé. Tantôt, il utilise la définition plus large de l’Agence européenne de l’Environnement (Corine land cover), pour qui l’artificialisation concerne l’extension ou l’apparition de taches urbaines de 5 hectares ou plus, considérées comme homogènes, qui sont urbanisées, ou industrielles et commerciales, occupées par des réseaux de communication, zones portuaires et aéroports, des mines, décharges et chantiers ou, enfin, qui sont des espaces verts non agricoles (espaces verts urbains, équipements sportifs et de loisirs). Dans les deux cas, le tissu urbain, qui est continu ou discontinu, est considéré comme déjà artificialisé, même lorsqu’une part des surfaces (parfois la majorité) est végétalisée ;
– le Service de la statistique et de la prospective (SSP) du ministère de l’Agriculture et de l’alimentation adopte une définition plus large. L’artificialisation est le passage à un sol bâti (en majorité : logements), revêtu ou stabilisé (pour l’essentiel : réseaux de transport), enherbé ou nu (jachère, chemin de terre, talus, chantier et carrière, terril, crassier) qui, dans ce dernier cas, est destiné à des activités industrielles, de service, sport et loisirs, ou habitat. Peu importe, dans tous les cas, que la parcelle soit cadastrée ou non, sa classification fiscale, sa localisation dans ou hors un tissu déjà urbanisé. Selon cette source, les sols artificiels sont bâtis pour 20 % d’entre eux, revêtus ou stabilisés pour 49 %, enherbés ou nus pour 31 %.[/typography]
La forte variabilité de l’artificialisation selon la localisation
Avec des définitions très différentes (encadré 1), le chiffrage des surfaces qui se construisent varie beaucoup, grosso modo d’un à quatre au niveau national. Mais peu nous importe ici, au point que nous ne citerons pas de chiffres. Car il en est de cette question comme de l’objectif de construire 500 000 logements par an lorsqu’on ne précise pas où (en Île-de-France, à Nice, en Lozère ou dans la Creuse ?). Comme le logement, le terrain à bâtir, le sol à artificialiser, est un objet intransportable. On ne peut analyser son offre et sa demande que localement.
Or, à l’échelle des communes, la construction sur de nouvelles terres varie fortement, comme le montre la figure 1. Pour 23 000 communes qui ont construit sur moins d’un demi-hectare en 2015 et 2016 soit, au total, 2000 ha en deux ans (en grisé sur la carte), il y a 738 communes qui ont construit sur plus de 10 ha, soit 17 000 ha pour ces deux années (marron foncé).
Figure 1. Flux de conversion urbaine de terres en 2015 et 2016.
Source : DGFiP d’après CEREMA, 2019
Ceci montre une limite de la circulaire ministérielle qui appelle les préfets a « faire émerger les projets et les opérations sobres et vertueuses en matière de consommation d’espace qui s’inspire de la démarche ‘éviter, réduire, compenser’ du code de l’environnement »v.
- Eviter ? Là où le marché immobilier est tendu et où on construit déjà beaucoup (figure 1), une construction nouvelle ne peut pas toujours être évitée en utilisant le stock existant, parfois inadapté comme le montrent des analyses de la vacance (vétusté, passoires thermiques, mauvaise localisation, etc.)[xii].
- Réduire ? La consommation d’espace peut être réduite en construisant des immeubles plus hauts, mais cela coûte plus cher (cf. article à venir d’A. Bouteille), ce qui est un obstacle à l’offre de logements abordables.
- S’étendre en consommant de nouvelles terres (figure 1, marron foncé) permet alors de répondre à la demande. Mais cela remet en cause l’objectif ZAN. Compenser devient un maître mot de la circulaire ministérielle. Sans aller jusqu’à penser que, pour compenser une consommation urbaine en Loire-Atlantique il suffit de ‘désartificialiser’ un chemin rural en Creuse, on imagine les difficultés de cette démarche lors de l’élaboration d’un PLU ou lorsqu’un maire doit décider d’attribuer – ou non – un permis de construire, et l’embarras du préfet pour prendre position au nom de l’objectif ZAN.
L’artificialisation : un enjeu hyper-local
La construction sur des terres nouvelles est également un enjeu très local à un niveau d’échelle infra-communal. Albizzati et al.ix montrent que 43 % des surfaces pour lesquelles un permis de construire a été accordé entre 2005 et 2013 sont situés dans des taches urbaines (de cinq hectares ou plus) qui, dans la définition statistique européenne reprise par les auteurs, sont déjà artificialisés. Il s’agit de ce qu’ils appellent la densification urbaine (tableau 1). L’artificialisation de masse (Tableau 1, Type 2 ; i.e. lotissements, villages nouveaux), en continuité de bâti (à moins de 300 mètres d’une tache urbaine) ou par mitage (autres cas), soit 57 % des permis de construire, correspond à de l’artificialisation.
La densification (tableau 1, type 1) peut s’opérer :
- dans un tissu urbain continu[xiii], par construction après démolition, comblement de « dents creuses », utilisation de friches urbaines ou de « délaissés », etc. On évite ainsi de consommer des terres agricoles ou de miter des paysages ruraux, mais au prix d’îlots de chaleur urbains plus intenses[xiv], de montée des prix immobiliers et de sur-densification, ce à quoi s’opposent les riverains. Ce tissu urbain continu couvre 45 000 ha, soit 0,8% du territoire, où habitent 19,1 millions de personnes. Il se rencontre dans 548 communes, avec une population moyenne de 35 000 habitants (médiane : 13100)[xv];
- dans un tissu urbain discontinu[xvi]: bordures de villes (y compris grandes), bourgs ou villages (couvrant plus de 5 hectares), comportant, outre les bâtiments, des terres cultivées, boisées ou en friche, de grands jardins privés ou publics, ce qui explique la discontinuité du tissu bâti (cf. encadré 3). Cet ensemble représente l’essentiel du territoire habité : 23 657 communes (population médiane de 730 habitants), 2,3 millions d’ha, soit 4,1% du territoire. Ce tissu urbain est présent dans les deux-tiers des communes péri-urbaines ou multipolarisées au sens de l’Insee et dans 43 % des communes rurales.
Dans les deux cas, un permis de construire n’implique pas artificialisation du sol : selon la définition de Corine land cover, il est déjà artificiel. Là, on peut dire aux promoteurs, urbanistes ou maires, « faites ce que vous voulez ! », cela n’a pas d’effet sur l’objectif ZAN. Il n’en reste pas moins qu’il y a là des réserves foncières importantes.
[typography font= »Cantarell » size= »14″ size_format= »px »]Le tissu urbain discontinu de la base de données Corine land cover (CLC) est considéré comme « artificialisé »xiii par l’Agence européenne de l’environnement. Cette caractérisation est source de quiproquo, comme le montre l’exemple d’une commune de Côte d’Or, Villebichot, qui compte 359 habitants. Ceux-ci habitent dans un « tissu urbain discontinu » (CLC) qui couvre 34 ha, entouré de champs, avec deux fermes isolées (Figure 2, limites de la commune en rouge).
La figure 3 montre un agrandissement de cette tache de tissu urbain discontinu, dont nous avons grossièrement tracé les contours. Sans savoir comment l’opérateur qui analyse les images satellites, en a tracé les limites (il a pu, par exemple, retenir les lignes en pointillé côté Sud), il apparaît que la majorité de la surface est constituée de terres à couvert végétal. Il y a, dans cette tache, quatre logements par hectare, plus quelques grands bâtiments, un poney club et d’autres sans doute industriels.
Dans CLC, dont l’objectif est de permettre des comparaisons à très petite échelle, au niveau de l’Union européenne, on peut considérer qu’il s’agit d’un tissu urbain inséré dans de vastes champs et forêts. Mais ce tissu est très discontinu. Son sol est peu imperméable, l’hétérogénéité de sa structure peut être favorable à la biodiversité d’espèces qui recherchent un habitat diversifiévii. Par ailleurs, construire de nouveaux logements ou locaux d’activité dans cet espace n’empiète pas sur l’agriculture (couleurs claires sur la figure 2) et la forêt (vert foncé).
La figure 4, extraite du projet de PLU en cours d’élaboration, montre la faible part des surfaces imperméables dans cette tache urbaine, considérée comme entièrement artificialisée.
D’autres illustrations pourraient être données, conduisant à des appréciations différentes de l’artificialisation et de ses effets sur l’agriculture, sur la biodiversité, sur les sols, etc. L’analyse serait différente, par exemple, en région d’habitat dispersé, alors que nous avons pris un cas d’habitat groupé. Les statistiques sont par définition des simplifications de la réalité. Les spécialistes disent qu’un chiffre est un « résumé statistique ». Il doit être interprété avec prudence et, dans notre exemple, à une échelle locale. Cela met du plomb dans l’aile de la ZAN, qui est un « super-résumé statistique », au niveau national, d’une notion, qui plus est, mal définie (cf. encadré 1).[/typography]
Comment atteindre l’objectif ZAN selon France stratégie ?
France Stratégie vient de publier un rapportv qui présente, tout d’abord, quelques aperçus, toujours utiles, sur les questions de mesure et de cadrage et qui entre ensuite dans le vif du sujet.
Il faut construire des mètres carrés de logements et locaux
L’auteur retire d’un modèle du CGDD qu’« il faut construire 56,3 millions de mètres carrés [surfaces de plancher ayant fait l’objet d’un permis de construire] en 2030 et 63,9 millions de mètres carrés en 2050 ». Rendons-lui l’hommage de partir de ces besoins dans un rapport sur la ZAN. Ces besoins résultent de la démographie et de l’économie.
Chaque ménage doit avoir un logement et, pour les actifs, au moins un emploi. Il s’agit du nombre de ménages, et non pas du nombre d’habitants[xvii], comme il est trop souvent écrit. Les ménages ont leur démographie propre, décohabitation, mise en ménage, divorce, etc., à laquelle s’adaptent les logements : lorsque le nombre de ménages s’accroît, le nombre de résidences principales s’accroît au même rythme.
Sur le plan économique, lorsque les revenus augmentent, avec le PIB, les consommateurs demandent davantage de tous les biens (ou presque) : le surcroît de revenu se répartit entre santé, loisirs, alimentation, etc. et, évidemment, logement. Sauf décroissance économique, il faudrait, pour contrer cette loi économique d’airain, qui résulte d’un goût pour la diversité des biens consommés, il faudrait des mesures inenvisageables comme une très forte augmentation des taxes foncière et d’habitation, rendant le logement inabordable, ou une attribution réglementaire stricte des logements.
Dès lors, avec l’objectif ZAN, comment construire les dizaines de millions de m² de surfaces de plancher qui sont nécessaires ?
Construire dans les villages périurbains et ruraux
L’auteur du rapport de France stratégie, reprenant l’analyse d’Albizzati et al.ix, considère qu’« une partie des constructions peut se faire sur des terres déjà artificialisées, c’est ce qu’on appelle le renouvellement urbain (R). D’après le SDES-CGDD, le taux de renouvellement urbain sur la période 2006-2014 s’établit à 0,43 : autrement dit, 43 % des mètres carrés construits en France le sont sur des terres déjà artificialisées » (p. 20). Sans discuter ici de la notion de renouvellement urbain de l’auteur, qu’il désigne par R, retenons que, selon ses estimations, porter à 0,5 le taux de renouvellement urbain sur ces « terres déjà artificialisées » (cf. supra : ce sont les 2,3 millions d’hectares de tissu urbain discontinu), « représente une économie d’environ 11 000 hectares de terres non artificialisées sur une année en 2030 » (p. 39)[xviii]. On voit ici l’importance de la définition et de la mesure : selon ce rapport de France stratégie, la construction dans des villages péri-urbains ou ruraux ne compte pas pour de l’artificialisation. Pour atteindre l’objectif ZAN, « construire dans le village de Villebichot » (encadré 3) devient l’objectif.
Les moyens de cette politique pourraient être « l’instauration dans les PLU i) d’un plancher de densité, c’est-à-dire d’un coefficient d’occupation des sols minimal ; ii) d’un taux plancher de renouvellement urbain dans chaque commune pour les constructions nouvelles » (p. 47). Ainsi que l’exclusion de l’éligibilité au dispositif Pinel et au prêt à taux zéro des constructions sur des terres non artificialisées (p. 6) et « l’exonération de taxe d’aménagement des projets qui ne changent pas l’emprise au sol du bâti (surélévation, rénovation, reconstruction) ».
L’idée de construire en densifiant des villages péri-urbains et ruraux semble pertinente. Elle a pour inconvénients d’étaler davantage les villes vers leur périphérie, ce qu’on cherche par ailleurs à éviter en raison de l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre dues aux déplacements. Mais il s’agit d’habitat groupé dans des bourgs et villages peu denses : le nombre de résidences principales par hectare est actuellement de 8,7. On évite ainsi les effets négatifs d’une densification du tissu urbain continu (cf. supra), sans affecter le potentiel productif agricole ni miter les paysages (construire dans le village de Villebichot n’empiète pas sur les champs qui sont à l’extérieur), et cela correspond aussi au goût des ménages pour habiter « à la campagne », mais « pas trop loin des villes » (Villebichot est à 25 km de Dijon).
Une telle politique introduit un quiproquo qui repose sur le flou de la définition statistique des terres « artificialisées » : les constructions dans ce tissu urbain discontinu sont le plus souvent des maisons individuelles sur de grandes parcelles de terrain. Quoiqu’il s’agisse d’un habitat villageois groupé, ce n’est certainement pas ce à quoi pensent les promoteurs de l’objectif ZAN.
Quels autres moyens pour l’objectif ZAN ?
Si « construire à Villebichot » ne suffit pas pour l’objectif ZAN, France stratégie envisage de compléter par une « renaturation » de sols artificiels[xix]. Mais cet organisme reconnaît que « en l’état, le coût de la renaturation est a priori trop élevé pour que l’offre puisse rencontrer la demande sur ce marché » (p. 49), ce qui ne permet pas de « mettre en place un marché de droits à artificialiser contre renaturation » (p. 48).
D’autres mesures, comme le renchérissement du foncier agricole ou la diminution de taux de vacance des logements ou commerces sont également mentionnées, mais elles relèvent, de l’aveu même de l’auteur, du vœu pieux.
Au total, l’objectif Zéro artificialisation nette répond à des enjeux sujets à controverse (les inconvénients l’emportent-ils sur les avantages ?), porte sur un processus mal défini (qu’est-ce que l’artificialisation pour un scientifique ou un statisticien ?), affiché comme un objectif national alors que les enjeux sont locaux (les collectivités locales ne sont-elles pas les mieux placées pour prendre en compte ces enjeux locaux ?), et visé pour un horizon lointain (2050 ?). Son intérêt est de pousser à mieux mesurer l’extension des emprises urbaines et de réseaux de communication (Observatoire de l’artificialisation). Mais cela permettra-il des débats sociaux (et locaux) apaisés, à l’encontre duquel va un slogan à l’emporte-pièce (et national) ?
Jean Cavailhès
Octobre 2019
[i] https://www.insee.fr/fr/statistiques/3547469?sommaire=3547646. La valeur des terrains bâtis est estimée à 5200 milliards d’euros, celle des logements à 4500 milliards et celle des autres bâtiments ou ouvrages du génie civil à 2000 milliards.
[ii] Knoll K., Schularick M., Steger T., 2017. « No Price Like Home: Global House Prices, 1870-2012 », American Economic Review, 107 (2): 331-53 ainsi que le working paper associé des mêmes auteurs, p. 60 :
https://econpapers.repec.org/paper/zbwvfsc16/145960.htm.
[iii] Feuille de route pour une Europe efficace dans l’utilisation des ressources, Commission européenne, 20 septembre 2011.
[iv] Fosse J., 2019, « Objectif ‘zéro artificialisation nette’ : quels leviers pour protéger les sols ? », France stratégie, 51 p.
[v] Circulaire de J. Denormandie, J. Gourault, E. Borne et D. Guillaume (« Instruction du Gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l’engagement de l’État en faveur d’une gestion économe de l’espace »), qui précise que « l’Etat doit être très présent dans le processus d’élaboration des documents d’urbanisme. (…) Si, en dépit de votre accompagnement et du dialogue en amont et tout au long de la procédure, le document approuvé (SCOT ou PLU, PLUi) devait aller à l’encontre d’une gestion économe de l’espace ou prévoir une densification insuffisante à proximité des secteurs desservis par les transports ou équipements collectifs, vous mobiliserez tout l’éventail de leviers réglementaires à votre disposition (de l’avis défavorable jusqu’à la suspension du caractère exécutoire du document) pour demander à la collectivité d’apporter les modifications jugées nécessaires ».
[vi] Béchet B, Le Bissonnais Y, Ruas A (Dir.) (2017). Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols, déterminants, impacts et leviers d’action, INRA, IFSTTAR, Rapport d’expertise scientifique collective.
[vii] Ministère de la Transition écologique et solidaire (2018) Observatoire pour des données nationales sur l’artificialisation des sols.
https://artificialisation.biodiversitetousvivants.fr/.
[viii] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. « Changement climatique et terres émergées. Rapport spécial du GIEC sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres ».
[ix] Albizzati C., Poulhes M., Parraud J.S., 2017. « Caractérisation des espaces consommés par le bâti en France métropolitaine entre 2005 et 2013 », SDES, CGDD/MTES, Insee Références, décembre, pp. 73-.
[x] Cavailhès J., « Urbanisation et consommation de terres (1) », La Revue Foncière, n° 20, pp. 11-15.
[xi] La caractérisation se fait au niveau de la parcelle ou d’un îlot de parcelles, même si une partie du terrain est engazonnée ou jardinée.
[xii] Boquet A., Hélary J.M., Sauveplane P., Weber A., 2016. Évaluation de la politique publique de mobilisation des logements et bureaux vacants, Inspection générale des finances et Conseil général de l’environnement et du développement durable, 42 p.
[xiii] « Espaces structurés par des bâtiments. Les bâtiments, la voirie et les surfaces artificiellement recouvertes occupent la quasi-totalité du sol. Plus de 80 % de la surface est imperméable » (Béchet et al., 2017).
[xiv] Le bitume, les toitures, etc. des villes emmagasinent du rayonnement solaire, restitué sous forme de chaleur, en particulier nocturne. C’est ce que les climatologues appellent un îlot de chaleur.
[xv] Source : Corine land cover (Agence européenne de l’Environnement)
[xvi] « Les bâtiments, la voirie et les surfaces artificiellement recouvertes coexistent avec des surfaces végétalisées et du sol nu, qui occupent de manière discontinue des surfaces importantes. Entre 30 et 80 % de la surface est imperméable » (Béchet et al., 1017), le reste étant végétalisé (jardins privés, espaces publics, champs et prés, friches, bois, etc.).
[xvii] Selon l’Insee, de 2010 à 2015, la variation annuelle moyenne du nombre de logements due à la croissance démographique est en moyenne de 139 600 unités, contre 105 000 unités pour celle due à la réduction de la taille des ménages.
[xviii] Pour atteindre cet objectif, il faut aussi « augmenter la densité des constructions de 0,16 à 0,3 revient par exemple à rehausser les constructions de plain-pied existantes d’un étage afin de doubler la surface de plancher » (p. 40).
[xix] La renaturation nécessite « une déconstruction ; une dépollution ; une désimperméabilisation ; la construction de technosols indispensables à la végétalisation ; enfin, une reconnexion fonctionnelle aux écosystèmes naturels environnants » (p. 34).
Le récent rapport d’évaluation du prêt à taux zéro (référence) fournit une excellente illustration de l’utilisation galvaudée du terme artificialisation des sols et du flou qui l’entoure. L’expression n’y figure en effet pas moins de trente fois en 45 pages, signe évident qu’elle est à la mode dans les ministères. Quant au jugement porté sur l’effet du PTZ en la matière, le moins que l’on puisse dire est qu’il est peu convaincant : l’argumentation consiste en effet à examiner la répartition des opérations bénéficiant d’un PTZ entre la zone C et les autres, car « les maisons construites en zone C ont des terrains de surface plus importante que les maisons situées dans les autres zones et contribuent donc plus à l’artificialisation » et à une étude par commune dont il ressort que « La construction financée par le PTZ ne paraît pas avoir d’effets propres pour ce qui concerne la contribution à l’étalement urbain et à l’artificialisation des communes d’implantation « . Comme par ailleurs le rapport estime que le PTZ n’a un effet « déclencheur » que dans un faible pourcentage de cas (allant de 9% en zone C à 23 % en zone A), le contraire eût été étonnant.